L’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan viennent de publier Comment bifurquer, Les principes de la planification écologique (La Découverte, Zones, 2024). Cet ouvrage fait suite à certains qu’ils avaient l’un et l’autre fait connaître auparavant[1].

Celui-ci pose d’emblée que la dénommée crise écologique est due à l’accumulation capitaliste ; la cible est donc : « le capitalisme n’a d’autre boussole que le profit, et il n’investira que s’il en escompte un » (p. 13, 14). Ils structurent leur ouvrage en quatre parties. La première montre l’impasse du capitalisme vert et des solutions de marché. Comme celles-ci ne fonctionnent pas, l’intervention de l’État est indispensable. La deuxième partie s’attache à montrer que l’établissement d’une planification écologique suppose une définition des besoins à satisfaire prioritairement. La troisième partie essaie de dessiner ce que serait un calcul écologique en nature. La quatrième partie esquisse le régime politique qui permettrait de bâtir une planification véritable de la transition écologique.

Mais, avant de se lancer dans le décorticage de chacune de ces parties, Durand et Keucheyan posent leur problématique centrale : « définir le calcul en nature, et dire son actualité brulante […] Les catégories de l’économie sont récusées. Le calcul en nature, c’est autre chose que l’"encastrement des marchés" cher à Polanyi. » (p. 35-36). On reviendra sur cette problématique, mais faisons déjà remarquer que la notion d’encastrement de Polanyi est plus subtile que ce raccourci : l’encastrement – et son envers le désencastrement – dont parle Polanyi, c’est celui de l’ensemble de économie dans la société et pas seulement des marchés. La nuance est de taille, et l’oublier revient à confondre économie et marché, confusion fréquente chez les économistes orthodoxes et parfois aussi chez les hétérodoxes.

1. Comment définir les besoins ?

La première partie du livre Durand et Keucheyan porte sur la définition des besoins, sujet toujours traité avec frilosité dans la littérature économique, parce que personne ne peut tracer une frontière sûre et définitive entre besoins essentiels et besoins superflus, dans la mesure où ils sont tous construits socialement en rapport avec le contexte historique, le niveau de développement économique et social et les rapports de force entre classes sociales[2]. La contrainte écologique rajoute un obstacle supplémentaire de nos jours. Les auteurs ne cherchent pas à éviter cette difficulté mais ils pensent la résoudre en retenant neuf éléments définissant des « standards de vie décente », comme se nourrir, se loger, se vêtir, s’éduquer, s’informer, se déplacer (p. 73)[3]. Mais parler de vie décente pose immédiatement le problème des inégalités sociales et des inégalités entre pays riches et pays pauvres (p. 75).

Les éléments qualitatifs d’une vie décente entrent alors en jeu. Liberté et égalité doivent être compatibles avec la soutenabilité. On reconnaît l’influence des thèses de la justice de Rawls et des capabilités de Sen, mais en quoi aident-elles concrètement à cerner les besoins et à nous rendre à même de « gouverner par les besoins » (titre de la deuxième partie, p. 57). Si le principe est juste : « Quand certaines formes de besoins se révèlent incompatibles avec les écosystèmes, leur maîtrise collective permet de corriger la trajectoire de spéciation, et de la remettre sur la voie de la soutenabilité. » (p. 60), la réalisation concrète est un travail d’Hercule.

Les auteurs pensent que, pour y parvenir, « il faut renoncer aux approches subjectives – aujourd’hui hégémoniques – du bien-être, par définition individualistes, et y substituer une approche par les besoins, qui permette d’articuler point de vue individuel et point de vue collectif dans le rapport à la consommation. C’est alors que les besoins réels pourront remplacer les besoins artificiels. » (p. 69). Mais c’est contradictoire avec le fait que tous les besoins sont des constructions sociales dont les normes et comportements sont intériorisés par les individus, au point que les prétendues approches subjectives ne sont que le résultat des processus de socialisation avec au bout un habitus de consommation.

2. Un calcul écologique en nature sans calcul économique ?

Ici se loge le cœur du livre de Durand et Keucheyan. En comparant l’urgence climatique et écologique à la situation d’une guerre, « Dans les économies de guerre, le politique fait faire des prouesses à l’économie. […] Poussée à la limite, la socialisation organisationnelle rend concevable le basculement de la logique marchande dans son contraire : la planification. » (p. 41-45). Et les auteurs ajoutent que la redistribution est opérée en partie par les transferts dits « en nature » comme, l’éducation, la santé ou le logement, « qui sont gratuits ou dont les prix son politiquement administrés » (p. 65). Cependant, il faut dire que le fait qu’ils soient dénommés « transferts en nature » ne signifie pas qu’ils soient calculés en nature, ils le sont en monnaie.

Les auteurs ont totalement raison de récuser la théorie néoclassique dont le calcul coûts-avantages est « abracadabrant » (p. 86) et qui donne l’illusion d’une commensurabilité du risque écologique (p. 93). Cette critique est balisée depuis plusieurs décennies, même si les auteurs ne s’y référent pas. C’est dommage car cela leur aurait peut-être évité de tomber dans le panneau de la « valeur intrinsèque » du climat et de la biodiversité, ainsi que dans celui du « capital naturel » (p. 93-94). Ces erreurs créent une ambiguïté qui court ensuite dans tout le livre : « Cela implique que nos activités humaines soient soumises à une évaluation en nature de leurs effets sur l’environnement, c’est-à-dire procéder à un calcul social-écologique qui se surimpose aux évaluations économiques usuelles » (p. 95, souligné JMH). Là se situe le problème à la fois théorique et pratique : oui, il faut des comptabilités-matières dans chaque domaine afin de suivre l’état des ressources et de la biodiversité ; non, elles ne se substituent pas à la comptabilité économique parce qu’elles ne sont pas évaluables en monnaie, sauf fictivement, et parce que les prix, quel que soit leur mode de fixation (par le marché ou administrativement), restent indispensables dans une société où règne la division du travail. Autrement dit, le calcul économique en termes de valeurs d’usage (p. 95) n’a aucun sens, car la valeur d’usage ne se mesure pas. C’est la vielle leçon de l’économie politique qui va d’Aristote à Marx. Pour Durand et Keucheyan, Hayek avait sans doute raison sur le point que « le marché pense mieux que ne pourront jamais les individus » (p. 96), ce qui explique qu’il soit sorti vainqueur dans l’entre-deux-guerres de son débat avec Oscar Lange sur l’information et la connaissance apportées par les prix, tout en étant contraint de concéder la nécessité du « commissaire-priseur »[4] centralisateur dans un système soi-disant décentralisé.

Le problème de la démonstration de Durand et Keucheyan naît alors avec leur « grammaire du calcul en nature » (p. 101) qu’ils puisent chez l’économiste autrichien Otto Neurath de la première moitié du XXe siècle. Or, la nécessité impérieuse d’économiser les ressources en s’assurant pour toutes prises individuellement de leur quantité physique (et de leur qualité) ne rend pas possible « l’utilisation d’indicateurs agrégés en nature » (p. 105, souligné JMH). Cette addition n’a aucun sens, elle n’est que le fruit de l’imaginaire inconscient néoclassique. Et on se demande bien comment les auteurs peuvent accréditer le rapport de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (p. 104) qui, sous couvert de recherche de nouveaux indicateurs, a avalisé la conception néoclassique de la richesse (au passage, confondue avec la valeur).

Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, nous approuvons la réfutation de l’idée selon laquelle « entre l’approche coasienne, qui privilégie la distribution de droits de propriété, et la solution pigouvienne, qui plaide pour une taxe, le dénominateur commun est la validité du calcul marchand en matière écologique et la possibilité de valoriser la nature » (p. 108). Mais cela n’implique pas l’abandon du calcul économique : dans les tableaux d’échanges industriels de type Leontief (construits chaque année par l’Insee dans les tableaux d’entrées-sorties), les échanges entre secteurs ne sont pas donnés en nature mais en monnaie[5]. Les auteurs enfourchent ce qui est devenu un lieu commun : « il faut rompre avec le PIB » (p. 117). Répétons une fois de plus : il faut rompre avec l’objectif de faire croître le PIB, mais pas avec cet indicateur lui-même qui donne la somme des revenus monétaires bruts annuels d’une économie.

Les auteurs sont alors enfermés dans une contradiction insurmontable : à raison, ils affirment que « la biosphère n’est comparable à rien et ne saurait donc avoir de valeur »[6] (p. 131), mais ils se fourvoient quand ils écrivent que « les coûts écologiques non payés sont estimés, non par la valeur monétaire supposée des services naturels, mais par les coûts qu’implique la restauration de la capacité des écosystèmes » (p. 131), alors que cette restauration ne représente que le travail humain direct et indirect qui est mis en œuvre pur l’accomplir, mais ne peut équivaloir à une « valeur » de la capacité des écosystèmes, dont on a dit qu’elle était incommensurable à quoi que ce soit.

Il s’ensuit que l’adhésion des auteurs au modèle du CARE (Comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement)[7] est antagonique avec le caractère qu’ils disent « inestimable » (p. 135) du renouvellement de l’environnement, mais dont il faut inclure le montant dans les documents comptables des entreprises. Comprenne qui pourra[8]. Leur conclusion concernant ce modèle selon lequel « l’impératif de protection de l’environnement est effectivement intégré dans l’analyse financière » (p. 136) se heurte aux mêmes obstacles devant lesquels butent par ailleurs Aglietta et Espagne.

Nos remarques n’invalident pas du tout, bien au contraire, que « les crédits distribués par les banques d’investissement/désinvestissement [doivent être] conditionnés par un faisceau de critères écologiques qui définissent l’espace de déploiement des activités financières » (p. 160).

Peut-on objecter aux auteurs un optimisme excessif quand ils pensent que les efforts d’investissement au détriment de la consommation seront temporaires et que le passage à une agriculture écologique ne demandera que quelques années (p. 161-162) ? La mutation structurelle de l’appareil productif nécessitant de mobiliser davantage d’épargne ne demandera-t-elle que « cinq à dix ans » (p. 162), quand nous pencherions plutôt vers plusieurs décennies, sans parler du fait que, pendant la phase de transition, l’épargne existante ne dispensera pas d’une création monétaire pour l’investissement net macroéconomique ?

3) Les enjeux politiques de la planification écologique

Durand et Keucheyan montrent bien que la démocratie est une condition de la réussite de la planification écologique. C’est l’objet de leur dernière partie. La première question à se poser est de savoir si, comme ils le disent, « les modèles de circuit court constituent un point d’appui au dépassement général de la division entre production et consommation » (p. 173). D’une part, celle-ci est la conséquence logique de la division du travail en amont ; d’autre part, les circuits courts sont noués entre petits producteurs et consommateurs bien distincts.

L’intégration numérique sera-t-elle le « maitre mot » d’une « socialisation croissante » (p. 181) ? Ne retrouvons-nous pas ici l’illusion technique dont beaucoup de révolutionnaires ont souvent été victimes ? Est-il certain que si « côté consommateur, les plateformes offrent une grande variété de scénarios d’achats personnalisés ; côté fabrication et logistique, les algorithmes anticipent les processus pour répondre au plus vite à la demande. Avec l’intégration, prédictibilité et flexibilité se conjuguent » (p. 181), on serait dans une stratégie de relative sobriété et de respect de contraintes décidées au plan collectif ? Les auteurs font confiance au « cyberespace » pour « élargir les possibilités de relations entre producteurs et consommateurs », à condition que « les organisations et les personnes ne soient pas noyées dans une information surabondante » (p. 182). Le cyberespace qui serait donc sobre en informations ? Les réseaux sociaux qui « rendraient praticable une association entre big data et agentivité accrue des individus », « l’e-commerce devenant social » (p. 187-191) ?

Après l’envol dans le cyberspace comme espace de socialisation, le retour sur terre avec « le calcul en nature [qui] consiste à bâtir des scénarios de transition fondés sur une évaluation non monétaire des ressources disponibles, à hiérarchiser politiquement les besoins, puis à mettre l’appareil productif au service de leur satisfaction. » (p. 201) « L’allocation des ressources matérielles et humaines sous la forme du calcul en nature sera l’enjeu central. » (p. 202). Mais le problème crucial rencontré plus haut resurgit : contrairement à l’affirmation abrupte et définitive de Durand et Keucheyan, « une autre logique, celle de se passer des prix » (p. 86) est intenable. Malgré le fait qu’une planification écologique ait besoin de comptabilités matières, il restera obligatoirement à les traduire en termes monétaires : amortissement des équipements, valeur des consommations intermédiaires, salaires…

Il y a dans le livre de Durand et Keucheyan une sorte de mystère : ils inscrivent à raison leur réflexion dans une démarche politique et stratégique d’émancipation de l’aliénation capitaliste vers une « post-croissance »[9] (p. 223), une « économie stationnaire » (p. 224), une « démocratie augmentée » (p. 235), toutes transformations impliquant une modification énorme des rapports de force sociaux, mais dont les difficultés se résoudraient par la vertu des techniques d’information, par celle du calcul écologique en nature, sorte d’immense troc de l’ère numérique, et par la magie du big data de créer une cohérence entre l’immensité des données rassemblées et la sobriété indispensable.

On ne peut pas tout demander à un livre, surtout celui dont le but est d’explorer un terrain nouveau. Mais, tout de même, il faut attendre les trois dernières pages pour que soient évoquées « les conditions socio-politiques » de la planification écologique (p. 248). Comme il est tard pour le faire, les auteurs se rallient in extremis à la thèse défendue par Gérard Duménil et Dominique Lévy qui analysent le capitalisme comme un ensemble tripolaire avec la classe des propriétaires du capital, celle des cadres et les classes populaires. Comme eux, Durand et Keucheyan voient la possibilité d’une alliance entre les cadres « organisateurs » et les classes populaires. Par quel miracle ? Par le fait que le groupe des cadres organisateurs « n’est pas concerné au premier chef par la dévalorisation du capital, ses membres peuvent se sentir relativement protégés par rapport aux risques de transformation » (p. 249). Cela ne relèverait-il pas un peu la méthode Coué, car qui possède une part non négligeable du capital des entreprises, sinon le haut encadrement ?

« La planification écologique sera sociale ou ne sera pas. » (p. 250). Tel est le dernier mot des auteurs. Gageons que ce sera le premier des débats que va faire naître leur livre.

[1] Notamment pour le premier auteur, Technoféodalisme, Critique de l’économie numérique (Zones, 2020), et pour le second, Les besoins artificiels, Comment sortir du consumérisme (Zones, 2019). Ensemble, leur article « Planifier à l’âge des algorithmes », Actuel Marx, 1er semestre 2019.

[2] Pour un complément à cette critique des besoins, voir Pierre Khalfa, « Planification écologique, un débat nécessaire, À propos du livre de Cédric Durand et Razmig Keucheyan », Les Possibles, n° 39, Printemps 2024.

[3] La même idée avait été exprimée récemment par Les Économistes atterrés dans De quoi avons-nous vraiment besoin ? (Paris, Les Liens qui libèrent, 2022).

[4] L’image du commissaire-priseur est due à l’économiste Léon Walras.

[5] Voir Insee, « TES et TEE », https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793638?sommaire=6793644.

[6] Pas de référence ?

[7] Jean-Marie Harribey, « Du nouveau dans la comptabilité d’entreprise ? » Blog Alternatives économiques, 21 mars 2022.

[8] D’où les auteurs sortent-ils le statut d’« inestimable », nié dans pratiquement toute la littérature sur la soutenabilité écologique ? Quelle est leur référence ? Ce ne peut-être la littérature néoclassique, ni celle du marxisme orthodoxe traditionnel, ni celle de la plupart des écologistes convertis à la valeur intrinsèque de la nature. Où donc ? Mystère...

[9] Le thème de la post-croissance est aussi celui du livre de Tim Jackson, Post-croissance, Vivre après le capitalisme, 2021, Paris, Actes Sud, 2024.

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Le calcul écologique en nature de Cédric Durand et Razmig Keucheyan

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24.04.2024

L’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan viennent de publier Comment bifurquer, Les principes de la planification écologique (La Découverte, Zones, 2024). Cet ouvrage fait suite à certains qu’ils avaient l’un et l’autre fait connaître auparavant[1].

Celui-ci pose d’emblée que la dénommée crise écologique est due à l’accumulation capitaliste ; la cible est donc : « le capitalisme n’a d’autre boussole que le profit, et il n’investira que s’il en escompte un » (p. 13, 14). Ils structurent leur ouvrage en quatre parties. La première montre l’impasse du capitalisme vert et des solutions de marché. Comme celles-ci ne fonctionnent pas, l’intervention de l’État est indispensable. La deuxième partie s’attache à montrer que l’établissement d’une planification écologique suppose une définition des besoins à satisfaire prioritairement. La troisième partie essaie de dessiner ce que serait un calcul écologique en nature. La quatrième partie esquisse le régime politique qui permettrait de bâtir une planification véritable de la transition écologique.

Mais, avant de se lancer dans le décorticage de chacune de ces parties, Durand et Keucheyan posent leur problématique centrale : « définir le calcul en nature, et dire son actualité brulante […] Les catégories de l’économie sont récusées. Le calcul en nature, c’est autre chose que l’"encastrement des marchés" cher à Polanyi. » (p. 35-36). On reviendra sur cette problématique, mais faisons déjà remarquer que la notion d’encastrement de Polanyi est plus subtile que ce raccourci : l’encastrement – et son envers le désencastrement – dont parle Polanyi, c’est celui de l’ensemble de économie dans la société et pas seulement des marchés. La nuance est de taille, et l’oublier revient à confondre économie et marché, confusion fréquente chez les économistes orthodoxes et parfois aussi chez les hétérodoxes.

1. Comment définir les besoins ?

La première partie du livre Durand et Keucheyan porte sur la définition des besoins, sujet toujours traité avec frilosité dans la littérature économique, parce que personne ne peut tracer une frontière sûre et définitive entre besoins essentiels et besoins superflus, dans la mesure où ils sont tous construits socialement en rapport avec le contexte historique, le niveau de développement économique et social et les rapports de force entre classes sociales[2]. La contrainte écologique rajoute un obstacle supplémentaire de nos jours. Les auteurs ne cherchent pas à éviter cette difficulté mais ils pensent la résoudre en retenant neuf éléments définissant des « standards de vie décente », comme se nourrir, se loger, se vêtir, s’éduquer, s’informer, se déplacer (p. 73)[3]. Mais parler de vie décente pose immédiatement le problème des inégalités sociales et des inégalités entre pays riches et pays pauvres (p. 75).

Les éléments qualitatifs d’une vie décente entrent alors en jeu. Liberté et égalité doivent être compatibles avec la soutenabilité. On reconnaît l’influence des thèses de la justice de Rawls et des capabilités de Sen, mais en quoi aident-elles concrètement à cerner les besoins et à nous rendre à même de « gouverner par les besoins » (titre de la deuxième partie, p. 57). Si le principe est juste : « Quand certaines formes de besoins se révèlent incompatibles avec les écosystèmes, leur maîtrise collective permet de corriger la trajectoire de spéciation, et de la remettre sur la voie de la soutenabilité. » (p. 60), la réalisation concrète est un travail d’Hercule.

Les auteurs pensent que, pour y parvenir, « il faut renoncer aux approches subjectives – aujourd’hui hégémoniques – du bien-être, par définition individualistes, et y substituer une approche par les besoins, qui permette d’articuler point de vue individuel et point de vue collectif dans le rapport à la consommation. C’est alors que les besoins réels pourront remplacer les besoins artificiels. » (p. 69). Mais c’est contradictoire avec le fait que tous les besoins sont des constructions sociales dont les normes et comportements sont intériorisés par les individus, au point que les prétendues approches subjectives ne sont que le résultat des processus de socialisation avec au bout un habitus de consommation.

2. Un calcul écologique en nature sans calcul économique........

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