Selon le premier ministre qu’on élit à Québec, notre relation avec le Canada devient une affaire de coeur, de raison, d’argent ou encore d’opportunisme.

Jean Charest aimait profondément le Canada. Peu importe dans quelle région il se trouvait, il se sentait chez lui. Parfois même un peu trop. En 1998, il a débarqué à Québec la mort dans l’âme, précisément parce qu’on lui a demandé de sauver le pays, mais il aurait surtout voulu le diriger.

Philippe Couillard était aussi un Canadien d’abord et avant tout, mais son attachement était essentiellement rationnel. Comme Pierre Elliott Trudeau, il se méfiait des Québécois et il voyait dans l’appartenance au Canada l’assurance que les droits individuels seraient protégés contre les excès du nationalisme.

Robert Bourassa trouvait le Canada plutôt ennuyant, mais il l’estimait « rentable » pour le Québec. On ne saura cependant jamais ce qu’il aurait fait à la suite du double échec constitutionnel de Meech et de Charlottetown si sa santé lui avait permis de demeurer en poste. Lui-même ne le savait probablement pas.

François Legault a choisi le Canada simplement pour être élu premier ministre. Il a embrassé le fédéralisme par défaut, parce que les Québécois avaient rejeté la souveraineté. Il a découvert les mérites de la péréquation seulement après coup, quand il est devenu évident que les prétentions autonomistes de la Coalition avenir Québec (CAQ) n’étaient que du vent.

Si jamais le Québec devient suffisamment riche pour ne plus avoir droit à la péréquation, ce ne sera pas avant 25 ou 30 ans, et M. Legault sera à la retraite depuis longtemps. Pour le moment, il devrait plutôt s’inquiéter de voir que ce ne sont pas ses succès économiques qui provoquent une baisse des transferts fédéraux au Québec, mais les nouvelles tendances démographiques au sein du Canada, qui sont largement déterminées par l’immigration.

Selon des documents du ministère fédéral des Finances obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, une somme de 87,3 millions sera soustraite des sommes versées au Québec dans le cadre du Transfert canadien en santé, déjà jugé très insuffisant par le gouvernement Legault, et du Transfert canadien en matière de services sociaux, qui sont calculés au prorata de la population. Inversement, l’Ontario, qui accueille une proportion beaucoup plus forte d’immigrants, aura droit à des versements additionnels de 91 millions.

Même si on a fait tout un plat des 5 à 7 millions versés aux Kings de Los Angeles, une baisse de 87 millions peut sembler peu de chose, dans la mesure où les transferts fédéraux au Québec vont totaliser 31,5 milliards en 2023-2024, mais elle risque de devenir de plus en plus importante au fur et à mesure que l’écart entre le nombre d’immigrants accueillis au Québec et dans le reste du Canada continuera d’augmenter.

S’il est vrai que de plus en plus de Canadiens, d’un océan à l’autre, s’inquiètent des conséquences économiques de seuils d’immigration trop élevés, notamment l’aggravation de la crise du logement, le gouvernement Trudeau maintient toujours un objectif annuel de 500 000 nouveaux arrivants permanents au cours des prochaines années, alors que le Québec a fixé le seuil à 56 000. À ce rythme, le pourcentage d’environ 22 % de la population canadienne qu’il représente aujourd’hui chutera rapidement.

Les formules qui déterminent les transferts fédéraux aux provinces sont basées sur des calculs qui ne tiennent pas compte de considérations comme la capacité d’intégration, d’ailleurs très difficile à évaluer de façon précise, ou encore la protection de l’identité.

Il ne faut sans doute pas voir dans la baisse des sommes versées au Québec une stratégie machiavélique pour le forcer à aligner ses politiques d’immigration sur celles d’Ottawa, sous peine d’être pénalisé, mais l’effet est le même.

La loi du nombre est implacable. Il était déjà manifeste que la volonté du Québec de maintenir les seuils d’immigration à des niveaux compatibles avec sa capacité d’accueil entraînait une diminution de son poids démographique et politique au sein de la fédération. Il apparaît maintenant qu’elle a aussi un coût financier.

Il est nettement plus difficile d’intégrer un nouvel arrivant à une société dont la langue est aussi marginale que le français l’est en Amérique du Nord, et le gouvernement fédéral verse au Québec des sommes substantielles à cet effet, mais on ne peut pas lui demander de le dédommager pour les immigrants qu’il refuse d’accueillir ni d’adapter ses objectifs en fonction des intérêts du Québec. Il appartient plutôt aux Québécois de juger si tous ces aspects sont compatibles.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - L’implacable loi du nombre - Michel David
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L’implacable loi du nombre

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16.01.2024

Selon le premier ministre qu’on élit à Québec, notre relation avec le Canada devient une affaire de coeur, de raison, d’argent ou encore d’opportunisme.

Jean Charest aimait profondément le Canada. Peu importe dans quelle région il se trouvait, il se sentait chez lui. Parfois même un peu trop. En 1998, il a débarqué à Québec la mort dans l’âme, précisément parce qu’on lui a demandé de sauver le pays, mais il aurait surtout voulu le diriger.

Philippe Couillard était aussi un Canadien d’abord et avant tout, mais son attachement était essentiellement rationnel. Comme Pierre Elliott Trudeau, il se méfiait des Québécois et il voyait dans l’appartenance au Canada l’assurance que les droits individuels seraient protégés contre les excès du nationalisme.

Robert Bourassa trouvait le Canada plutôt ennuyant, mais il l’estimait « rentable » pour le Québec. On ne saura cependant jamais ce qu’il aurait fait à la suite du double échec constitutionnel de Meech et de Charlottetown si sa santé lui avait permis de demeurer en poste. Lui-même ne le savait probablement pas.

François Legault a choisi le Canada simplement pour être élu premier ministre. Il a embrassé le fédéralisme par défaut, parce que les........

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