Pour son émission « À l'air libre » du 30 avril, le site Mediapart avait convié Julien Talpin et Olivier Esteves, auteurs du livre La France tu l’aimes mais tu la quittes (Seuil). Pour leur apporter la contradiction, le média n’a rien trouvé de mieux que d’inviter la militante voilée et ex-directrice de l’UNEF, Maryam Pougetoux. Il ne manquait plus que l’ex-président du CCIF (dissout et rebaptisée CCIE, Collectif contre l'islamophobie en Europe) Marwan Muhammad pour assurer la diversité des points de vue.

A LIRE AUSSI : Marwan Muhammad : l'islamisme politique sous le masque du "musulman lambda"

Diversité que l’on constate d’emblée. À la question de la présentatrice, Valentine Oberti, « En un mot, comment vous qualifiez l’atmosphère dans le pays à l’égard des musulmans ? », Julien Talpin répond « étouffante » tandis que Maryam ose un diamétralement opposé « anxiogène ».

On ne se rend d’ailleurs pas compte à quel point les deux auteurs ont fait preuve de courage en osant parler en public de ce problème. Julien Talpin affirme : « Il est risqué de se lancer dans ce sujet pour sa carrière. » Un peu comme pour le féminisme, l’omerta règne. Il ajoute que « des collègues racisés universitaires ont eu à subir des attaques extrêmement violentes, qui, pour un certain nombre d’entre eux, les ont conduits à quitter la France. » Et si personne n’en a entendu parler, c’est sans doute car l’évoquer est beaucoup trop dangereux.

A LIRE AUSSI : Requête devant la CEDH, deuxième vie en Belgique : que devient le Collectif contre l’islamophobie en France ?

L’auteur a toutefois la pudeur de ne pas faire étalage de son immense courage : « Ça fait partie de notre responsabilité, y compris en tant que personnes pour qui la charge raciale, au fond, de cette question-là, est moins forte, de la prendre à bras-le-corps et de la mettre sur la scène publique ». Seuls les historiens pourront mesurer dans quelques décennies l’ampleur de leur audace.

A LIRE AUSSI : Belgique : Le Collectif contre l’islamophobie (CIIB) généreusement financé... par des institutions "islamophobes"

Maryam Pougetoux précise que la méfiance à l’égard des musulmans ne touche pas seulement le travail mais également le sport : « Est-ce que je vais pouvoir rentrer dans tel club ? » Maryam ne confondrait-elle pas voile et islam ? Nullement puisque la distinction n’est quasiment jamais faite entre les deux au cours de l’émission qu'on pourrait rebaptiser « L’essentialisation pour les nuls ».

A LIRE AUSSI : Port du voile sur les terrains de foot : "Les Hijabeuses" poursuivent leur combat "inclusif"… avec Sephora

De même, lorsqu’est évoqué à plusieurs reprises le « tiraillement » que cela représente d’être « française et musulmane », pas une fois les invités ne semblent envisager le fait que ce tiraillement pourrait être vecteur de réflexion tant remettre en question ses croyances d’origine semble constituer pour tous ces intellectuels le pire des fléaux.

« C’est difficile et c’est douloureux », témoigne Maryam Pougetoux devant les auteurs qui multiplient les moues compatissantes. Elle ajoute : « C’est constamment se remettre en question en disant : quelles sont les injonctions qu’on me fait et que la société me fait vs. qu’est-ce que j’ai, moi, envie de faire au quotidien ? » Et rien n’est plus scandaleux que de remettre en question le règne de l’ultra-individualisme de notre époque.

A LIRE AUSSI : L'ex-directeur du CCIF Marwan Muhammad raconte n'importe quoi sur la France à la télé turque

À la question – à peine orientée – de savoir si elle a « l’impression que le pays (la) déteste », elle répond : « Pas le pays en soi mais la manière dont les lois sont faites ». Il s’agit sans doute du fameux racisme d’État, incontestable selon la présentatrice qui évoque « la loi sur le séparatisme dont Mediapart a documenté qu’elle visait surtout les musulmans et les musulmanes ». Qui oserait mettre en doute une telle démonstration ?

A LIRE AUSSI : Critiquée pour son voile, une responsable de l'Unef assure qu'il "n'est pas un symbole politique"

Julien Talpin ajoute que beaucoup ont l’impression qu’on ne peut plus « lutter contre les discriminations comme le faisait simplement le CCIF ». Simplement, c’est le mot. Tout juste pourrait-on ajouter : « sans aucune arrière-pensée ». Olivier Esteves renchérit en louant dans les autres pays « la banalité de la pratique de la religion sur le lieu de travail ; la possibilité d’aller prier sur le lieu de travail, avec des salles de prière, voilà, quoi ». Voilà effectivement une grande avancée, même si l’on peut trouver dommage de ne pas autoriser les prédications d’imams saoudiens à la cantine.

Certaines personnes questionnées dans le livre et exilées à l'étranger confessent : « On n’en aurait jamais demandé autant ». L’auteur, après avoir blâmé « l’exceptionnalité française », précise : « Ils ont dû apprendre à désapprendre la France ». Il y aurait donc une culture française ? Quelle horreur. Quant à savoir si faire figure d’exception serait nécessairement faire fausse route, là encore, le sujet ne sera jamais abordé. La présentatrice résume à merveille le « débat » : « Grosso modo, tout ce qui est un problème en France trouve une solution à l’étranger, voire n’est même pas un sujet. » Et comme on vient de le voir, ne pas être un sujet est précisément la quête ultime de l’émission.

A LIRE AUSSI : "Islamophobie : l’invention d’un concept"

D’après les auteurs, beaucoup de personnes interrogées quittent la France car elles veulent « protéger (leurs) enfants de l’atmosphère oppressive en France » et ne pas leur faire subir ce qu’ils ont eux-mêmes subi. Une expression revient même très souvent dans leur bouche : « Enfin, je respire ».

La présentatrice abonde : « Une fois à l’étranger, l’horizon s’éclaircit. C’est le passage le plus frappant de votre livre : l’épanouissement que suscite cet exil». Hélas, combien des réfugiés qui fuient la guerre pour la France savent qu’ils abandonnent un cercle de l’enfer pour un autre ?

« Est-ce qu’à ça se superpose aussi le passé colonial de la France ? » demande naïvement la présentatrice. La réponse des auteurs risque de vous surprendre : « Y a une forte dimension postcoloniale dans cet ouvrage effectivement. »

Comment douter d’une telle enquête dont le point de départ est « un appel à témoins publié dans le club de Mediapart » qui, ensuite, « circule au sein d’associations et de médias communautaires » ? C’est d’autant moins possible que les auteurs eux-mêmes annoncent solennellement : « Le livre se lit comme une histoire de France du racisme et de l’islamophobie ces dernières années. » Vivement qu’elle soit enseignée dès l'école primaire !

A LIRE AUSSI : Complaisances avec l'islamisme : "Toutes les forces politiques sont responsables du marasme ambiant"

Que serait une émission de Mediapart digne de ce nom sans un détour par la Palestine ? À la pointe de l’investigation, Maryam Pougetoux affirme, au sujet de « la garde à vue de ceux qui manifestent pour Gaza » : « Je suis sûre que si on fait une enquête sur quel est le pourcentage de personnes racisées, de personnes minorisées, ben, ce sera clairement des personnes soit musulmanes, soit racisées, etc. » « Ce serait intéressant de le vérifier », répond la présentatrice. Intéressant mais surtout pas indispensable. Julien Talpin termine l’émission par une note positive « Les choses bougent. On a quand même un candidat, à gauche, aux dernières élections qui emploie le mot "islamophobie", ce qui est quand même relativement nouveau. » Alors nous sommes sauvés.

QOSHE - L'exil comme horizon pour les Français musulmans : Mediapart ou "l’essentialisation pour les nuls" - Samuel Piquet
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

L'exil comme horizon pour les Français musulmans : Mediapart ou "l’essentialisation pour les nuls"

48 0
04.05.2024

Pour son émission « À l'air libre » du 30 avril, le site Mediapart avait convié Julien Talpin et Olivier Esteves, auteurs du livre La France tu l’aimes mais tu la quittes (Seuil). Pour leur apporter la contradiction, le média n’a rien trouvé de mieux que d’inviter la militante voilée et ex-directrice de l’UNEF, Maryam Pougetoux. Il ne manquait plus que l’ex-président du CCIF (dissout et rebaptisée CCIE, Collectif contre l'islamophobie en Europe) Marwan Muhammad pour assurer la diversité des points de vue.

A LIRE AUSSI : Marwan Muhammad : l'islamisme politique sous le masque du "musulman lambda"

Diversité que l’on constate d’emblée. À la question de la présentatrice, Valentine Oberti, « En un mot, comment vous qualifiez l’atmosphère dans le pays à l’égard des musulmans ? », Julien Talpin répond « étouffante » tandis que Maryam ose un diamétralement opposé « anxiogène ».

On ne se rend d’ailleurs pas compte à quel point les deux auteurs ont fait preuve de courage en osant parler en public de ce problème. Julien Talpin affirme : « Il est risqué de se lancer dans ce sujet pour sa carrière. » Un peu comme pour le féminisme, l’omerta règne. Il ajoute que « des collègues racisés universitaires ont eu à subir des attaques extrêmement violentes, qui, pour un certain nombre d’entre eux, les ont conduits à quitter la France. » Et si personne n’en a entendu parler, c’est sans doute car l’évoquer est beaucoup trop dangereux.

A LIRE AUSSI : Requête devant la CEDH, deuxième vie en Belgique : que devient le Collectif contre l’islamophobie en France ?

L’auteur a toutefois la pudeur de ne pas faire étalage de son immense courage : « Ça fait partie de notre responsabilité, y compris en tant que personnes pour qui la charge raciale, au fond, de cette question-là, est moins forte, de la prendre à bras-le-corps et de la mettre sur la scène publique ». Seuls les........

© Marianne


Get it on Google Play