Cédric Durand, économiste à l’université de Genève, vient de publier, avec Razmig Keucheyan, Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique (La Découverte, 2024). Un livre de réflexions qui souhaite fixer le cadre intellectuel et poser les principes fondamentaux d’une véritable bifurcation écologique.

Aux yeux des deux auteurs, on ne pourra pas y arriver sans sortir du capitalisme. Pour y parvenir, ils proposent une alternative qui s’articule autour de trois piliers : une nouvelle comptabilité écologique, la planification et l’avènement de collectifs de consommateurs. Reste à savoir si la voie qu’ils proposent est crédible.

Est-ce que les industries polluantes peuvent évoluer vers un capitalisme vert ?

Cédric Durand : Oui, c'est possible, il y a des processus de production qui changent. Se transforment-ils de telle sorte que la pression sur les écosystèmes se réduise suffisamment ? La réponse est non.

Les recherches montrent que s’il y a des éléments de découplage entre la croissance du produit intérieur brut (PIB) et les émissions de gaz à effet de serre dans certains pays, dans certains secteurs, on ne trouve aucune indication d'une trajectoire viable de découplage d’ensemble.

Cédric Durand, économiste à l’université de Genève, vient de publier, avec Razmig Keucheyan, Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique (La Découverte, 2024). Un livre de réflexions qui souhaite fixer le cadre intellectuel et poser les principes fondamentaux d’une véritable bifurcation écologique.

Aux yeux des deux auteurs, on ne pourra pas y arriver sans sortir du capitalisme. Pour y parvenir, ils proposent une alternative qui s’articule autour de trois piliers : une nouvelle comptabilité écologique, la planification et l’avènement de collectifs de consommateurs. Reste à savoir si la voie qu’ils proposent est crédible.

Est-ce que les industries polluantes peuvent évoluer vers un capitalisme vert ?

Cédric Durand : Oui, c’est possible, il y a des processus de production qui changent. Se transforment-ils de telle sorte que la pression sur les écosystèmes se réduise suffisamment ? La réponse est non.

Les recherches montrent que s’il y a des éléments de découplage entre la croissance du produit intérieur brut (PIB) et les émissions de gaz à effet de serre dans certains pays, dans certains secteurs, on ne trouve aucune indication d’une trajectoire viable de découplage d’ensemble. Le capitalisme ne sait pas fermer, démanteler des activités nuisibles, car c’est de la pure perte.

Si les Etats peuvent théoriquement arriver à piloter un peu les industriels en les conduisant vers tel ou tel type de production, ils ont perdu beaucoup de leur pouvoir d’action par rapport à ce qui a été le leur il y a plusieurs décennies. L’affaiblissement structurel de la fonction publique auquel on assiste – pas seulement en France – pose une question clé : y a-t-il encore suffisamment de compétences nationales et locales pour assurer le suivi de la mise en œuvre de ce genre de politique ? Auparavant, l’Etat développeur disposait de plus moyens de coercition sur les capitalistes.

La production d’énergies renouvelables progresse beaucoup et son coût diminue fortement, c’est un secteur capitaliste rentable qui va dans le bon sens ?

C. D. : Il y a eu des gains extrêmement impressionnants en matière de baisse des coûts de production des énergies renouvelables. Le problème, c’est que nous sommes face à une industrie dans laquelle la quasi-totalité des coûts sont fixes : même lorsque la demande diminue, tout le monde continue de produire, de telle sorte que les profits tendent vers zéro.

« Les entreprises comme TotalEnergies restent dans les fossiles parce que les garanties sur les prix à long terme des énergies renouvelables ne sont pas suffisantes »

Les investissements verts calent un peu ces dernières années. On a même eu des cas au Royaume-Uni où des enchères publiques concernant des éoliennes en mer ont été refusées par les investisseurs parce qu’ils considéraient que les garanties apportées n’étaient pas assez importantes. Même si les coûts baissent, lorsque les garanties sur les prix à long terme ne sont pas suffisantes, on manque d’investisseurs dans les renouvelables.

C’est la raison pour laquelle des grandes entreprises comme TotalEnergies restent très majoritairement dans les fossiles, une industrie où les coûts variables demeurent importants : quand il y a moins de demande, les producteurs les moins compétitifs diminuent leur production, ce qui permet de maintenir un niveau de prix rémunérateur.

Mais la demande pour l’énergie verte est très forte aujourd’hui et va le rester longtemps.

C. D. : Cela n’a pas l’air d’inciter les investisseurs à s’y engager massivement. Si on avait des opérateurs publics avec une tarification stable dans le temps, cela pourrait avancer.

Il y a quand même les prix garantis à moyen-long terme.

C. D. : Heureusement ! Mais vous voyez bien le problème : on transfère l’argent de la puissance publique vers le secteur privé qui, sans cela, n’y va pas.

Est-ce qu’avec un bon prix du carbone, les entreprises ne changeraient pas de comportement ?

C. D. : Cela peut jouer. Mais l’idée que ce soit LA solution est erronée. C’est pourtant ce que défend un économiste comme Christian Gollier, de l’Ecole d’économie de Toulouse. Ce qu’il nous dit, en substance, c’est « fixons un prix au risque de destruction de la planète. Chacun accepte de prendre des risques au niveau individuel ; pourquoi collectivement, on n’aurait pas aussi cette acceptation de prendre des risques ? On fixera le prix du carbone qui correspondra au niveau de risque qu’accepte de prendre la collectivité ». Ce qui pose deux problèmes.

D’une part, la décision concernant la manière de répartir les émissions dépend de la distribution du pouvoir d’achat entre les individus, ce qui donne un biais en faveur des riches – gaspiller notre budget carbone commun dans des sauts de puce en jet privé est concevable pour peu qu’on puisse payer.

« On ne change pas les structures productives d’un claquement de doigts par le système de prix »

D’autre part, dans ce dispositif, il manque les générations futures, alors qu’on prend la décision en leur nom. C’est moralement choquant. Notre idée est qu’il faut rendre la planète aux générations suivantes dans l’état le plus proche possible de celui dans lequel on l’a héritée. Pour la raison simple que le futur est extrêmement incertain, il faut leur laisser un espace pour découvrir, expérimenter, faire face à des difficultés, etc.

Autre argument : soit on change un petit peu le prix du carbone et les comportements ne sont pas véritablement altérés, soit on le change beaucoup et c’est tellement brutal qu’on a l’effet gilets jaunes ou bien, comme on l’a vu en Allemagne après la fin du gaz russe bon marché, une violente crise industrielle. On ne change pas les structures productives d’un claquement de doigts par le système de prix.

Joe Biden a engagé une nouvelle politique industrielle qui semble efficace pour verdir la production d’énergie.

C. D. : Il y a eu un changement de direction effectivement assez sensible, avec des choses intéressantes, mais aussi des limites. Côté positif, l’importance des montants engagés montre que l’on ne peut pas y aller à la petite cuillère : une transformation de ce type réclame d’y aller franchement. De ce point de vue, le contraste avec l’Europe est malheureusement spectaculaire !

Deuxième chose intéressante, un certain nombre d’organes ont été mis en place pour surveiller les plus grosses subventions, entrer dans le détail industriel, évaluer les impacts.

Sur le versant moins positif, on est dans l’ordre d’une transition et pas d’une bifurcation : on garde l’existant et on essaie de le verdir. Comme disait Bush père en 1992 : « Le mode de vie américain n’est pas négociable. »

C’est loin d’être suffisant pour réduire drastiquement, comme il le faudrait, les émissions de gaz à effet de serre, et c’est très clairement insoutenable du point de vue de la dynamique générale de prédation de la nature qui est associée au capitalisme et au consumérisme contemporain.

Autre limite : il y a une forme de détournement de l’argent public à destination des entreprises. Si ça marche, il sert à gonfler les dividendes, sinon c’est la collectivité qui paie.

Donc il faut se débarrasser du capitalisme si on veut réussir la bifurcation ?

C. D. : Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de chemin crédible vers un capitalisme respectant la nature.

En même temps, le capitalisme est là depuis cinq ou six siècles et il a toujours survécu.

C. D. : Peut-être qu’avec mon coauteur Razmig Keucheyan nous nous trompons ! Mais nous pensons qu’il est tout à fait déraisonnable de ne pas s’enquérir d’une alternative.

La première chose à faire, dites-vous, c’est de compter autrement, en établissant une comptabilité écologique. En quoi cela consiste-t-il ?

C. D. : Au niveau macroéconomique, la piste consiste à compter la manière dont la nature rend des services. On donne un prix à la qualité de l’air qui est améliorée par une forêt, à la qualité de l’eau que permet d’apporter une rivière, etc. On fait comme si la nature était un agent économique qui produit quelque chose auquel on peut donner un prix.

« Si l’on considère la nature comme un agent économique qui produit quelque chose auquel on peut donner un prix, on s’aperçoit qu’on est en train de saborder ses capacités de production »

On s’aperçoit alors que l’on est en train de saborder les capacités de production de la nature, car cela rend visible les dégâts écologiques. Pourtant, si on prend l’ensemble des services écosystémiques fournis, leur valeur est infinie puisque ce sont eux qui permettent la vie sur Terre. On croit faire entrer de la rationalité en donnant des prix à quelque chose… auquel on n’est pas capable de donner un vrai prix !

Une autre piste a été proposée par un comptable national qui a disparu il y a peu de temps, André Vanoli. Il propose de réaliser un inventaire permanent de la nature. On compte combien cela coûte, en termes de temps travail, de capital, de rétablir les écosystèmes que l’on détruit. L’intégrité de la nature est posée comme principe premier, c’est la bonne approche.

Au niveau microéconomique, on dispose du modèle CARE dont la rationalité est de regarder comment les différents acteurs altèrent les écosystèmes et combien ça leur coûte pour les préserver ou pour les réparer. Là aussi, c’est la bonne approche.

Dispose-t-on des informations nécessaires pour ce genre de comptabilité ?

C. D. : On en a de plus en plus et on progresse très vite ! Cela a été une grande surprise en travaillant pour ce livre de découvrir à quel point l’intégralité de la planète est aujourd’hui photographiée plusieurs fois par jour par des satellites, à un niveau de détail très précis.

Par exemple, l’entreprise française Kayrros photographie 200 000 sites industriels sur la planète, tous les jours. Elle arrive par ce biais à mesurer en temps réel la consommation d’énergie à l’échelle globale et à évaluer en temps réel les gaz qui sont émis. Elle a montré qu’il y a un écart de 3 à 6 entre les déclarations des industriels ou des pays et ce qui est réellement observé concernant les émissions de méthane.

Au niveau européen, le programme Copernicus dispose de capteurs qui communiquent des informations en temps réel. Il y a des entreprises privées américaines qui jouent un rôle très important, comme Planet Labs, capable de mesurer très en détail l’évolution de la biodiversité.

Grâce au travail des scientifiques et aux progrès dans les systèmes d’information, nous disposons aujourd’hui d’outils extrêmement puissants pour rassembler des données en matière environnementale.

Concrètement, je fais ma comptabilité habituelle, j’ajoute les coûts environnementaux et s’il est trop fort, j’abandonne l’investissement ?

C. D. : Exactement. Si votre projet coûte trop cher pour réparer la nature ou pour la protéger, il n’est pas viable.

Et pour les activités productives existantes ?

C. D. : On organise le démantèlement. Les entreprises ne peuvent pas s’y engager parce qu’elles ne gagnent rien à le faire. Cela rapporte à terme à la collectivité d’avoir un bel environnement, d’être en bonne santé… Mais à court terme, ça ne rapporte rien, c’est un coût brut.

Cela exige une grande mobilisation qui doit être extrêmement légitime, qui ne sera acceptable que s’il y a une démocratie, que s’il y a aussi des éléments de réduction des inégalités, notamment un choc de justice fiscale.

Que fait-on des gens qui travaillent dans les activités non viables écologiquement ?

C. D. : D’abord, il y a beaucoup de compétences qui peuvent être redéployées et, comme je l’ai dit, démanteler et investir dans le propre en même temps, c’est beaucoup de travail ! On aura besoin de tout le monde.

« Mettre en place une garantie publique d’emploi est l’assurance que personne ne sera laissé de côté au cours de la bifurcation écologique »

Pour les spécialisations amenées à disparaître, il faut organiser avec les syndicats un effort de formation dans lequel les salariés conservent leur statut. Plus généralement, il faut un choc de confiance pour le monde du travail : mettre en place une garantie publique d’emploi est l’assurance que personne ne sera laissé de côté au cours de la bifurcation écologique.

Autre pilier de votre alternative, une « demande émancipée ». De quoi s’agit-il ?

C. D. : C’est une idée que l’on emprunte au chercheur Pascal Petit. Il nous faut une figure du consommateur qui soit un consommateur collectif. Les AMAP en représentent un modèle réduit, les associations de consommateurs aussi. Mais cela reste des institutions qui ne sont pas suffisamment puissantes.

L’entreprise chinoise de grande distribution en ligne Temu (qui s’appelle Pinduoduo en Chine) connaît un succès fulgurant. Quand Amazon regarde ce que font les autres pour deviner ce que vous allez vouloir en observant les corrélations, Temu part des réseaux sociaux dans lesquels sont insérés les gens pour les pousser à consommer collectivement, à partager avec les autres leur consommation, pour commander collectivement et faire baisser les prix.

Leur modèle est absolument horrible : c’est vraiment le stade suprême du consumérisme ! Vous êtes incités à rester tout le temps en ligne pour réagir au fait que vos amis vont ou pas vous accompagner dans votre consommation, il y a des jeux très addictifs qui incitent à rester connecté... Mais le mécanisme est intéressant : on peut faire exister des communautés de valeur, à l’échelle numérique, et bâtir des consommateurs collectifs.

Entre les données pour la comptabilité et celles pour les groupes de consommateurs, cela fait beaucoup de numérique, ce n’est pas très sobre !

C. D. : Comment tenir les deux bouts de la mobilisation de la puissance de l’information numérique et de son coût environnemental ? Il va falloir discriminer entre les usages sérieux et les usages frivoles du numérique et délibérer sur la manière dont on peut répartir son utilisation.

C’est déjà le cas dans dix-neuf Etats aux Etats-Unis et en Chine, c’est discuté au Royaume-Uni et en France afin d’aboutir à des mécanismes de rationnement, par exemple pour limiter l’exposition des enfants aux écrans. Au moment de la pandémie, quand le télétravail s’est répandu, il y a eu un accord entre la Commission européenne et Netflix pour ralentir la vitesse de diffusion afin de conserver suffisamment de bande passante pour le télétravail. Le débat est déjà là.

Le troisième pilier de l’alternative repose sur une planification écologique, décomposée en plusieurs phases.

C. D. : Il nous faut d’abord des outils démocratiques. Dans nos sociétés, la délibération démocratique est finalement très pauvre. L’exemple de la Convention citoyenne pour le climat a montré qu’on va beaucoup plus loin quand on laisse les citoyens débattre. On a essayé de réfléchir à une architecture qui, partant de l’échelon local, permette de planifier ce qui peut être modifié à l’échelon local, puis de passer à l’échelle macroéconomique.

Notre modèle, c’est celui de Jean Monnet et de la planification d’après-guerre. L’idée était de mobiliser les forces vives de la nation pour prendre connaissance des problèmes tels qu’ils se posaient au niveau local, tel que le voyaient techniquement les acteurs du monde du travail, les acteurs industriels, les ingénieurs, et d’échanger pour travailler sur des scénarios possibles.

Monnet parlait de Commission de modernisation ; nous, nous parlons de Commission de post-croissance. Plusieurs scénarios en ressortent entre lesquels il faudra arbitrer, ce sera le rôle du Parlement.

La démocratie, c’est le moment de la décision, de l’immédiat. La planification, c’est le long terme. Et la question de la bifurcation écologique, c’est une question de temps long. Il y a une forme d’engagement qu’il faut prendre par rapport à nous-même, qui passe par l’inscription d’un certain nombre de principes écologiques dans les Constitutions pour encadrer l’espace de délibération démocratique.

« Avec la comptabilité, la planification autour de l’investissement, des services publics et de la démocratie, et le développement d’une demande à partir du collectif, on dispose d’une alternative au capitalisme contemporain »

On passe ensuite à la mise en œuvre avec deux outils : la socialisation de l’investissement et un système de crédit orienté, par exemple avec des crédits à taux plus ou moins bonifiés, ou bien un contingentement du crédit par secteur. On peut alors véritablement piloter l’investissement en fonction des priorités qui ont été décidées. Le niveau local conserve l’autonomie de la mise en œuvre dans le cadre choisi.

Enfin, il faudra développer de nouveaux services publics. Par exemple, un service public de la réparation avec des gens qui sont qualifiés, qui ont une grille de rémunération et un statut qui les protège du point de vue de leur carrière, qui disposent des moyens de se former, etc.

Avec la comptabilité, la planification autour de l’investissement, des services publics et de la démocratie, et le développement d’une demande plus consciente d’elle-même à partir du collectif, on dispose des principes d’une coordination de l’activité économique alternative à celle du capitalisme contemporain.

Y a-t-il des forces sociales qui portent un tel projet ?

C. D. : Du côté du capital, il y a une hostilité très forte. Les cadres sont au cœur de la mise en œuvre des activités qui conduisent à la destruction écologique, mais cette catégorie sociale est bien placée pour en comprendre les ressorts systémiques. Un sursaut écologique des organisateurs n’est donc pas inenvisageable !

Du côté des classes populaires, c’est ambivalent : elles sont les plus exposées en termes de conditions de vie et de travail à la crise écologique, mais il y a aussi une grande sensibilité au coût de la transition. La planification écologique doit être sociale et leur donner des garanties en termes de niveau de vie, en termes d’emplois, sinon il n’y aura pas de bloc social majoritaire pour soutenir un tel projet.

Ce qui se dessine avec les élections européennes, c’est plutôt une alliance d’une partie des classes moyennes et des classes populaires avec l’extrême droite et un rejet des projets de bifurcation.

C. D. : Le climat politique actuel n’est, de fait, pas du tout favorable. Mais d’un point de vue plus structurel, la transformation écologique est une obligation.

On peut regarder la politique de la Chine comme un pari sur ce que va être l’économie du XXIe siècle. Ils ont pris de l’avance dans toute une série de productions vertes en se disant, « oui on subventionne massivement, oui, ça nous coûte cher aujourd’hui et on prend des risques, mais finalement, on est en train de développer les technologies de demain ».

Nous sommes dans un moment réactionnaire. Mais les moments de réaction ne font pas l’histoire, ils finissent par être dépassés. On n’échappera pas à la bifurcation.

QOSHE - Cédric Durand : « Il n’y a pas de chemin crédible vers un capitalisme respectant la nature » - Recueilli Par Christian Chavagneux
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Cédric Durand : « Il n’y a pas de chemin crédible vers un capitalisme respectant la nature »

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27.04.2024

Cédric Durand, économiste à l’université de Genève, vient de publier, avec Razmig Keucheyan, Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique (La Découverte, 2024). Un livre de réflexions qui souhaite fixer le cadre intellectuel et poser les principes fondamentaux d’une véritable bifurcation écologique.

Aux yeux des deux auteurs, on ne pourra pas y arriver sans sortir du capitalisme. Pour y parvenir, ils proposent une alternative qui s’articule autour de trois piliers : une nouvelle comptabilité écologique, la planification et l’avènement de collectifs de consommateurs. Reste à savoir si la voie qu’ils proposent est crédible.

Est-ce que les industries polluantes peuvent évoluer vers un capitalisme vert ?

Cédric Durand : Oui, c'est possible, il y a des processus de production qui changent. Se transforment-ils de telle sorte que la pression sur les écosystèmes se réduise suffisamment ? La réponse est non.

Les recherches montrent que s’il y a des éléments de découplage entre la croissance du produit intérieur brut (PIB) et les émissions de gaz à effet de serre dans certains pays, dans certains secteurs, on ne trouve aucune indication d'une trajectoire viable de découplage d’ensemble.

Cédric Durand, économiste à l’université de Genève, vient de publier, avec Razmig Keucheyan, Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique (La Découverte, 2024). Un livre de réflexions qui souhaite fixer le cadre intellectuel et poser les principes fondamentaux d’une véritable bifurcation écologique.

Aux yeux des deux auteurs, on ne pourra pas y arriver sans sortir du capitalisme. Pour y parvenir, ils proposent une alternative qui s’articule autour de trois piliers : une nouvelle comptabilité écologique, la planification et l’avènement de collectifs de consommateurs. Reste à savoir si la voie qu’ils proposent est crédible.

Est-ce que les industries polluantes peuvent évoluer vers un capitalisme vert ?

Cédric Durand : Oui, c’est possible, il y a des processus de production qui changent. Se transforment-ils de telle sorte que la pression sur les écosystèmes se réduise suffisamment ? La réponse est non.

Les recherches montrent que s’il y a des éléments de découplage entre la croissance du produit intérieur brut (PIB) et les émissions de gaz à effet de serre dans certains pays, dans certains secteurs, on ne trouve aucune indication d’une trajectoire viable de découplage d’ensemble. Le capitalisme ne sait pas fermer, démanteler des activités nuisibles, car c’est de la pure perte.

Si les Etats peuvent théoriquement arriver à piloter un peu les industriels en les conduisant vers tel ou tel type de production, ils ont perdu beaucoup de leur pouvoir d’action par rapport à ce qui a été le leur il y a plusieurs décennies. L’affaiblissement structurel de la fonction publique auquel on assiste – pas seulement en France – pose une question clé : y a-t-il encore suffisamment de compétences nationales et locales pour assurer le suivi de la mise en œuvre de ce genre de politique ? Auparavant, l’Etat développeur disposait de plus moyens de coercition sur les capitalistes.

La production d’énergies renouvelables progresse beaucoup et son coût diminue fortement, c’est un secteur capitaliste rentable qui va dans le bon sens ?

C. D. : Il y a eu des gains extrêmement impressionnants en matière de baisse des coûts de production des énergies renouvelables. Le problème, c’est que nous sommes face à une industrie dans laquelle la quasi-totalité des coûts sont fixes : même lorsque la demande diminue, tout le monde continue de produire, de telle sorte que les profits tendent vers zéro.

« Les entreprises comme TotalEnergies restent dans les fossiles parce que les garanties sur les prix à long terme des énergies renouvelables ne sont pas suffisantes »

Les investissements verts calent un peu ces dernières années. On a même eu des cas au Royaume-Uni où des enchères publiques concernant des éoliennes en mer ont été refusées par les investisseurs parce qu’ils considéraient que les garanties apportées n’étaient pas assez importantes. Même si les coûts baissent, lorsque les garanties sur les prix à long terme ne sont pas suffisantes, on manque d’investisseurs dans les renouvelables.

C’est la raison pour laquelle des grandes entreprises comme TotalEnergies restent très majoritairement dans les fossiles, une industrie où les coûts variables demeurent importants : quand il y a moins de demande, les producteurs les moins compétitifs diminuent leur production, ce qui permet de maintenir un niveau de prix rémunérateur.

Mais la demande pour l’énergie verte est très forte aujourd’hui et va le rester longtemps.

C. D. : Cela n’a pas l’air d’inciter les investisseurs à s’y engager massivement. Si on avait des opérateurs publics avec une tarification stable dans le temps, cela pourrait avancer.

Il y a quand même les prix garantis à moyen-long terme.

C. D. : Heureusement ! Mais vous voyez bien le problème : on transfère l’argent de la puissance publique vers le secteur privé qui, sans........

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