Le débat à l’Assemblée nationale a pris une tournure fruitière cette semaine quand le premier ministre Legault a déclaré, végétaux en main, qu’il ne fallait pas mélanger les pommes, les oranges et les bananes dans le dossier de Northvolt.

La députée libérale des Mille-Îles, Virginie Dufour, lui a ajouté une touche maraîchère en répliquant qu’il devrait plutôt se promener avec un citron et un navet, auxquels elle a comparé le bilan du gouvernement en matière d’habitation.

Il n’a guère plus de succès dans ses négociations avec Ottawa, notamment en matière d’immigration, alors qu’il s’était fait fort de rendre le fédéralisme compatible avec les aspirations du Québec, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’a réussi depuis un demi-siècle.

On peut comprendre sa frustration et son inquiétude devant le peu d’empressement du gouvernement Trudeau à alléger le fardeau que l’afflux massif des demandeurs d’asile impose au Québec, dont les services publics sont déjà saturés, mais interdire l’accès aux garderies subventionnées à leurs enfants ne peut pas constituer ni une réplique ni une solution.

Il est vrai que le Québec accueille une proportion démesurée de demandeurs et que 37 000 Québécois poireautent sur la liste d’attente, mais il est trop facile de les présenter comme des voleurs de places.

Si Ottawa mérite le prix citron aussi bien pour avoir transformé les frontières en passoire que pour sa lenteur à traiter les demandes d’asile, la façon démagogique qu’a la CAQ de désigner un bouc émissaire pour son incapacité à livrer les places en garderie qu’elle avait promises pourrait faire du gouvernement Legault un sérieux candidat au Navet d’or.

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Le ministère de la Famille estime qu’il coûterait 225 millions de dollars pour créer les 5000 places qui permettraient d’accueillir les enfants des demandeurs, mais ils ne seraient pas près de les occuper. En réalité, ils viendraient simplement allonger la liste d’attente jusqu’à ce que leur tour arrive.

L’article 3 de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance stipule que les CPE et les garderies subventionnées doivent être réservés aux personnes qui sont au Québec « principalement pour travailler ».

Soit, les demandeurs d’asile quittent leur pays parce qu’ils croient leur sécurité menacée ou qu’ils se trouvent dans une situation de détresse économique, mais on leur accorde quand même un permis de travail, qu’ils ne demandent qu’à utiliser, souvent en occupant des emplois dont personne d’autre ne veut, et ils paient des impôts. Cela les autorise à recevoir les services auxquels n’importe quel contribuable a droit.

Réalisant peut-être la mesquinerie de sa décision de porter l’affaire devant la Cour suprême, le premier ministre Legault a senti le besoin d’invoquer le motif le plus noble, soit la nécessité de préserver le caractère français du Québec.

Il est certainement urgent de freiner l’afflux des demandeurs d’asile, mais, quel que soit leur nombre, le milieu de travail sera toujours le principal facteur d’intégration. La preuve a été faite de l’extraordinaire effet des CPE sur la participation des femmes au marché du travail. Il serait le même pour les demandeurs d’asile, dont les enfants deviendront au surplus d’irréprochables francophones. C’est « le gros bon sens », comme dirait M. Legault.

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On comprend très bien que la menace péquiste pousse le premier ministre à une surenchère nationaliste, même s’il a fait de l’appartenance à la fédération canadienne une limite infranchissable.

Cela peut aussi l’amener à dire des sottises. Il est absurde de prétendre que le PQ s’est mis à plat ventre devant Ottawa parce qu’il a approuvé l’invalidation de la disposition de la loi sur les services de garde par la Cour d’appel, formée de juges nommés par le gouvernement fédéral. Que lui-même y réagisse en s’adressant à la Cour suprême ne manque pas d’ironie.

S’agissant du gouvernement Trudeau, il est souvent difficile de discerner ce qui doit être attribué à l’incompétence où à la mauvaise foi. Il est vrai que plusieurs se posent la même question à propos du gouvernement Legault.

Dans ce qui ressemble à un dialogue de sourds entre Québec et Ottawa sur l’immigration, il devient difficile de saisir quel jeu l’un et l’autre jouent. Le lieutenant québécois de Justin Trudeau, Pablo Rodriguez, prétend que des discussions entre hauts fonctionnaires se déroulent à une « table » que la ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette, dit inexistante.

On a parfois l’impression que ce flou fait l’affaire de tout le monde. Ottawa ne veut rien céder tout en voulant avoir l’air ouvert, tandis que le gouvernement Legault hésite à pousser l’affrontement trop loin, craignant d’avoir à tirer les conséquences d’un refus trop brutal à des demandes qu’il présente comme existentielles.

Maintenant que l’afflux de demandeurs d’asile commence à faire grogner à Toronto, le gouvernement Trudeau va peut-être s’activer un peu. En attendant, dans le dernier épisode de ce mauvais feuilleton, M. Legault joue le rôle du méchant voisin qui n’aime pas les enfants.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Le Navet d’or - Michel David
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Le Navet d’or

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24.02.2024

Le débat à l’Assemblée nationale a pris une tournure fruitière cette semaine quand le premier ministre Legault a déclaré, végétaux en main, qu’il ne fallait pas mélanger les pommes, les oranges et les bananes dans le dossier de Northvolt.

La députée libérale des Mille-Îles, Virginie Dufour, lui a ajouté une touche maraîchère en répliquant qu’il devrait plutôt se promener avec un citron et un navet, auxquels elle a comparé le bilan du gouvernement en matière d’habitation.

Il n’a guère plus de succès dans ses négociations avec Ottawa, notamment en matière d’immigration, alors qu’il s’était fait fort de rendre le fédéralisme compatible avec les aspirations du Québec, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’a réussi depuis un demi-siècle.

On peut comprendre sa frustration et son inquiétude devant le peu d’empressement du gouvernement Trudeau à alléger le fardeau que l’afflux massif des demandeurs d’asile impose au Québec, dont les services publics sont déjà saturés, mais interdire l’accès aux garderies subventionnées à leurs enfants ne peut pas constituer ni une réplique ni une solution.

Il est vrai que le Québec accueille une proportion démesurée de demandeurs et que 37 000 Québécois poireautent sur la liste d’attente, mais il est trop facile de les présenter comme des voleurs de places.

Si Ottawa mérite le prix........

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