Pendant le premier conflit mondial, la Revue d’économie politique a continué à être publiée. Les économistes ont écrit sur la guerre, se demandant comment produire, comment financer et comment faire payer l’Allemagne. Des questions attendues, mais les réponses le sont moins !

Quand démarre la Première Guerre mondiale, la Revue d’économie politique est bien installée en France. Elle existe depuis 1887 et publie six numéros par an. Le chercheur Ramón Tortajada a relu la revue, qui a continué à être publiée pendant le conflit, pour s’intéresser aux contributions qui portent sur la guerre.

A quoi s’intéressent alors les économistes quand ils s’emparent du sujet ? Sans prétendre à l’exhaustivité…

Quand démarre la Première Guerre mondiale, la Revue d’économie politique est bien installée en France. Elle existe depuis 1887 et publie six numéros par an. Le chercheur Ramón Tortajada a relu la revue, qui a continué à être publiée pendant le conflit, pour s’intéresser aux contributions qui portent sur la guerre.

A quoi s’intéressent alors les économistes quand ils s’emparent du sujet ? Sans prétendre à l’exhaustivité, quelques thèmes importants, peu surprenants, ressortent, mais avec souvent des idées originales dans la façon de les traiter.

Comment produire ? C’est bien sûr l’une des questions clés à laquelle tentent de répondre plusieurs articles en 1916 et 1917. Edmond Villey, l’un des cofondateurs de la revue, appelle nettement à travailler plus : des journées de onze heures, « voire même de douze heures ne menacent pas la santé de l’ouvrier, auquel l’oisiveté est souvent plus nuisible ».

« L’union des patrons et des ouvriers »

Mais lorsqu’on réclame plus aux salariés, il faut aussi leur donner plus, explique l’économiste : augmenter les salaires, leur attribuer une participation aux bénéfices, et alors « un grand pas serait fait dans l’union des patrons et des ouvriers, du capital et du travail ». Et si l’union a du mal à se faire, il faut établir des « comités mixtes », un lieu institutionnel où l’on puisse discuter et établir des compromis.

Même son de cloche chez l’un des autres fondateurs de la revue, Charles Gide. Il met sur la touche les propositions des économistes libéraux réclamant de dissoudre les syndicats et d’abroger les lois qui réduisent le temps de travail. Les gains de productivité permettent de produire plus en travaillant moins. Mais pour lui aussi, ce n’est possible que s’il y a « plus de justice dans l’organisation et la rémunération du travail ».

Pour tous ces économistes non libéraux, la justice sociale est la condition de la productivité nécessaire pour accroître la production

Dès 1914, Gide écrivait que l’après-guerre pourrait être marquée par une diminution des conflits sociaux : la reconstruction va nourrir les profits pendant que le manque de main-d’œuvre avec les morts au combat va pousser les salaires à la hausse. « Cette ascension parallèle des salaires et des profits pourrait déjà constituer une condition de paix sociale. » Pour tous ces économistes non libéraux, la justice sociale est la condition de la productivité nécessaire pour accroître la production.

Autre thème important, le financement de la guerre. Au cours du conflit, il s’agit surtout de tenter de démontrer que les conditions financières de la France sont bonnes – les créanciers internationaux peuvent prêter au pays sans crainte –, et même bien meilleure qu’en Allemagne et chez les autres ennemis.

En 1918, une contribution qui constate le recours à la planche à billets demande à l’Etat d’arrêter d’emprunter à la Banque de France et d’augmenter plutôt les impôts. Et pour être certain que l’Etat ne fera pas trop pression, il faut assurer l’indépendance de la Banque de France à l’égard du gouvernement !

La dette, déjà

Mais l’essentiel du financement de la guerre provient de la dette. Comment régler le problème une fois le conflit terminé ? Les projets originaux ne manquent pas. Par exemple, ajouter toutes les dépenses de guerre, en particulier le paiement des intérêts de la dette, et les répartir entre les Alliés (France, Empire britannique, Italie, Etats-Unis) au prorata du niveau de revenu national.

Evidemment, dans ce plan proposé par Charles Gide, l’essentiel de la charge de la dette incombe alors aux Etats-Unis. Et l’économiste de proposer de les dédommager en leur abandonnant par exemple la Guadeloupe, la Martinique et quelques autres territoires !

Autre possibilité, que les Alliés émettent un grand emprunt international commun pour rembourser les dettes de guerre. Problème, afin d’être certain que tout le monde se comporte bien, il faudrait en contrepartie organiser un contrôle mutuel des politiques budgétaires des pays, et « il ne serait pas aisé de résoudre ce problème sans risquer de provoquer certaines susceptibilités », commente Gide – qui n’aurait pas été dépaysé par les débats sur les règles budgétaires européennes.

L’économiste Daniel Bellet précise dans sa contribution que « nous n’aurons certainement pas intérêt à épuiser définitivement l’Allemagne »

On trouve dès 1915 des réflexions sur le montant des indemnités de guerre que l’Allemagne pourra payer une fois vaincue. A une époque où il n’existait pas de comptabilité nationale, les calculs sont un peu héroïques, mais l’économiste Daniel Bellet précise bien dans sa contribution que « nous n’aurons certainement pas intérêt à épuiser définitivement le pays ».

Plus tard, en 1917, Charles Gide conseillera de ne pas boycotter les produits allemands une fois la guerre terminée, afin d’éviter de transformer le conflit en une guerre économique.

D’autres contributions portent sur la dynamique des prix (Charles Rist), la démographie (Arthur Girault), l’organisation industrielle de l’Allemagne (Henri Hauser), etc.

Encore une fois, ce tour d’horizon est très loin d’être exhaustif, mais il montre qu’en pleine guerre totale, une partie des débats économiques portait sur la recherche de la paix sociale par la justice sociale, sur les moyens d’une coopération internationale pour répondre au problème d’une dette élevée, et sur la façon de faire payer les vaincus sans compromettre le rétablissement des liens entre anciens ennemis.

QOSHE - 1914-1918 : A quoi réfléchissent les économistes pendant la guerre ? - Christian Chavagneux
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1914-1918 : A quoi réfléchissent les économistes pendant la guerre ?

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12.04.2024

Pendant le premier conflit mondial, la Revue d’économie politique a continué à être publiée. Les économistes ont écrit sur la guerre, se demandant comment produire, comment financer et comment faire payer l’Allemagne. Des questions attendues, mais les réponses le sont moins !

Quand démarre la Première Guerre mondiale, la Revue d’économie politique est bien installée en France. Elle existe depuis 1887 et publie six numéros par an. Le chercheur Ramón Tortajada a relu la revue, qui a continué à être publiée pendant le conflit, pour s’intéresser aux contributions qui portent sur la guerre.

A quoi s’intéressent alors les économistes quand ils s’emparent du sujet ? Sans prétendre à l’exhaustivité…

Quand démarre la Première Guerre mondiale, la Revue d’économie politique est bien installée en France. Elle existe depuis 1887 et publie six numéros par an. Le chercheur Ramón Tortajada a relu la revue, qui a continué à être publiée pendant le conflit, pour s’intéresser aux contributions qui portent sur la guerre.

A quoi s’intéressent alors les économistes quand ils s’emparent du sujet ? Sans prétendre à l’exhaustivité, quelques thèmes importants, peu surprenants, ressortent, mais avec souvent des idées originales dans la façon de les traiter.

Comment produire ? C’est bien sûr l’une des questions clés à laquelle tentent de répondre plusieurs articles en 1916 et 1917. Edmond Villey, l’un des cofondateurs de la revue, appelle nettement à travailler plus : des journées de onze heures, « voire même de douze heures ne menacent pas la........

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