Le 20 septembre 2023, la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement de l'Inde, a voté un amendement à la Constitution qui institue un quota de 33% de femmes dans cette assemblée, ainsi que dans les assemblées législatives des Etats fédérés. Il était temps : c'était une revendication de longue date des associations féministes indiennes et cet amendement attendait depuis 27 ans d'être voté.

À l'heure actuelle, la Lok Sabha compte 15 % d'élues, son niveau historique le plus haut. À titre de comparaison, la France compte 38 % de femmes députées, l'Afrique du Sud 45 %, le Brésil 18 %, et les Etats-Unis 29 %.

Les assemblées des Etats indiens fédérés en comptent moins que la Lok Sabha nationale, à l'exception de celle de l'Etat du Chhattisgarh (18 %). L'assemblée du Rajasthan compte par exemple 14 % de femmes, celle du territoire de New Delhi 10 %, celles du Madhya Pradesh et du Kerala 9 %, celles du Maharashtra et du Gujarat 8 %, du Bihar 2 % et de l'Himachal Pradesh 1 %. Réserver aux femmes un tiers des sièges des assemblées législatives constitue donc un progrès incontestable pour la moitié féminine (48 %) du corps électoral..

Une mise en œuvre retardée

Mais le nouveau quota ne sera pas appliqué tout de suite. En tout cas pas aux élections législatives de cette année, comme le réclamaient les partis d'opposition. Car le gouvernement nationaliste hindou, issu du Bharatiya Janata Party (BJP), a décidé de ne le mettre en œuvre qu'après un recensement général de la population et le redécoupage des circonscriptions électorales qui s'en suivra. Il ne prendra effet « qu'après 2029 », date des élections générales suivantes, a précisé le ministre de l'Intérieur Amit Shah lors des débats parlementaires.

Ce quota est aussi conçu comme une mesure provisoire pour accélérer la montée des femmes en politique : il ne sera appliqué que durant 15 ans.

Une réussite au niveau local

À vrai dire, il n'est pas le premier quota dont bénéficient les Indiennes : depuis 1993, un tiers des sièges des conseils municipaux et des postes de maires de village leur sont déjà réservés. Cette discrimination positive a permis l'élection d'environ un million et demi de femmes aux fonctions locales. Et les résultats ont été plutôt probants.

Une étude de terrain publiée en 2010 et co-réalisée par l'économiste Esther Duflo, a montré que quand les conseils de villages (panchayats) sont dirigés par des femmes, les villageoises vont plus facilement y parler de leurs préoccupations. Ces conseils affichent aussi des investissements plus élevés dans les biens communs : eau potable, infrastructures sanitaires, écoles et centres de santé.

En 2009, une tentative du gouvernement de rehausser ce quota d'élues locales de 33 % à 50 %, au niveau national, a échoué. Mais quelques Etats fédérés y sont parvenus. Le Bihar l'avait appliqué dès 2006 et il a été suivi de vingt autres Etats : Sikkim, Chhattisgarh, Madhya Pradesh, Rajasthan, Uttarakhand, Kerala, etc. Ces quotas ont élevé la moyenne nationale de femmes dans les panchayats à 46% aujourd'hui et, dans certains Etats, comme le Karnataka, leur présence excède les 50 %.

Le magazine indien Outlook relatait récemment qu'en 1993, l'arrivée de 33 % d'élues locales avait été accueillie avec scepticisme, mais leur gestion avait ensuite fait ses preuves et « influencé positivement la gouvernance locale », permettant « à cette révolution sociale de s'étendre à d'autres niveaux de prise de décision ».

Trois ans après l'instauration de 33 % d'élues au niveau local, un amendement instituant le même taux pour la Lok Sabha avait donc été proposé. Mais ce texte de 1996 a dû attendre longtemps : la chambre haute du Parlement (Rajya Sabha) ne l'a adopté qu'en 2010, tandis que la Lok Sabha en a reporté le vote, jusqu'à son adoption finale en septembre dernier, à une quasi-unanimité.

Quelques femmes de premier plan, dans un monde politique masculin

La demande d'une mesure de soutien à la représentation des femmes dans les assemblées indiennes est ancienne : elle remonte aux années Trente, sous l'administration coloniale britannique, le British Raj. L'idée a refait surface au moment de l'indépendance de l'Inde en 1947 : elle a été débattue par l'Assemblée Constituante, mais rejetée. Ensuite, au fil des décennies, entre militantisme des féministes indiennes, débats, recommandations et aléas politiques, l'idée a cheminé lentement, dans un paysage politique qui était, comme partout ailleurs dans le monde, dominé par les hommes.

Pourtant, l'Inde a comporté, et comporte encore, quelques figures féminines importantes en politique. La plus connue est Indira Gandhi : fille du premier Premier ministre de l'Inde indépendante, Jawaharlal Nehru, elle a été Première ministre elle-même à deux reprises (1966-1977, puis 1980-1984), au nom du parti du Congrès, la formation de centre-gauche qui a mené le pays à l'indépendance.

Sa belle-fille Sonia Gandhi a repris le flambeau et a présidé le parti du Congrès de 1998 à 2017, puis de 2019 à 2022. Elle a aussi été à la tête de l'Alliance progressiste Unie (coalition de partis de gauche) de 2004 à 2023.

La Lok Sabha elle-même a été présidée de 2009 to 2014 par la députée Meira Kumar (parti du Congrès). Par ailleurs, deux Etats de l'Union indienne ont élu des femmes à leur tête. Le Bengale Occidental est gouverné depuis 2011 par Mamata Banerjee, venue du parti du Congrès avant de fonder en 1998 le parti All India Trinamool Congress (gauche). Et avant elle, l'Etat de l'Uttar Pradesh avait été dirigé à quatre reprises (1995, 1997, 2002-2003 et 2007-2012) par Kumari Mayawati, première représentante des Dalits (Intouchables) à occuper cette fonction.

Enfin, deux femmes ont été élues au poste honorifique, mais prestigieux, de la présidence de la République : Pratibha Patil (Parti du Congrès) de 2007 à 2012 et Droupadi Murmu (BJP), présidente depuis 2022.

Un des outils d'une évolution complexe

Mais malgré la présence de femmes à ces postes emblématiques, leur représentation est globalement restée minoritaire. En saluant l'adoption de ce quota de 33 % de femmes députées, la presse indienne a donc estimé qu'il pourrait favoriser une évolution des mentalités, en contribuant à modifier l'image traditionnelle des femmes, à affaiblir les stéréotypes de genre et à promouvoir leurs droits.

Et c'est effectivement l'effet attendu, même si l'expérience a montré que – quel que soit le pays – les processus d'émancipation des femmes et l'évolution des mentalités sont lents et dépendent de facteurs plus nombreux et plus complexes que la seule hausse du nombre de femmes élues.

La participation des femmes au marché du travail est l'un de ces facteurs. Les pressions exercées par la société civile jouent aussi un rôle. On l'a constaté en Inde avec la réaction de la population au viol collectif d'une jeune femme de New Delhi, le 16 décembre 2012. D'immenses manifestations avaient alors provoqué un vif débat public et entraîné un durcissement des sanctions pénales contre le viol. Plus récemment, on a aussi pu mesurer l'impact international du mouvement #MeToo sur les violences sexuelles.

Les quotas en politique ne sont donc qu'un des multiples outils du changement. Mais ils sont un jalon historique et peuvent aussi influencer le contenu des lois. La presse indienne a même suggéré qu'une présence accrue de femmes pourrait contribuer à moraliser la vie politique. Il est vrai qu'à l'heure actuelle, il pèse des charges criminelles sur 233 des 543 élus de la Lok Sabha, dont 159 suspectés de crimes sérieux, notamment de violences à l'égard des femmes, de viols, d'enlèvements et de tentatives de meurtre.

QOSHE - Vers un quota de 33% de femmes députées en Inde - Bénédicte Manier
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Vers un quota de 33% de femmes députées en Inde

8 1
01.02.2024

Le 20 septembre 2023, la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement de l'Inde, a voté un amendement à la Constitution qui institue un quota de 33% de femmes dans cette assemblée, ainsi que dans les assemblées législatives des Etats fédérés. Il était temps : c'était une revendication de longue date des associations féministes indiennes et cet amendement attendait depuis 27 ans d'être voté.

À l'heure actuelle, la Lok Sabha compte 15 % d'élues, son niveau historique le plus haut. À titre de comparaison, la France compte 38 % de femmes députées, l'Afrique du Sud 45 %, le Brésil 18 %, et les Etats-Unis 29 %.

Les assemblées des Etats indiens fédérés en comptent moins que la Lok Sabha nationale, à l'exception de celle de l'Etat du Chhattisgarh (18 %). L'assemblée du Rajasthan compte par exemple 14 % de femmes, celle du territoire de New Delhi 10 %, celles du Madhya Pradesh et du Kerala 9 %, celles du Maharashtra et du Gujarat 8 %, du Bihar 2 % et de l'Himachal Pradesh 1 %. Réserver aux femmes un tiers des sièges des assemblées législatives constitue donc un progrès incontestable pour la moitié féminine (48 %) du corps électoral..

Une mise en œuvre retardée

Mais le nouveau quota ne sera pas appliqué tout de suite. En tout cas pas aux élections législatives de cette année, comme le réclamaient les partis d'opposition. Car le gouvernement nationaliste hindou, issu du Bharatiya Janata Party (BJP), a décidé de ne le mettre en œuvre qu'après un recensement général de la population et le redécoupage des circonscriptions électorales qui s'en suivra. Il ne prendra effet « qu'après 2029 », date des élections générales suivantes, a précisé le ministre de l'Intérieur Amit Shah lors des débats parlementaires.

Ce quota est aussi conçu comme une mesure provisoire pour accélérer la montée des femmes en politique : il ne sera appliqué que durant 15 ans.

Une réussite au niveau local

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