Le ministre de la Santé, Christian Dubé, n’a pas le découragement facile. C’est le genre d’homme à toujours voir le verre à moitié plein. Il est même capable de se réjouir qu’il soit rempli seulement au quart. On pourrait presque dire qu’il a érigé l’optimisme en politique.

Les urgences débordent, la liste d’attente en chirurgie ressemble à une chaloupe trouée qui se remplit d’eau aussi rapidement qu’on la vide, mais M. Dubé garde le moral et la conviction que la future agence Santé Québec va remettre le réseau sur ses rails.

Cette foi à toute épreuve force l’admiration, bien que les Québécois ne la partagent pas. Seulement 16 % croient que sa réforme améliorera l’accès aux soins, selon un sondage Pallas Data-L’Actualité réalisé à la fin de janvier. Une proportion qui diminue d’une réforme à l’autre. À l’époque, 24 % croyaient aux vertus de celle de Gaétan Barrette.

L’an dernier, une écrasante majorité (84 %) des infirmières actuellement à l’emploi des agences privées, que le gouvernement entend progressivement abolir, estimaient « peu probable » de retourner dans le réseau public, en raison des mauvaises conditions de travail qu’on y trouve.

Même les fonctionnaires ne veulent rien savoir de Santé Québec. Moins de 5 % des professionnels du ministère de la Santé accepteraient d’y être transférés, craignant de s’appauvrir si les dispositions prévues dans le projet de loi 15 s’appliquent telles qu’elles ont été adoptées en décembre dernier. Tout le monde ne peut pas être un top gun.

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« Un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté », disait Churchill. À ce compte, M. Dubé peut de réjouir d’être face à un monde d’opportunités dont l’exploration nécessiterait encore plusieurs mandats.

Les dernières nouvelles concernant les négociations avec les infirmières ne sont pas encourageantes. Il n’y a aucun règlement en vue. La « flexibilité » réclamée par le gouvernement se heurte à une fin de non-recevoir catégorique. La présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Julie Bouchard, a été très claire : aucune entente ne pourra être conclue si le gouvernement persiste à imposer des déplacements entre les établissements ou les unités de soins.

Le gouvernement justifie ces déplacements forcés par un manque de personnel qui est bien réel, mais ils semblent plutôt avoir pour effet d’aggraver encore la pénurie. En Mauricie et dans le Centre-du-Québec, où cette pratique serait courante, quelque 200 infirmières auraient choisi de démissionner ou de prendre une retraite anticipée au cours des neuf derniers mois.

Les syndicats ont parfois tendance à confondre l’intérêt public avec le leur, mais jusqu’à quel point peut-on imposer à une infirmière d’effectuer une tâche exigeant une compétence qu’elle estime ne pas avoir ? Le gouvernement soutient toujours que tous les déplacements sont volontaires, mais pourquoi démissionner si on ne vous impose rien ?

L’optimisme est une belle chose, mais il ne doit pas faire perdre la réalité de vue. L’aveu d’impuissance de Bernard Drainville face à la désillusion des enseignants augure mal de la suite des choses dans le réseau de l’éducation, mais il n’a pas essayé de faire passer des vessies pour des lanternes. En raison de la pénurie, il ne pouvait pas leur accorder ce qu’il n’avait pas. M. Dubé est dans la même situation face aux infirmières.

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Le ministre de la Santé est non seulement un optimiste, mais aussi un pacifiste. Contrairement à Gaétan Barrette, qui voulait pénaliser financièrement les médecins qui refuseraient de prendre en charge davantage de patients, M. Dubé a voulu éviter l’affrontement, préférant renier la promesse de donner à chaque Québécois l’accès à un médecin de famille.

Il y a quand même sur la liste d’attente 13 000 patients vulnérables pour lesquels l’accès à une infirmière ou à un pharmacien ne suffit pas. Apparemment, cela est encore trop pour la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), qui a adressé au gouvernement une mise en demeure vendredi l’intimant de renoncer à publier le règlement qui forcerait leur prise en charge, en plus de donner au gouvernement l’accès aux données sur les disponibilités des cliniques médicales.

Se disant placée devant un fait accompli sans avoir été consultée, ce qu’elle estime être une violation de son « droit à l’association et son corollaire, le droit à la négociation », la FMOQ entend « casser le moule ».

Depuis cinquante ans, tous les gouvernements ont fini par reculer devant les médecins. Cette fois, M. Dubé assure qu’il tiendra bon. Il le faut, c’est la crédibilité de toute sa réforme qui en dépend. Forcer les médecins à entrer dans le moule pourrait même en convaincre certains que son optimisme n’est peut-être pas si saugrenu. Et puis, ce bras de fer tombe à point : pour la première fois depuis longtemps, le gouvernement peut espérer avoir la population de son côté.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Un bras de fer qui tombe à point - Michel David
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Un bras de fer qui tombe à point

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17.02.2024

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, n’a pas le découragement facile. C’est le genre d’homme à toujours voir le verre à moitié plein. Il est même capable de se réjouir qu’il soit rempli seulement au quart. On pourrait presque dire qu’il a érigé l’optimisme en politique.

Les urgences débordent, la liste d’attente en chirurgie ressemble à une chaloupe trouée qui se remplit d’eau aussi rapidement qu’on la vide, mais M. Dubé garde le moral et la conviction que la future agence Santé Québec va remettre le réseau sur ses rails.

Cette foi à toute épreuve force l’admiration, bien que les Québécois ne la partagent pas. Seulement 16 % croient que sa réforme améliorera l’accès aux soins, selon un sondage Pallas Data-L’Actualité réalisé à la fin de janvier. Une proportion qui diminue d’une réforme à l’autre. À l’époque, 24 % croyaient aux vertus de celle de Gaétan Barrette.

L’an dernier, une écrasante majorité (84 %) des infirmières actuellement à l’emploi des agences privées, que le gouvernement entend progressivement abolir, estimaient « peu probable » de retourner dans le réseau public, en raison des mauvaises conditions de travail qu’on y trouve.

Même les fonctionnaires ne veulent rien savoir de Santé Québec. Moins de 5 % des........

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