La chute des intentions de vote de la Coalition avenir Québec (CAQ), de plus en plus marquée d’un sondage à l’autre, fait espérer à certains que le premier ministre Legault redécouvre l’intérêt d’une réforme du mode de scrutin.

Au cours de la dernière année, il a changé d’idée si souvent sur des questions qui n’avaient jamais semblé soulever chez lui le moindre doute qu’on en arrive à se demander ce qui peut encore être tenu pour définitif.

En 2018, quand la CAQ, le Parti québécois (PQ), Québec solidaire (QS) et le Parti vert ont conclu une entente par laquelle ils s’engageaient à instaurer un mode de scrutin proportionnel, François Legault semblait sincèrement déterminé à en finir avec un système auquel il reprochait de « nourrir le cynisme ».

D’autres avant lui avaient pris le même engagement sans le tenir, mais ayant fondé la CAQ précisément pour faire de la politique différemment des « vieux partis », il jurait bien de ne pas suivre le triste exemple de Justin Trudeau.

Quand le chef péquiste de l’époque, Jean-François Lisée, avait exprimé un doute sur la volonté de M. Legault d’aller jusqu’au bout s’il devenait premier ministre, celui-ci l’avait trouvé « un peu poche » de faire preuve de partisanerie alors que l’heure était à l’unité.

On connaît la suite. Aux élections d’octobre 2018, le système actuel lui a démontré ses qualités en permettant à la CAQ de remporter près de 60 % des sièges avec 38 % du vote. Il fallait donc le maintenir. Dans un premier temps, l’idée de soumettre le projet de réforme à un référendum a permis un report de sa mise en oeuvre à 2026, avant qu’il soit carrément abandonné. Aux élections du 3 octobre 2022, la CAQ a remporté 72 % des sièges avec 41 % du vote.

La CAQ risque maintenant de faire les frais du dysfonctionnement qui lui était si avantageux. Les projections du site Qc125, établies à partir d’une agrégation de sondages et d’une modélisation de diverses données, lui laissent entrevoir une récolte d’aussi peu que 9 sièges sur 125 avec 22 % du vote.

Les élections n’auront lieu que dans deux ans et demi. Bien des choses peuvent changer d’ici là, mais il est également possible qu’elles ne changent pas. Avec les intentions de vote dont la CAQ est créditée présentement, un système qui engendrerait moins de distorsions lui assurerait une vingtaine de sièges. Cela pourrait soudainement intéresser les députés caquistes, qui ne voulaient pas en entendre parler.

Soit, la réforme du mode de scrutin ne provoque pas plus de bagarres dans les autobus qu’au moment où le premier ministre justifiait son abandon par leur absence. La dernière fois que Léger a sondé les Québécois sur le sujet, en octobre 2022, il y en avait néanmoins 53 % qui l’appuyaient. Une proportion nettement supérieure à celle des « intellectuels », groupe qui, selon M. Legault, était le seul à s’intéresser à la question.

Le premier ministre aurait évidemment du mal à faire croire qu’il réfléchit lui-même à la possibilité d’y revenir « depuis un certain », comme il l’a prétendu dans le cas du financement des partis politiques. Que la CAQ trouve désormais son avantage dans une réforme du mode de scrutin ne lui enlèverait toutefois pas ses mérites. Le cynisme n’est pas la voie habituelle vers la vertu, mais il y a parfois des rencontres accidentelles.

En octobre dernier, le député de Jean-Lesage, le solidaire Sol Zanetti, a présenté à l’Assemblée nationale un projet de loi qui reprenait pour l’essentiel celui que le gouvernement Legault avait lui-même présenté en 2019. QS croit sincèrement aux vertus du scrutin proportionnel, mais ce dernier servirait aussi ses intérêts en évitant que son vote en région, trop faible pour se traduire en sièges, soit complètement perdu.

Plus d’une fois dans le passé, le PQ a lui-même saboté une réforme dont il avait pourtant fait la promotion. Comme leurs successeurs caquistes, une fois au pouvoir, ses députés ne voyaient pas l’avantage de changer un système qui les avait fait élire. Il y avait cependant une autre objection : en rendant nettement plus difficile la formation d’un gouvernement majoritaire, un mode de scrutin proportionnel compliquerait également la tenue d’un référendum sur la souveraineté.

La popularité actuelle du PQ est due en bonne partie à l’image de droiture que projette Paul St-Pierre Plamondon, qui pourrait difficilement reculer sur l’engagement de réformer le mode de scrutin sans la compromettre. Mais comment tenir un référendum s’il se retrouve à la tête d’un gouvernement minoritaire ?

Il lui faudrait obligatoirement s’entendre avec QS, et l’expérience des dernières années en a montré l’extrême difficulté. Pour le moment, le PQ peut toujours vanter les vertus de la proportionnelle, mais le statu quo sert bien mieux son projet.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - La vertu dans le cynisme - Michel David
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

La vertu dans le cynisme

11 0
06.02.2024

La chute des intentions de vote de la Coalition avenir Québec (CAQ), de plus en plus marquée d’un sondage à l’autre, fait espérer à certains que le premier ministre Legault redécouvre l’intérêt d’une réforme du mode de scrutin.

Au cours de la dernière année, il a changé d’idée si souvent sur des questions qui n’avaient jamais semblé soulever chez lui le moindre doute qu’on en arrive à se demander ce qui peut encore être tenu pour définitif.

En 2018, quand la CAQ, le Parti québécois (PQ), Québec solidaire (QS) et le Parti vert ont conclu une entente par laquelle ils s’engageaient à instaurer un mode de scrutin proportionnel, François Legault semblait sincèrement déterminé à en finir avec un système auquel il reprochait de « nourrir le cynisme ».

D’autres avant lui avaient pris le même engagement sans le tenir, mais ayant fondé la CAQ précisément pour faire de la politique différemment des « vieux partis », il jurait bien de ne pas suivre le triste exemple de Justin Trudeau.

Quand le chef péquiste de l’époque, Jean-François Lisée, avait exprimé un doute sur la volonté de M. Legault d’aller jusqu’au bout s’il devenait premier ministre, celui-ci l’avait trouvé «........

© Le Devoir


Get it on Google Play