Le printemps se veut la saison du renouveau. Chaque année, au moment où la nature retrouve ses couleurs, le rapport du commissaire aux langues officielles vient toutefois rappeler que le bilinguisme dans les institutions fédérales demeure en hibernation de façon permanente.

« La langue de service demeure un problème récurrent. Cette problématique suggère que les institutions récalcitrantes n’acceptent pas les prémisses qu’elles doivent servir les membres des deux communautés linguistiques dans la langue de leur choix », déplore Raymond Théberge.

Il a bien précisé que cette impossibilité d’être servis dans leur langue concerne surtout les francophones. En effet, on ne doit pas souvent se faire répondre « Sorry I don’t speak English » dans les ministères ou autres organismes fédéraux. Sans surprise, Air Canada remporte encore une fois haut la main le championnat des cancres en matière de bilinguisme.

Il est vrai que le nombre de plaintes reçues par le commissaire a diminué en 2023-2024, mais lui-même n’a pas voulu y voir un signe encourageant. « Je présume que c’est une anomalie », a-t-il dit. Puisque aucun incident comme la choquante exhibition d’unilinguisme du président d’Air Canada, Michael Rousseau, n’a provoqué une vague d’indignation, cela a été business as usual.

Après six années en poste, non seulement M. Théberge n’observe pas de progrès, mais il ne constate aucune volonté d’améliorer les choses. « Ces institutions fédérales ne semblent ni adhérer à la vision d’une fonction publique bilingue ni appuyer la création de milieux de travail dans lesquels les fonctionnaires se sentent habilités à travailler dans la langue de leur choix. »

*****

Il est vrai que le mauvais exemple vient de haut. Le voyageur incapable d’être servi en français à bord d’un avion d’Air Canada ou le fonctionnaire francophone qui préfère parler anglais pour ne pas être privé d’une promotion ne sont pas les seuls à faire les frais de cette procrastination qui s’apparente à une francophobie passive.

La semaine dernière, le commissaire aux langues officielles a confirmé avoir ouvert, à la suite d’une plainte déposée par le sénateur Claude Carignan, une enquête sur les contraventions à la Loi sur les langues officielles qu’aurait commises la Commission d’enquête sur l’ingérence étrangère présidée par la juge Marie-Josée Hogue.

Il déplore que tous les documents présentés par la commission, sauf un, étaient rédigés exclusivement en anglais, alors qu’une version française était disponible sur divers sites du gouvernement. « Même les observations du gouvernement du Canada sont uniquement en anglais », a-t-il dénoncé dans sa plainte.

L’an dernier, M. Carignan avait aussi porté plainte, pour les mêmes raisons, contre la commission Rouleau, qui avait été chargée d’enquêter sur le recours à la Loi sur les mesures d’urgence pour disperser le Convoi de la liberté. M. Théberge lui a donné raison.

*****

Cinquante-cinq ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles, on ne peut plus plaider qu’il faut laisser au temps le temps de faire son oeuvre. S’il existait une quelconque volonté de faire progresser le bilinguisme dans les institutions fédérales, cela aurait dû commencer à paraître depuis longtemps. Qui croit encore à cette fumisterie ? Ce pauvre M. Théberge semble être le seul qui s’en formalise encore.

Au fur et à mesure que le poids démographique des francophones diminue dans l’ensemble du pays, il est difficile d’imaginer comment le souci d’assurer la présence du français pourrait augmenter dans les institutions fédérales. De toute évidence, se voir pointé du doigt année après année dans le rapport du commissaire n’empêche personne de dormir. Et personne n’est sanctionné d’une manière ou d’une autre pour son manque d’effort. La nouvelle version de la loi donnera en principe plus de pouvoirs au commissaire. On verra bien.

Même si elles paraissent insuffisantes aux yeux de plusieurs au Québec, les mesures de protection du français prises par le gouvernement Legault peuvent aussi nourrir la francophobie, passive ou active, dans le reste du pays, où l’adoption de la loi 101 avait déjà créé une commotion.

De toute évidence, le plafonnement des admissions au cégep anglais et la hausse des droits de scolarité imposée aux étudiants canadiens hors Québec désireux de s’inscrire dans une université anglo-québécoise suscitent à la fois la colère et l’incompréhension, comme en témoigne la récente altercation entre le député libéral franco-ontarien Francis Drouin et deux chercheurs québécois, Frédéric Lacroix et Nicolas Bourdon, qui s’étaient rendus à Ottawa pour expliquer à un comité de la Chambre des Communes le risque d’anglicisation que représente la fréquentation des établissements d’enseignement postsecondaire anglais au Québec.

M. Drouin, qui préside également l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, les a traités de « plein de marde » et d’« extrémistes » pour avoir utilisé « un argument qui ne tient pas debout », plaidant lui-même que l’anglicisation est un phénomène mondial, observable également en France, en Belgique ou encore en Afrique.

Peut-être craint-il qu’on fasse payer aux francophones hors Québec les mesures « extrémistes » prises par le Québec. On n’a pourtant jamais eu besoin d’un prétexte pour les ignorer.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - La francophobie passive - Michel David
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

La francophobie passive

49 0
09.05.2024

Le printemps se veut la saison du renouveau. Chaque année, au moment où la nature retrouve ses couleurs, le rapport du commissaire aux langues officielles vient toutefois rappeler que le bilinguisme dans les institutions fédérales demeure en hibernation de façon permanente.

« La langue de service demeure un problème récurrent. Cette problématique suggère que les institutions récalcitrantes n’acceptent pas les prémisses qu’elles doivent servir les membres des deux communautés linguistiques dans la langue de leur choix », déplore Raymond Théberge.

Il a bien précisé que cette impossibilité d’être servis dans leur langue concerne surtout les francophones. En effet, on ne doit pas souvent se faire répondre « Sorry I don’t speak English » dans les ministères ou autres organismes fédéraux. Sans surprise, Air Canada remporte encore une fois haut la main le championnat des cancres en matière de bilinguisme.

Il est vrai que le nombre de plaintes reçues par le commissaire a diminué en 2023-2024, mais lui-même n’a pas voulu y voir un signe encourageant. « Je présume que c’est une anomalie », a-t-il dit. Puisque aucun incident comme la choquante exhibition d’unilinguisme du président d’Air Canada, Michael Rousseau, n’a provoqué une vague d’indignation, cela a été business as usual.

Après six années en poste, non seulement M. Théberge n’observe pas de progrès, mais il ne........

© Le Devoir


Get it on Google Play