En novembre dernier, deux jours avant le congrès qui allait l’élire porte-parole féminine de Québec solidaire (QS), Émilise Lessard-Therrien avait félicité son ex-collègue Catherine Dorion, qui avait sérieusement écorché le leadership de Gabriel Nadeau-Dubois, et elle avait promis de lutter à son tour « partout où le pouvoir se centralise et se verticalise ».

Manifestement, elle avait sous-estimé la difficulté de la mission qu’elle s’était donnée. Sa détresse fait peine à voir, mais il est un peu étonnant qu’elle vienne tout juste de découvrir les misères de la vie à QS, elle qui y était depuis des années.

La « petite équipe de professionnels tissée serrée » qui entoure GND était déjà en place quand elle était députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, et lui-même ne donne pas l’impression d’avoir tellement changé depuis. Une démission aussi hâtive ne peut que surprendre, après la ténacité qu’elle avait démontrée dans son combat contre la fonderie Horne.

QS n’est pas le seul parti où les militants se plaignent de l’autorité qu’exercent « l’entourage du chef », le « national » ou, pire encore, le « bureau du premier ministre ». Soit, on n’a jamais entendu le moindre murmure à la Coalition avenir Québec — cela viendra peut-être —, mais la contestation était jadis monnaie courante au Parti québécois (PQ). On a même vu les libéraux regimber à l’occasion.

Personne n’a cependant contesté la nécessité d’avoir un véritable chef auquel on reconnaît le dernier mot. On peut toujours le renverser, mais c’est pour le remplacer par un autre. QS s’est donné une structure qui vise précisément à ce qu’il n’y en ait pas, les deux « porte-parole » se neutralisant en quelque sorte l’un l’autre. Si GND a le titre de « chef du deuxième groupe d’opposition », c’est simplement parce que les règles de l’Assemblée nationale l’exigent.

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À l’issue du congrès de Gatineau, un mot était sur toutes les lèvres. Dix-sept ans après sa création, QS avait fait le virage du « pragmatisme ». Après le douloureux épisode des « taxes orange », GND avait voulu en voir la preuve dans l’adoption d’une résolution visant l’exemption des véhicules d’occasion de la TVQ, malgré la pollution qu’ils génèrent.

Il était prématuré d’en conclure que QS allait sacrifier sa pureté originelle pour se rapprocher du pouvoir. À l’instar d’Émilise Lessard-Therrien, de nombreux partisans refusent que leur projet de société « se laisse effacer par les habituels compromis, les calculs d’image et les indicateurs de vote », qui sont l’apanage des vieux partis et de la vieille politique, dont QS se promettait justement de délivrer le Québec.

La mission qu’elle s’était donnée était, au contraire, « d’insuffler un nouveau souffle au parti, ou enfin, un souffle qu’il possédait avant, y faire entrer l’air frais du pays, qui sent bon l’épinette, la terre mouillée et la brise salée du fleuve ». On peut comprendre qu’elle ait eu du mal à faire partager cette approche poétique à ces professionnels entourant GND, qui déshumaniseraient la politique.

C’est un lieu commun de dire que QS doit sortir de l’île de Montréal. Au train où vont les choses, préserver les acquis risque toutefois de devenir la priorité. Mme Lessard-Therrien refuse d’être « à la remorque de ce qui est gagnable à court terme », mais ceux qui ont réussi à conserver leur siège croiront toujours qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Il n’est pas étonnant que le PQ fasse une plus grande place — et offre un meilleur traitement — à l’ancienne députée de Gaspé Méganne Perry Mélançon. Sans les régions, il aurait été rayé de la carte, et elles pourraient le reporter au pouvoir.

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Après 24 heures de réflexion, GND est revenu à l’Assemblée nationale, mais il a mis cartes sur table. Il restera, à la condition que QS devienne clairement « un parti de gouvernement ». Quand il dit que la structure doit être moins lourde, cela signifie qu’on doit lui laisser une plus grande marge de manoeuvre.

Les militants auront maintenant à décider si leur conception de l’action politique est compatible avec la sienne. Il a fait des compromis importants dans le passé, qu’il s’agisse du rapprochement avec le PQ ou de la laïcité, mais il entend maintenant avoir la marge de manoeuvre d’un véritable chef, même s’il ne tient pas nécessairement au titre. Cette fois, ça passe ou ça casse. Le risque d’éclatement est bien réel.

Les idées mènent peut-être le monde, mais dans un système démocratique, il faut convaincre les électeurs de leur justesse. GND ne fait pas plus l’unanimité à l’extérieur qu’à l’intérieur du parti, mais il demeure jusqu’à nouvel ordre le meilleur porteur de ballon pour QS. Même si le résultat des élections d’octobre 2022 a causé une énorme déception, les députés qui se sont rangés derrière lui le savent parfaitement.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Le coup de force de GND - Michel David
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Le coup de force de GND

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02.05.2024

En novembre dernier, deux jours avant le congrès qui allait l’élire porte-parole féminine de Québec solidaire (QS), Émilise Lessard-Therrien avait félicité son ex-collègue Catherine Dorion, qui avait sérieusement écorché le leadership de Gabriel Nadeau-Dubois, et elle avait promis de lutter à son tour « partout où le pouvoir se centralise et se verticalise ».

Manifestement, elle avait sous-estimé la difficulté de la mission qu’elle s’était donnée. Sa détresse fait peine à voir, mais il est un peu étonnant qu’elle vienne tout juste de découvrir les misères de la vie à QS, elle qui y était depuis des années.

La « petite équipe de professionnels tissée serrée » qui entoure GND était déjà en place quand elle était députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, et lui-même ne donne pas l’impression d’avoir tellement changé depuis. Une démission aussi hâtive ne peut que surprendre, après la ténacité qu’elle avait démontrée dans son combat contre la fonderie Horne.

QS n’est pas le seul parti où les militants se plaignent de l’autorité qu’exercent « l’entourage du chef », le « national » ou, pire encore, le « bureau du premier ministre ». Soit, on n’a jamais entendu le moindre murmure à la Coalition avenir Québec........

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