Deux sociologues reviennent sur le confinement de masse et la répression des récalcitrants que la France a particulièrement exercée, avec des pratiques d’arbitraire policier qui ont été peu contestées.

C’est un souvenir douloureux qui remonte à la surface : celui de « l’attestation de déplacement dérogatoire », que chacun d’entre nous remplissait avec soin avant de pousser la porte de son domicile, aux mois de mars et d’avril 2020, lorsque les pouvoirs publics imposèrent le confinement pour stopper la propagation du virus SARS-Cov2.

Deux sociologues, Théo Boulakia et Nicolas Mariot, exhument pour nous cet épisode, en cherchant à répondre à la question : pourquoi avons-nous obéi ?

C’est un souvenir douloureux qui remonte à la surface : celui de « l’attestation de déplacement dérogatoire », que chacun d’entre nous remplissait avec soin avant de pousser la porte de son domicile, aux mois de mars et d’avril 2020, lorsque les pouvoirs publics imposèrent le confinement pour stopper la propagation du virus SARS-Cov2.

Deux sociologues, Théo Boulakia et Nicolas Mariot, exhument pour nous cet épisode, en cherchant à répondre à la question : pourquoi avons-nous obéi ?

Rien n’était pourtant évident face au Covid, ni les méthodes de soins, ni la tenue du système de santé, ni les mesures d’interdiction et de contrainte. Et c’est une des premières surprises de cet essai, L’attestation. Une expérience d’obéissance de masse printemps 2020, le « confinement » en particuliera prit des formes bien différentes selon les pays, leurs traditions politiques, et surtout leur appareil policier et de surveillance.

Rares furent les Etats qui imposèrent non seulement des confinements à domicile, l’interdiction de circuler dans les espaces naturels et des instruments de répression comme l’amende forfaitaire de 135 euros distribuées à tire-larigot (plus de 1,1 million d’amendes).

Pratiques arbitraires mais acceptées

Sur l’échelle de l’enfermement de masse et de la répression des récalcitrants, la France occupe ainsi la troisième place en Europe, derrière l’Espagne et l’Italie, quand les pays du Nord apparaissent comme des terres de libertés.

Pour une efficacité à l’aune de la prévention qu’on peut juger (a posteriori) douteuse, puisque des pays qui n’ont pratiquement pas confiné leurs populations, comme le Danemark, ont vu leur mortalité… baisser en 2020 !

Comme les auteurs, on peut s’étonner de ce que, « une fois l’obéissance acquise, on referma la parenthèse du confinement sans vraiment se demander ce qui s’était joué dans ces semaines extraordinaires où la liberté d’aller et de venir de millions d’individus avait été presque totalement suspendue ».

Pendant les deux premiers mois du Covid, les écoles, les entreprises, les administrations et même les rues furent vidées de leurs occupants habituels. Et pour la première fois toute la population, quel que soit son âge, genre, habitat ou position sociale fut confrontée à la pratique policière du contrôle d’identité, réservée en temps « normaux » aux hommes plutôt jeunes, noirs ou maghrébins, citadins, habitants des quartiers populaires (cocher la case…).

Des pratiques régulières d’arbitraire policier (compter le nombre de baguettes de pains dans les cabas…) furent appliquées à des personnes âgées, des ruraux, des bourgeois, etc. Et ce sans pratiquement de résistance

Des pratiques régulières d’arbitraire policier (compter le nombre de baguettes de pains dans les cabas…) furent appliquées à des personnes âgées, des ruraux, des bourgeois, etc. Et ce sans pratiquement de résistance, voire une certaine complaisance des médias qui rapportaient les débordements autoritaires.

Omerta statistique

Dans ce naufrage accepté des libertés individuelles, l’attestation dérogatoire a tenu un rôle central, puisque sa formulation, (copiée sur « l’attestation sur l’honneur »), conduisait ceux qui la remplissaient à intérioriser les règles de la répression. Comme si déclarer « sortir de 11 heures à 12 heures » autorisait par avance les forces de l’ordre à verbaliser dès 12h01.

L’expérience, si commune soit-elle, n’effaça pourtant pas les inégalités structurelles, puisque c’est à Mayotte et en Seine-Saint-Denis, départements les plus pauvres de France, que les amendes tombèrent en avalanche, épargnant les départements ruraux de l’Hexagone.

Pour faire un premier bilan de cette expérience, les deux sociologues ont dû affronter une sorte de mur du silence. Le gouvernement, qui avait orchestré le confinement et revendiqué hautement la répression des récalcitrants, n’est pas pressé d’ouvrir ses archives.

Pas de commission parlementaire d’enquête, mais aussi peu de recherches en sciences politiques ou en droit. A quoi s’ajoute la rétention des statistiques publiques : impossible par exemple de connaître le nombre de contrôles par département, alors que le ministre de l’intérieur était capable de communiquer des chiffres au niveau de l’ensemble du pays !

Obtenir les chiffres sur les amendes délivrées a demandé deux années et le recours à la justice administrative. Les auteurs se sont donc appuyés sur « un éventail de sources » dont (à retrouver en détail sur le site), dont les données de Google pour les mobilités, le dépouillement de la presse quotidienne pour le suivi de l’action policière, et surtout l’enquête « la vie en confinement » (dite Vico), issue de l’initiative que quelques chercheurs en sciences sociales, qui, pendant et juste après le confinement ont réussi à collecter 16 000 questionnaires très complets, mis en ligne par la presse quotidienne régionale.

On ajoutera aussi une enquête auprès des membres des forces de l’ordre dont la publication est à venir. C’est un effort considérable pour un essai qui touche juste mais fait apparaître les lacunes du débat démocratique. Il serait pourtant urgent de faire le bilan complet de l’arsenal mis en place en ce printemps 2020, plaide Nicolas Mariot, « car on se demande ce à quoi le gouvernement aura recours la prochaine fois… »

L’attestation. Une expérience d’obéissance de masse, printemps 2020, par Théo Boulakia et Nicolas Mariot. Editions Anamosa, septembre 2023, 400 pages, 25 euros

QOSHE - Confinements Covid : un recul inédit des libertés curieusement accepté - Hervé Nathan
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Confinements Covid : un recul inédit des libertés curieusement accepté

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08.12.2023

Deux sociologues reviennent sur le confinement de masse et la répression des récalcitrants que la France a particulièrement exercée, avec des pratiques d’arbitraire policier qui ont été peu contestées.

C’est un souvenir douloureux qui remonte à la surface : celui de « l’attestation de déplacement dérogatoire », que chacun d’entre nous remplissait avec soin avant de pousser la porte de son domicile, aux mois de mars et d’avril 2020, lorsque les pouvoirs publics imposèrent le confinement pour stopper la propagation du virus SARS-Cov2.

Deux sociologues, Théo Boulakia et Nicolas Mariot, exhument pour nous cet épisode, en cherchant à répondre à la question : pourquoi avons-nous obéi ?

C’est un souvenir douloureux qui remonte à la surface : celui de « l’attestation de déplacement dérogatoire », que chacun d’entre nous remplissait avec soin avant de pousser la porte de son domicile, aux mois de mars et d’avril 2020, lorsque les pouvoirs publics imposèrent le confinement pour stopper la propagation du virus SARS-Cov2.

Deux sociologues, Théo Boulakia et Nicolas Mariot, exhument pour nous cet épisode, en cherchant à répondre à la question : pourquoi avons-nous obéi ?

Rien n’était pourtant évident face au Covid, ni les méthodes de soins, ni la tenue du système de santé, ni les mesures d’interdiction et de contrainte. Et c’est une des premières surprises de cet essai, L’attestation. Une expérience d’obéissance de masse printemps 2020, le « confinement » en particuliera prit des formes bien différentes selon les pays, leurs traditions........

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