En tête de notre sélection hebdomadaire, l’enquête de Fabien Ginisty sur la plateforme de covoiturage BlaBlaCar, pour qui l’économie du partage est surtout un slogan.

Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : BlaBlaCar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage, par Fabien Ginisty ; Economie de l’obésité, par Nathalie Mathieu-Bolh ; Le moment régulateur. Naissance d’une contre-culture de gouvernement, dirigé par Antoine Vauchez et Des élus déclassés ?, dirigé par Didier Demazière et Rémi Lefebvre.

Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : BlaBlaCar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage, par Fabien Ginisty ; Economie de l’obésité, par Nathalie Mathieu-Bolh ; Le moment régulateur. Naissance d’une contre-culture de gouvernement, dirigé par Antoine Vauchez et Des élus déclassés ?, dirigé par Didier Demazière et Rémi Lefebvre.

1/ « BlaBlaCar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage », par Fabien Ginisty

Utilisateurs ou pas, tout le monde connaît BlaBlaCar. La marque mais pas forcément l’entreprise, ce à quoi veut remédier le journaliste Fabien Ginisty dans cet ouvrage d’enquête qui vise à déboulonner quelque peu la statue de la licorne écolo, adepte de l’économie du partage. Un récit plaisant dans lequel on apprend beaucoup.

En toute opacité

Après un rappel historique – vous découvrirez Allostop et ses standardistes ! –, on passe à l’analyse des piliers du succès de BlaBlaCar. Il y a les capacités techniques et les bons recrutements de Frédéric Mazzella, le fondateur, qui commence par vendre des plates-formes de covoiturage à des entreprises (Bosch, Ikea…) et à des collectivités locales qui les gèrent de façon non lucrative… avant de les transférer vers sa plate-forme nationale.

Celle-ci devient rapidement payante, l’entreprise prenant une commission qui grandit au fil des ans et peut monter aujourd’hui jusqu’à 30 % du prix du trajet. Il y a aussi les levées de fonds régulières et massives dans le but de racheter petit à petit les concurrents partout dans le monde afin de gagner une position de monopole, objectif ultime. Une fois celui-ci atteint, l’effet de réseau fait qu’il est extrêmement difficile pour d’autres entreprises de se lancer sur le marché.

Qui dit levées de fonds, dit actionnaires, mais qui sont-ils ? Difficile à savoir car l’une des caractéristiques de l’entreprise est son opacité : ses dirigeants n’ont pas publié de comptes depuis 2009. C’est interdit, mais ils préfèrent payer une (faible) amende plutôt que d’être transparents. Il faut avoir accès à des bases de données très onéreuses pour en savoir un peu plus. Et notre auteur y est arrivé !

Cela permet de découvrir que les principaux actionnaires sont des fonds d’investissement installés au Luxembourg, à Jersey, au Delaware, paradis fiscaux bien connus, sans même parler de ce fonds russe immatriculé à Chypre, lieu du blanchiment de l’argent des oligarques et de la mafia. Il y a encore de l’enquête à faire de ce côté… On trouve aussi la SNCF : cette dernière aurait a priori vendu son service de bus en échange d’une participation au capital de l’entreprise.

Économie du partage des miettes

Le livre aborde également le modèle sociétal de BlaBlaCar : des conducteurs mis en concurrence, des relations entre personnes pour lesquelles il ne faut surtout pas se faire confiance (notez les gens) et dans lesquelles toute générosité est exclue (on ne peut offrir ses services gratuitement).

La fin du livre s’attaque au modèle écolo de BlaBlaCar : quoi de mieux pour le climat que de covoiturer ? En fait, l’Ademe a montré que cela réduit peu les kilomètres parcourus en voiture. Parce qu’à 70 %, ceux qui covoiturent le font à la place du train, trop cher. Et parce qu’un tiers des conducteurs n’auraient pas pris leur voiture sans client !

BlaBlaCar a besoin des voitures et qu’elles roulent beaucoup : ce n’est pas un hasard si son fondateur est au conseil d’administration de Renault, si l’entreprise a des accords avec Vinci et si elle vend des certificats d’économies d’énergie à Total (sur la base d’évaluations assez rocambolesques des économies réalisées, démontre l’auteur chiffres à l’appui). On est dans « l’économie du partage des miettes » dont le modèle consiste à « rendre captifs des gens pas fortunés pour enrichir des financiers ». Et c’est même pas écolo !

Christian Chavagneux

BlaBlaCar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage, par Fabien Ginisty, Le passager clandestin - L’âge de faire, 2024, 223 p., 16 €.

2/ « Economie de l’obésité », par Nathalie Mathieu-Bolh

Inflammation des artères, risques d’hypertension, diabète…, l’obésité est clairement un problème de santé publique. Or, cette maladie chronique est largement évitable grâce à des politiques publiques appropriées, rappelle Nathalie Mathieu-Bolh, professeure d’économie aux Etats-Unis.

Sous l’effet de la consommation croissante d’aliments riches en calories et bon marché, la prévalence de l’obésité a quasiment triplé entre 1975 et 2016 dans le monde. Environ un quart des enfants hispaniques et noirs en souffrent aux Etats-Unis. Et en France, elle touche plus de la moitié des ouvriers. Il faut dire qu’entre 1980 et 2010, les prix des fruits et légumes frais ont augmenté de 40 % aux Etats-Unis alors que ceux des sodas diminuaient de 35 %.

Une tendance similaire est à l’œuvre en France. L’autrice montre qu’il existe une courbe de Kuznets de l’obésité, ce phénomène augmentant d’abord avec le revenu, avant de diminuer au-delà d’un certain seuil. Les aliments sont en effet « des biens positionnels », signes de statut social. Et après avoir rappelé le coût de l’obésité, Nathalie Mathieu-Bolh explore des solutions qui passent par des taxes nutritionnelles pour augmenter le prix de la malbouffe.

Naïri Nahapétian

Economie de l’obésité, par Nathalie Mathieu-Bolh, Coll. Repères, La Découverte, 2024, 128 p., 11 €

3/ « Le moment régulateur. Naissance d’une contre-culture de gouvernement », dirigé par Antoine Vauchez

Autorité de la concurrence ou des marchés financiers, Cnil, Arcom pour les médias… Les autorités de régulation ont proliféré ces dernières décennies, au point qu’on en compte plus d’une quarantaine ! Ce livre décrypte leur travail, et il en ressort plusieurs fils rouges.

D’abord, une influence européenne : la libéralisation des services publics (et les privatisations) a poussé à de nouvelles formes de régulation, en même temps que l’UE fixe souvent le cadre général (concurrence…). Le libéralisme produit de la bureaucratie ! Ensuite, mis à part les autorités financières (AMF, ACPR) dans lesquelles, il faut le noter, le poids des pantouflards et du privé est important, ce sont les profils publics qui dominent.

Avec un Conseil d’Etat grand pourvoyeur de membres en même temps qu’il sert de métarégulateur. D’où la qualification de « différemment publiques » de ces institutions, sans capture par le privé, soutiennent les auteurs. Même si, enfin, les intérêts privés de chaque secteur sont bien présents, avec un résultat qui sent son oxymore : « un intérêt général construit (…) au plus près des intérêts privés du secteur » ! Pour le meilleur ou pour le pire ? Le livre ne le dit malheureusement pas

Ch. Ch.

Le moment régulateur. Naissance d’une contre-culture de gouvernement, par Antoine Vauchez (dir.), Les Presses de Sciences Po, 2024, 415 p., 27 €

4/ « Des élus déclassés ? », dirigé par Didier Demazière et Rémi Lefebvre

Les agriculteurs ne sont pas les seuls à avoir le blues. Les élus aussi, si l’on en juge par l’indicateur en forte hausse des démissions en cours de mandat. Serait-ce le résultat d’un processus de déclassement continu de leur statut dans la société française ?

C’est l’hypothèse que se proposent d’examiner les différentes contributions de ce petit ouvrage collectif en abordant différentes dimensions de ce possible déclassement : les sorties de la vie politique, le passage éphémère à l’Assemblée de députées novices élues en 2017, la recomposition des frontières entre sphères publique et privée, la féminisation, l’évolution de la réglementation et des pratiques de cumul des mandats ou encore le sujet sensible de l’indemnisation, dont la complexité et les incongruités apparaissent plus problématiques à l’analyse que les montants alloués, faute de réussir à en débattre ouvertement.

Au final, « le métier politique se transforme plus qu’il ne se déclasse », concluent les auteurs, et si les carrières tendent à devenir plus précaires, les conditions d’activité tendent aussi à devenir plus inégales selon les mandats, et ne suffisent pas à tarir les vocations.

Igor Martinache

Des élus déclassé ?, par Didier Demazière et Rémi Lefebvre (dir.), La vie des idées - PUF, 2024, 115 p., 10 €.

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Enquête sur BlaBlaCar et 3 autres conseils de lecture

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27.04.2024

En tête de notre sélection hebdomadaire, l’enquête de Fabien Ginisty sur la plateforme de covoiturage BlaBlaCar, pour qui l’économie du partage est surtout un slogan.

Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : BlaBlaCar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage, par Fabien Ginisty ; Economie de l’obésité, par Nathalie Mathieu-Bolh ; Le moment régulateur. Naissance d’une contre-culture de gouvernement, dirigé par Antoine Vauchez et Des élus déclassés ?, dirigé par Didier Demazière et Rémi Lefebvre.

Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : BlaBlaCar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage, par Fabien Ginisty ; Economie de l’obésité, par Nathalie Mathieu-Bolh ; Le moment régulateur. Naissance d’une contre-culture de gouvernement, dirigé par Antoine Vauchez et Des élus déclassés ?, dirigé par Didier Demazière et Rémi Lefebvre.

1/ « BlaBlaCar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage », par Fabien Ginisty

Utilisateurs ou pas, tout le monde connaît BlaBlaCar. La marque mais pas forcément l’entreprise, ce à quoi veut remédier le journaliste Fabien Ginisty dans cet ouvrage d’enquête qui vise à déboulonner quelque peu la statue de la licorne écolo, adepte de l’économie du partage. Un récit plaisant dans lequel on apprend beaucoup.

En toute opacité

Après un rappel historique – vous découvrirez Allostop et ses standardistes ! –, on passe à l’analyse des piliers du succès de BlaBlaCar. Il y a les capacités techniques et les bons recrutements de Frédéric Mazzella, le fondateur, qui commence par vendre des plates-formes de covoiturage à des entreprises (Bosch, Ikea…) et à des collectivités locales qui les gèrent de façon non lucrative… avant de les transférer vers sa plate-forme nationale.

Celle-ci devient rapidement payante, l’entreprise prenant une commission qui grandit au fil des ans et peut monter aujourd’hui jusqu’à 30 % du prix du trajet. Il y a aussi les levées de fonds régulières et massives dans le but de racheter petit à petit les concurrents........

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