En tête de notre sélection hebdomadaire, l’ouvrage Comment verser de l’argent aux pauvres ?, de Guillaume Allègre, qui propose une réflexion philosophique et des mesures concrètes pour aider les plus démunis.
Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : Comment verser de l’argent aux pauvres ? Dépasser les dilemmes de la justice sociale, par Guillaume Allègre ; Pour une écologie politique. Au-delà du capitalocène, par Michel Aglietta et Etienne Espagne ; De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l'impérialisme électoral, par Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, et Faut-il aider les autres ? Repenser la solidarité pour la renouveler, par Marc Lévy.
Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : Comment verser de l’argent aux pauvres ? Dépasser les dilemmes de la justice sociale, par Guillaume Allègre ; Pour une écologie politique. Au-delà du capitalocène, par Michel Aglietta et Etienne Espagne ; De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l’impérialisme électoral, par Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, et Faut-il aider les autres ? Repenser la solidarité pour la renouveler, par Marc Lévy.
1/ « Comment verser de l’argent aux pauvres ? », par Guillaume Allègre
A l’heure où le gouvernement veut obliger les allocataires du RSA à réaliser 15 heures d’« activités » par semaine, ce livre tombe à pic. Parce qu’il remet en perspective historique et philosophique les débats du moment, mais aussi parce qu’il fait des propositions concrètes et progressistes pour améliorer le sort des plus démunis.
Car, comme l’explique Guillaume Allègre d’entrée de jeu, l’économiste doit porter tour à tour la casquette du plombier, celle de l’ingénieur et celle du philosophe. Il doit connaître la tuyauterie dans le détail, selon une approche expérimentale chère à Esther Duflo, mais aussi comprendre la mécanique générale, sans oublier de se poser la question des finalités de son travail, de ce qui est juste, dans une veine rawlsienne, car le calcul économique ne peut s’abstraire du politique.
Un instrument par objectif
Côté plomberie et ingénierie, l’ouvrage décrit très bien les différentes strates du système de redistribution français, en retraçant son historique et en le comparant aux modèles sociaux de nos voisins. Un système complexe, certes, mais cette complexité a son utilité, défend l’auteur.
On demande trop souvent à un instrument de politique publique de viser l’ensemble des objectifs souhaitables : avoir un bon rendement, sauver la planète, réduire les inégalités de niveau de vie, entre hommes et femmes, etc.
L’exemple de l’impôt sur le revenu est symptomatique : il est censé financer les dépenses publiques en réduisant les inégalités de revenu grâce à son caractère progressif. C’est déjà beaucoup, mais avec le jeu des niches fiscales, on lui a assigné de nombreux autres objectifs. Il faudrait au contraire avoir un seul instrument par objectif visé. C’est la meilleure façon de dépasser les dilemmes de la justice sociale.
Viser juste
C’est d’ailleurs la casquette de l’économiste philosophe qui sied le mieux à Guillaume Allègre. Il commence ainsi son ouvrage en se posant cette question : qu’est-ce qui est juste en matière de redistribution ? C’est la thèse centrale du livre : les économistes doivent arguer du point de vue du juste, et non pas de ce qui est optimal, comme ils le font trop souvent quitte à élaborer des modèles déconnectés du débat public.
C’est cette logique qui pousse l’auteur à défendre un revenu minimum d’insertion le plus élevé possible, c’est-à-dire jusqu’à un niveau où il ne décourage pas l’insertion, seuil que Guillaume Allègre fixe à 900 euros. Mais c’est aussi cette logique qui le conduit à rejeter la proposition d’un revenu universel, car il juge que la demande de réciprocité dans l’assistance au sein de la population est très forte et légitime, dans la mesure où c’est une demande d’équité.
Ce revenu doit être versé de façon inconditionnelle en amont, pour toucher le plus de monde possible, mais il pourrait être retiré en cas de manquement manifeste au principe de réciprocité, condition nécessaire pour renforcer le consentement au financement de cette aide sociale. Une démonstration stimulante et convaincante.
Laurent Jeanneau
Comment verser de l’argent aux pauvres ? Dépasser les dilemmes de la justice sociale, par Guillaume Allègre, PUF, 2024, 277 p., 18 €
2/ « Pour une écologie politique », par Michel Aglietta et Etienne Espagne
Attention, voici un livre passionnant et de haute volée. Les auteurs tentent d’y évaluer les « régimes de viabilité » écologiques du capitalisme, l’interaction entre accumulation du capital et dégradation de la nature.
Maîtriser le régime actuel de destruction passe par des interventions sur l’interdépendance entre flux biophysiques et flux monétaires, par une exigence éthique poussant à l’intégration de la dimension environnementale dans la protection sociale, par la planification écologique.
Michel Aglietta et Etienne Espagne proposent une mise en perspective historique des régimes de viabilité, du Moyen Age à nos jours, montrant comment le capitalisme a assuré sa reproduction en mettant de plus en plus la Terre en péril.
Ils présentent les différentes réponses proposées dans le monde aujourd’hui. Un capitalisme responsable est-il possible ? Leur conclusion reste incertaine.
Christian Chavagneux
Pour une écologie politique. Au-delà du capitalocène, par Michel Aglietta et Etienne Espagne, Odile Jacob, 2024, 461 p., 27,90 €
3/ « De la démocratie en Françafrique », par Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla
Ce livre est assez remarquable. S’il fallait le synthétiser, on proposerait bien les tableaux des pages 159 et 160 ainsi que l’entrée en matière du premier chapitre en forme de contre-histoire de la démocratie et des élections.
Les tableaux permettent en effet de visualiser ce qui se passe en Afrique francophone avec une année électorale qui s’annonce bien agitée (comme on le voit au Sénégal), sur fond d’une région qui apparaît comme la championne des coups d’Etat depuis l’ère des indépendances.
Pour la contre-histoire, les auteurs ont raison de revenir aux fondamentaux de la science politique tant les termes de démocratie ou de suffrage universel sont aujourd’hui dévoyés partout dans le monde, y compris par les pires des dictateurs.
On lira ce livre très documenté pour comprendre le cancer politique de l’Afrique francophone, mais aussi celui de la métropole qui n’a fait sur le continent que ce qu’elle a toujours fait chez elle avec le bonapartisme ou un suffrage universel biaisé.
Jean-Joseph Boillot
De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l’impérialisme électoral, par Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, La Découverte, 2024, 381 p., 22 €.
4/ « Faut-il aider les autres ? », par Marc Lévy
Dès la préface de Bertrand Badie, ce livre nous invite à questionner la solidarité, en France et à l’international. A l’aide de quatre études de cas, Marc Lévy démontre les bienfaits d’un croisement des expériences à travers le monde, tout en pointant des limites dans la démarche des associations.
Une analyse nécessaire alors que l’urgence pousse parfois à préférer une simple réponse caritative à la pauvreté et la précarité. Dommage que la valeur de l’apport historique et géopolitique de la première moitié du livre ne soit révélée qu’en conclusion. Il en devient parfois difficile pour le lecteur de suivre la démonstration.
D’autant que le raisonnement est construit en mêlant, façon patchwork, les idées d’autres chercheurs. Un effet renforcé par l’intégration de diverses annexes ici et là. Toutefois, Marc Lévy pose de bonnes bases pour une réflexion sur l’action solidaire, qui mérite d’être approfondie.
Juliette Le Chevallier
Faut-il aider les autres ? Repenser la solidarité pour la renouveler, par Marc Lévy, L’Harmattan, 2023, 278 p., 28 €
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