Le dictionnaire Larousse définit une crise de la façon suivante : « Moment très difficile dans la vie de quelqu’un, d’un groupe, dans le déroulement d’une activité, etc. ; situation marquée par un trouble profond. »

On peut difficilement nier que la situation dans laquelle se trouve présentement le monde agricole, où le revenu net va chuter de 86,5 % en 2024, après une baisse de 49,2 % en 2023, selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, correspond à cette définition. On n’aurait pas vu pareille dégringolade depuis 1938.

Le ministre québécois de l’Agriculture, André Lamontagne, refuse néanmoins de parler d’une crise. En mêlée de presse jeudi dernier, il a reconnu que le secteur avait vécu une « année excessivement difficile », évoquant les « grandes turbulences » causées par la hausse des taux d’intérêt, une météo désastreuse, les chocs d’approvisionnement dus à la pandémie… Bref, ce qu’on appelle communément une « tempête parfaite », qui a tout de la crise sauf le mot.

Aux producteurs agricoles qui se mobilisent et réclament une bonification des programmes d’aide, M. Lamontagne répond que son ministère analyse présentement les données permettant d’établir les projections de revenus pour 2024 et qu’il attend des rapports.

Il n’a cependant pas besoin d’un rapport pour savoir que le budget de son ministère a été pratiquement gelé, malgré le S.O.S. que l’UPA avait lancé au ministre des Finances. Le gouvernement Legault ayant choisi de consacrer tout l’argent disponible à la santé et à l’éducation, l’agriculture fait partie des nombreux secteurs qui devront se serrer la ceinture.

Il y a trois ans, alors que l’ancienne ministre de l’Habitation Andrée Laforest s’entêtait à nier l’existence d’une crise du logement, le premier ministre Legault avait expliqué qu’il ne fallait pas parler de crise, parce que « ça a des impacts », sans toutefois préciser lesquels. Peut-être pensait-il surtout aux impacts politiques négatifs pour son gouvernement.

La députée de Vaudreuil, Marie-Claude Nichols, qui était encore membre du caucus libéral à l’époque, avait manifesté son exaspération face à ce déni d’une réalité qui sautait pourtant aux yeux de tous : « À un moment donné, la CAQ doit arrêter de se mettre la tête dans le sable et prononcer le mot qui commence par C. » Ce réflexe d’autruche semble contagieux au Conseil des ministres.

D’ailleurs, reconnaître l’existence d’une crise ne signifie pas nécessairement prendre les moyens pour la surmonter. L’actuelle ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a bel et bien reconnu qu’il y avait une crise du logement, mais elle ne semble pas saisir les multiples facettes du drame qu’elle provoque.

Un de ces « impacts », auquel M. Legault n’avait sans doute pas pensé, est l’encombrement des maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violence, qui sont incapables de répondre à la demande parce que les séjours s’allongent en raison de la pénurie de logements abordables. Le moment était particulièrement mal choisi pour ordonner l’arrêt de la construction de nouvelles maisons, la ministre les ayant jugées trop coûteuses.

L’inaptitude à régler un problème n’entraîne pas nécessairement une sanction. À force de durer, ce qui était perçu au départ comme une crise se transforme parfois en une nouvelle normalité, à laquelle on finit par se résigner. On enrage toujours, mais il y a longtemps qu’on ne se surprend plus de poireauter plus de 15 heures à l’urgence ou d’avoir à s’engager dans un véritable marathon pour trouver un rendez-vous avec un médecin.

En 2016, juste avant que son poste ne soit aboli par le gouvernement Couillard, le Commissaire à la santé et au bien-être disait que les urgences du Québec affichaient la pire performance du monde occidental, malgré les promesses que les gouvernements précédents avaient répétées les uns après les autres.

Il y a un an, l’actuel ministre de la Santé, Christian Dubé, demandait encore un peu de patience. « Remettre de l’ordre dans le système de santé, on est chanceux si ça prend trois ans », déclarait-il en février 2023. Cela nous mène à 2026, année électorale, s’il faut le préciser.

Au point où on en est, plusieurs s’estimeront déjà chanceux si les choses ne se détériorent pas davantage. Comme les enseignants de la FAE, les infirmières de la FIQ donnent l’impression d’avoir accepté l’entente de principe avec le gouvernement la mort dans l’âme. « Ce n’est pas une entente qui va faire revenir le personnel dans le réseau », a déclaré la présidente du Syndicat des professionnelles en soins de Montérégie-Ouest. Pas très encourageant.

Une crise permanente cesse en quelque sorte d’en être une. Les sondages ont beau citer la santé et l’éducation comme les priorités des Québécois, aucun gouvernement depuis trente ans n’aurait sans doute été réélu s’il avait été jugé sur sa seule performance dans ces secteurs.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Une crise, dites-vous? - Michel David
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Une crise, dites-vous?

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26.03.2024

Le dictionnaire Larousse définit une crise de la façon suivante : « Moment très difficile dans la vie de quelqu’un, d’un groupe, dans le déroulement d’une activité, etc. ; situation marquée par un trouble profond. »

On peut difficilement nier que la situation dans laquelle se trouve présentement le monde agricole, où le revenu net va chuter de 86,5 % en 2024, après une baisse de 49,2 % en 2023, selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, correspond à cette définition. On n’aurait pas vu pareille dégringolade depuis 1938.

Le ministre québécois de l’Agriculture, André Lamontagne, refuse néanmoins de parler d’une crise. En mêlée de presse jeudi dernier, il a reconnu que le secteur avait vécu une « année excessivement difficile », évoquant les « grandes turbulences » causées par la hausse des taux d’intérêt, une météo désastreuse, les chocs d’approvisionnement dus à la pandémie… Bref, ce qu’on appelle communément une « tempête parfaite », qui a tout de la crise sauf le mot.

Aux producteurs agricoles qui se mobilisent et réclament une bonification des programmes d’aide, M. Lamontagne répond que son ministère analyse présentement les données permettant d’établir les projections de revenus pour 2024 et qu’il attend des rapports.

Il n’a cependant pas besoin d’un........

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