On ne sait pas trop ce qui a fait le plus rire Marwah Rizqy, quand on lui a demandé ce qu’elle pensait du bilan de Denis Coderre durant ses quatre années à l’Hôtel de Ville de Montréal. Était-ce le bilan lui-même, qui n’est pas si risible, ou plutôt l’idée qu’il puisse penser devenir chef du PLQ ?

La députée de Saint-Laurent a peut-être décidé qu’il valait mieux en rire plutôt qu’en pleurer, tellement la perspective de son retour laisse perplexe. Son passage à Tout le monde en parle, dimanche soir, n’a rien fait pour dissiper le malaise que suscitait déjà la candidature d’un homme qui n’incarne pas précisément le renouveau dont les libéraux ont tellement besoin.

Le courage et la détermination qui lui ont permis de récupérer après l’AVC qui l’a terrassé l’an dernier sont assurément admirables, mais est-il suffisamment remis pour replonger dans la fournaise de la politique ? Lui le croit manifestement, mais les libéraux devront aussi se poser la question, aussi délicate qu’elle puisse être.

Même s’il n’annoncera officiellement sa décision qu’à son retour de Compostelle, en mai prochain, elle semble déjà prise. Pour son propre bien autant que pour celui du PLQ, il est à espérer que ce pèlerinage lui permettra d’y réfléchir à deux fois.

N’importe qui, sauf Coderre, diront certains. N’importe qui, même Coderre, répliqueront d’autres. Dans l’état actuel des choses, les libéraux n’ont pas les moyens de faire la fine bouche. Quinze mois après le départ de Dominique Anglade, on ne se bouscule pas pour prendre sa succession, si on excepte le député de Marguerite-Bourgeoys, Frédéric Beauchemin, qui ne fait pas courir les foules.

Même au PLQ, personne ne peut croire sérieusement à la possibilité d’une victoire en 2026. Il y a donc de très fortes chances que le prochain chef soit un chef de transition. Depuis Georges-Émile Lapalme, dans les années 1950, Jean Charest a été le seul à survivre à une défaite, en 1998, et c’est parce que les libéraux avaient obtenu malgré tout plus de voix que le PQ.

Le dernier sondage Pallas Data/Qc125/L’Actualité crédite le PLQ de seulement 15 % des intentions de vote, loin derrière le PQ (32 %), la CAQ (21 %) et QS (17 %). La déconnexion avec l’électorat francophone demeure totale.

M. Coderre a très bien compris que cette situation quasi désespérée était précisément une chance pour lui. Si le pouvoir était à portée de main, il ne manquerait pas de candidats plus attrayants, dont la présence l’aurait probablement découragé de se lancer lui-même dans la course.

Il est très rare qu’un aspirant à la chefferie d’un parti formant l’opposition officielle se porte volontaire pour occuper un poste en acceptant explicitement qu’il puisse être intérimaire. Même quand cela semble impossible, les militants s’attendent à ce qu’on leur promette la victoire.

Aussi inhabituelle qu’elle soit, cette posture n’est pas bête. En encourageant d’éventuels adversaires à passer un tour pour éviter de se brûler prématurément, M. Coderre veut éliminer des obstacles. D’ailleurs, on ne sait jamais, les circonstances pourraient faire en sorte qu’il ait droit à une deuxième chance.

Pour les libéraux, c’est un pensez-y-bien. Élire M. Coderre permettrait de combler le vide actuel, mais le risque est réel. On ne peut pas exclure qu’il conduise le parti au désastre. S’il se retrouve avec seulement une douzaine de sièges en 2026, la quête d’un nouveau chef pourrait être encore plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Si la candidature de l’ancien maire de Montréal a valu au PLQ plus de publicité qu’il n’en a reçu depuis un an, il faudra attendre au printemps 2025 avant que lui ou un(e) autre en prenne la direction. Le parti a connu d’autres périodes d’intérim dans le passé, mais elles n’ont pas été aussi longues, et il n’était jamais tombé dans une telle indifférence. Marc Tanguay prend ses rêves pour la réalité s’il pense vraiment que le discours libéral « résonne dans le coeur des Québécois ».

Il est vrai que le rôle de chef intérimaire est particulièrement ingrat. Il consiste essentiellement à assurer une certaine cohérence dans le message, et la meilleure façon d’y arriver est de s’en tenir aux lieux communs, ce à quoi M. Tanguay excelle, jusqu’à ce que le nouveau chef vienne indiquer une direction.

S’il n’est pas incolore, le PLQ projette l’image d’un parti inodore et sans saveur. Le rapport sur le comité de relance présidé par l’ex-sénateur André Pratte et la députée de Bourassa-Sauvé, Madwa-Nika Cadet, n’a eu pratiquement aucun écho à l’extérieur du parti.

On peut reprocher bien des choses à Denis Coderre, mais il ne laisse personne indifférent. À moins qu’un autre candidat de poids se manifeste, c’est lui qui sera de plus en plus perçu comme la voix et l’image du PLQ, même si cela peut être malaisant.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Gros malaise - Michel David
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Gros malaise

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30.01.2024

On ne sait pas trop ce qui a fait le plus rire Marwah Rizqy, quand on lui a demandé ce qu’elle pensait du bilan de Denis Coderre durant ses quatre années à l’Hôtel de Ville de Montréal. Était-ce le bilan lui-même, qui n’est pas si risible, ou plutôt l’idée qu’il puisse penser devenir chef du PLQ ?

La députée de Saint-Laurent a peut-être décidé qu’il valait mieux en rire plutôt qu’en pleurer, tellement la perspective de son retour laisse perplexe. Son passage à Tout le monde en parle, dimanche soir, n’a rien fait pour dissiper le malaise que suscitait déjà la candidature d’un homme qui n’incarne pas précisément le renouveau dont les libéraux ont tellement besoin.

Le courage et la détermination qui lui ont permis de récupérer après l’AVC qui l’a terrassé l’an dernier sont assurément admirables, mais est-il suffisamment remis pour replonger dans la fournaise de la politique ? Lui le croit manifestement, mais les libéraux devront aussi se poser la question, aussi délicate qu’elle puisse être.

Même s’il n’annoncera officiellement sa décision qu’à son retour de Compostelle, en mai prochain, elle semble déjà prise. Pour son propre bien autant que pour celui du PLQ, il est à espérer que ce pèlerinage lui permettra d’y réfléchir à deux........

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