Pour reprendre des expressions à la mode ces temps-ci, Gabriel Nadeau-Dubois a décidé d’« ébranler les colonnes du temple » de Québec solidaire (QS) et il réclame les pouvoirs d’un « top gun ».

La commotion qu’il a créée en déclarant que QS devait se transformer en « parti de gouvernement » a été telle qu’il n’a pas eu à préciser les changements dans la structure et le programme de QS qu’il souhaite apporter, sinon pour dire qu’il faudrait dépoussiérer tout cela. Mais encore ? Comme toujours, le diable est dans les détails, et la vie interne d’un parti politique est faite d’une multitude de détails.

Lui-même ne sait probablement pas jusqu’où il pourra aller dans cette « modernisation » sans provoquer une véritable hémorragie. La vision romantique de l’action politique qu’avait Émilise Lessard-Therrien est partagée par de nombreux militants pour qui la pire chose serait de voir QS devenir un « vieux parti ».

Les députés qui ont accordé leur appui à GND étaient sans doute bien aises de pouvoir plaider l’ignorance. Cela leur a évité de se compromettre avant de savoir d’où le vent soufflerait. Ils auront besoin des militants pour se faire réélire, il vaut donc mieux être prudent.

Là où certains voient du « pragmatisme », d’autres verront plutôt de la « compromission ». À leurs yeux, GND apparaît déjà comme un politicien de carrière prêt à sacrifier les principes de QS pour assouvir son ambition. Et puis, avec le même programme, Manon Massé n’avait-elle pas obtenu plus de votes que lui en 2018 ?

GND dit pouvoir s’accommoder de la direction bicéphale de QS, qui semble d’ailleurs incontournable dans un parti dont le féminisme est une valeur fondamentale. Cela ne pose pas de problème si la porte-parole féminine est membre du caucus, dans la mesure où le chef parlementaire, en l’occurrence GND, a déjà autorité sur elle. Émilise Lessard-Therrien n’aurait peut-être pas vécu cette crise existentielle si elle avait été réélue dans Rouyn-Noranda–Témiscamingue en octobre 2022.

Face à une aile parlementaire qui compte une douzaine d’élus, quel poids peut avoir une porte-parole qui n’est pas députée et quel doit être son rôle ? Celui d’un chien de garde chargé de faire respecter les décisions des militants, ou celui d’un simple ambassadeur du parti, sans réelle influence, comme Mme Lessard-Therrien semblait l’être auprès des régions ? L’élection ou le couronnement de Ruba Ghazal, après l’intérim de Christine Labrie, permettrait d’éluder la question.

Si le duumvirat ne pose pas de problème, quel autre élément de la structure GND voudrait-il modifier ? Serait-ce le Comité de coordination national, ce fameux « politburo » qu’on a tenu pour responsable de l’échec de la « convergence » des partis indépendantistes, que souhaitait notamment GND ? Chose certaine, le top gun de QS semble trouver qu’il n’a pas les coudées suffisamment franches.

Reste le programme. Gabriel Nadeau-Dubois déplore que certaines propositions s’inscrivent dans un horizon de quatre ou cinq mandats, mais il n’y a là rien d’inhabituel. Depuis combien de décennies la souveraineté est-elle au coeur du programme du Parti québécois (PQ) ou le renouvellement du fédéralisme apparaît-il, de plus en plus discrètement, dans celui du Parti libéral du Québec ? La Coalition avenir Québec n’aurait probablement pas assez de dix mandats pour réaliser son programme autonomiste. C’est pourquoi, à la veille d’élections, chaque parti, y compris QS, élabore une plateforme qui énumère les engagements à tenir au cours des quatre prochaines années.

Les objectifs à plus long terme permettent aux électeurs de prendre la mesure des transformations profondes de la société qui sont projetées. Ainsi, quand le programme de QS parle de nationalisation des mines, de la forêt ou des banques, on comprend que la formation souhaite sortir le Québec du système capitaliste, même s’il utilise le terme « dépasser » dans ce cas.

Cela est évidemment de nature à rebuter une grande partie de l’électorat, mais n’en est pas moins le rêve des militants solidaires. Si GND veut effacer ce genre de choses du programme et transformer QS en un parti social-démocrate simplement plus à gauche que le PQ, il va inévitablement perdre des joueurs. Combien ? C’est là toute la question.

Toutes proportions gardées, le virage qu’il souhaite faire prendre à QS rappelle celui que Pierre Marc Johnson avait voulu opérer au PQ en 1987, en remplaçant l’objectif de la souveraineté par celui de « l’affirmation nationale ».

Dans un premier temps, plus de 80 % des délégués à un congrès l’avaient appuyé et le nombre de départs avait été limité. Cela avait cependant été une victoire à la Pyrrhus. Les « orthodoxes » n’avaient pas désarmé et ils s’étaient employés à miner son leadership. À peine cinq mois plus tard, voyant que cette guérilla n’en finirait plus, il avait jeté l’éponge, puis été remplacé par un « vrai croyant » nommé Jacques Parizeau.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Le diable dans les détails - Michel David
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Le diable dans les détails

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05.05.2024

Pour reprendre des expressions à la mode ces temps-ci, Gabriel Nadeau-Dubois a décidé d’« ébranler les colonnes du temple » de Québec solidaire (QS) et il réclame les pouvoirs d’un « top gun ».

La commotion qu’il a créée en déclarant que QS devait se transformer en « parti de gouvernement » a été telle qu’il n’a pas eu à préciser les changements dans la structure et le programme de QS qu’il souhaite apporter, sinon pour dire qu’il faudrait dépoussiérer tout cela. Mais encore ? Comme toujours, le diable est dans les détails, et la vie interne d’un parti politique est faite d’une multitude de détails.

Lui-même ne sait probablement pas jusqu’où il pourra aller dans cette « modernisation » sans provoquer une véritable hémorragie. La vision romantique de l’action politique qu’avait Émilise Lessard-Therrien est partagée par de nombreux militants pour qui la pire chose serait de voir QS devenir un « vieux parti ».

Les députés qui ont accordé leur appui à GND étaient sans doute bien aises de pouvoir plaider l’ignorance. Cela leur a évité de se compromettre avant de savoir d’où le vent soufflerait. Ils auront besoin des militants pour se faire réélire, il vaut donc mieux être prudent.

Là où certains voient du « pragmatisme », d’autres verront........

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