Il y a certains désagréments, plus ou moins graves, avec lesquels il a fallu apprendre à composer parce qu’ils semblent inévitables : les changements climatiques, l’attente à l’urgence, les cônes orange, les retours de Denis Coderre

La difficulté de voyager en français sur Air Canada en est un autre. Depuis l’adoption de la première Loi sur les langues officielles, en 1969, cette ancienne société d’État, privatisée en 1988-1989, remporte systématiquement le championnat des contrevenants.

Année après année, le rapport du Commissariat aux langues officielles dresse la liste de ses infractions et multiplie les recommandations. Malgré les déclarations lénifiantes du transporteur sur l’importance qu’il accorde au bilinguisme, rien n’y fait : la liste ne cesse de s’allonger, et ce délinquant chronique ne semble subir aucun inconvénient qui pourrait l’inciter à apporter des correctifs.

Le rapport de 2022-2023 faisait état d’un triplement des plaintes par rapport aux années antérieures, si on fait exception de celui de 2021-2022, quand la découverte de l’unilinguisme de son p.-d.g., Michael Rousseau, qui s’en était même félicité, avait provoqué une véritable explosion.

Le Devoir a fait état cette semaine d’un rapport préliminaire du commissaire aux langues officielles, qui a fait le suivi de ses recommandations des dernières années et a constaté qu’aucune d’entre elles n’avait été appliquée. Air Canada n’a pas pu fournir le moindre document démontrant que les « mesures positives » qu’il a dit avoir prises l’ont véritablement été.

Comme à son habitude, le commissaire Raymond Théberge s’est efforcé de contenir son exaspération dans la réaction qu’il a transmise au Devoir par courriel, mais on peut facilement lire entre les lignes. « Comme le suivi des recommandations est en cours, je dois limiter mes commentaires. Je tiens toutefois à réitérer qu’il arrive encore trop souvent qu’Air Canada manque à ses obligations linguistiques, que ce soit par l’absence d’offre active, un nombre insuffisant d’employés bilingues ou l’affichage dans une seule langue officielle. »

Ce nouveau rapport n’a pas semblé troubler Air Canada le moindrement. « Nous sommes fiers d’offrir des services dans les deux langues officielles du Canada depuis plus de 50 ans, dans une industrie aux règles complexes, tout en servant nos clients en plus de 20 langues dans 51 pays en plus du Canada, et nous continuerons à offrir notre collaboration au commissaire aux langues officielles dans cet objectif », a indiqué un porte-parole. Bref, le commissaire peut continuer à ergoter, on s’en fout.

Les francophones d’un bout à l’autre du pays ne peuvent que constater la vitesse à laquelle leur langue est évacuée de l’espace public. On l’omet peut-être moins par mesquinerie qu’en l’absence d’une nécessité qui ferait loi, mais le résultat est le même. Air Canada reflète parfaitement le Canada d’aujourd’hui. À prendre tel quel ou à laisser.

Lors de la dernière élection municipale à Calgary, en 2021, l’Association canadienne-française de l’Alberta avait dû porter plainte pour qu’une version française du guide de l’électeur soit rendue disponible. Au départ, le français ne faisait pas partie des 10 langues dans lesquelles il avait été traduit.

En décembre dernier, à Winnipeg, on a chanté un couplet de l’hymne national en pendjabi avant la partie des Jets, ce qui n’avait rien de scandaleux en soi, mais il n’y avait rien en français. Après tout, si la Charte canadienne des droits et libertés a pu introduire la règle du « là où le nombre le justifie » dans un domaine aussi important que l’éducation, faut-il s’étonner que cette règle soit appliquée dans un amphithéâtre ou à bord d’un avion ?

En mars 2023, le gouvernement Legault s’était réjoui qu’Air Canada accepte finalement de se soumettre aux dispositions de la Charte de la langue française en matière de langue de travail, après avoir initialement refusé.

Dans son communiqué, l’entreprise expliquait que sa décision reflétait « sa volonté de contribuer à la protection, à la promotion et au rayonnement de la langue française, dans le respect de la Loi sur les langues officielles qui s’applique au transporteur ».

Cette référence à la Loi sur les langues officielles laisse quelque peu perplexe. Si Air Canada se plie aux exigences de la Charte de la langue française avec le même respect de ses obligations envers le français qu’il l’a démontré depuis un demi-siècle, il y a de quoi s’inquiéter.

Il est à souhaiter que l’Office québécois de la langue française ait plus de succès que le Commissariat aux langues officielles du Canada, mais il ne doit pas être toujours évident de travailler dans une langue pour une entreprise qui n’arrive pas à offrir des services dans cette langue à ses clients.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Le reflet d’un pays - Michel David
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Le reflet d’un pays

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13.01.2024

Il y a certains désagréments, plus ou moins graves, avec lesquels il a fallu apprendre à composer parce qu’ils semblent inévitables : les changements climatiques, l’attente à l’urgence, les cônes orange, les retours de Denis Coderre

La difficulté de voyager en français sur Air Canada en est un autre. Depuis l’adoption de la première Loi sur les langues officielles, en 1969, cette ancienne société d’État, privatisée en 1988-1989, remporte systématiquement le championnat des contrevenants.

Année après année, le rapport du Commissariat aux langues officielles dresse la liste de ses infractions et multiplie les recommandations. Malgré les déclarations lénifiantes du transporteur sur l’importance qu’il accorde au bilinguisme, rien n’y fait : la liste ne cesse de s’allonger, et ce délinquant chronique ne semble subir aucun inconvénient qui pourrait l’inciter à apporter des correctifs.

Le rapport de 2022-2023 faisait état d’un triplement des plaintes par rapport aux années antérieures, si on fait exception de celui de 2021-2022, quand la découverte de l’unilinguisme de son p.-d.g., Michael Rousseau, qui s’en était même félicité, avait provoqué une véritable explosion.

Le Devoir a fait état cette semaine d’un rapport........

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