En tête de notre sélection hebdomadaire, Mal-travail, par François Ruffin. Un état des lieux pour montrer que les élites ont fait le choix d’une économie à bas coût, au détriment des salariés.

Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : Mal-travail. Le choix des élites, par François Ruffin ; Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, par Jean-Baptiste Fressoz ; La révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des Etats-Unis, par David Djaïz et Xavier Desjardins ; Atlas du numérique, par Dominique Cardon, Sylvain Parasie et Donato Ricci (dir.).

Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : Mal-travail. Le choix des élites, par François Ruffin ; Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, par Jean-Baptiste Fressoz ; La révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des Etats-Unis, par David Djaïz et Xavier Desjardins ; Atlas du numérique, par Dominique Cardon, Sylvain Parasie et Donato Ricci (dir.).

1/ « Mal-travail. Le choix des élites », par François Ruffin

Cela fait un moment que les spécialistes du travail nous alertent sur ce sujet arrivé sur le devant de la scène à l’occasion de la bataille contre la réforme des retraites : en France, le travail fait mal, littéralement, physiquement et psychiquement. Plus que dans les autres pays européens.

Cette mauvaise qualité du travail est complètement décalée par rapport à notre niveau de richesse, à notre protection sociale et à notre faiblesse industrielle. Comment s’explique cette situation ?

Un choix collectif

Selon le député LFI François Ruffin, c’est le résultat d’un choix pour une économie low cost : des entreprises pour lesquelles le travail n’est qu’un coût, des politiques publiques allant dans le même sens (allègement de cotisations, flexibilisation…) et des syndicats qui ont, jusqu’à peu, davantage cherché à compenser financièrement les problèmes au travail qu’à les remettre en cause.

Résultat, un travail au rabais entretenu par le chantage aux délocalisations (« Si t’es pas content, on ira ailleurs »), la sous-traitance (plus accidentogène), l’éviction des salariés âgés (trop chers) et l’intensification pour les autres par une chasse aux temps morts (usant ainsi le travailleur « en accéléré »).

Le bilan proposé par le livre est accablant. On compte au moins 650 morts au travail chaque année, impossible de passer sous ce seuil. La médecine du travail doit constater de plus en plus d’inaptitudes au travail. Combien ? On ne sait pas, il n’y a pas de mesure officielle ! Cependant, les statistiques de France Travail annoncent 100 000 licenciements pour inaptitude en 2022, « le plus gigantesque des plans sociaux, un plan social invisible, silencieux, muet ».

Les accidents du travail sont sous-déclarés (bonne nouvelle, ça s’améliore dans le bâtiment, mauvaise nouvelle, c’est terrible dans le médico-­social), de même que les maladies professionnelles. On assiste à une explosion des troubles psychologiques, désormais la première cause des arrêts de travail longs.

Le coût de tout cela est humain (avec des vies rendues difficiles pour des Français qui montrent un grand attachement au travail), politique (avec des électeurs désabusés), économique (avec les dépenses de la Sécu et les pertes de productivité). L’ancien ministre du Travail Xavier Bertrand avait estimé le coût total à 3-4 points de PIB perdus chaque année.

Remobilisation

Que faire ? Le député demande de réintroduire les critères de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron (charges lourdes, postures dangereuses, produits chimiques, vibrations). Il veut plus d’inspecteurs et de médecins du travail, des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Il souhaite, par le haut, plus de place pour les salariés dans les conseils d’administration et, par le bas, plus de parole donnée à celles et ceux qui travaillent pour s’exprimer sur l’organisation de leur boulot.

Pour qu’ils puissent gagner en autonomie au lieu de devoir subir les injonctions des « planneurs », ces maîtres du temps payés à chasser les temps morts à partir de grands principes d’organisation, sans connaître les réalités de terrain.

Le combat de François Ruffin est social, économique, mais aussi politique. « Sur le travail, le mal-travail, le Rassemblement national est ignorant, incompétent. » Mais la gauche n’a pas fait mieux. Ce livre se veut un premier pas vers sa remobilisation.

Christian Chavagneux

Mal-travail. Le choix des élites, par François Ruffin, Les liens qui libèrent, 2024, 222 p., 15 €.

2/ « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie », par Jean-Baptiste Fressoz

La notion de transition énergétique a été forgée en 1967 par un… pronucléaire, Harrison Brown. Depuis, la notion a été remise au goût du jour. Pour le meilleur : la promotion des énergies renouvelables. Et le moins bon : elle a accrédité l’idée selon laquelle l’histoire de l’énergie serait celle d’une succession d’énergies dominantes qui auraient supplanté les précédentes (d’abord la force physique des hommes et des animaux, et le bois, puis le charbon suivi du pétrole et de l’électricité, puis, aujourd’hui, donc, les renouvelables).

Une vision sous forme de « phases » ou d’« âges » des plus réductrices, nous dit l’auteur, historien reconnu des sciences, des techniques et de l’environnement. Non seulement les énergies s’ajoutent les unes aux autres, mais elles entretiennent une relation symbiotique qui a pour effet de relancer la consommation de celles censées décliner.

De fait, on n’aura jamais consommé autant de bois-énergie (bûches et palets) et de charbon qu’à l’ère du prétendu règne du pétrole, y compris dans de vieux pays industrialisés. Ce que l’auteur démontre avec force chiffres et illustrations concrètes. Bref, un vrai pavé dans la mare.

Sylvain Allemand

Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, par Jean-Baptiste Fressoz, Seuil, 2024, 416 p., 24 €.

3/ « La révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des Etats-Unis », par David Djaïz et Xavier Desjardins

Encore un livre sur la transition énergétique ? Oui, encore, mais avec un texte pédagogique et à l’argumentation structurée. Les auteurs commencent par rappeler que la transition est difficile, conflictuelle et qu’elle n’a pas vraiment commencé. La suite montre comment, dans des registres différents, la Chine et les Etats-Unis avancent vite.

L’Europe ? Elle est riche de grandes ambitions, sur le papier, mais pauvre de financements. Qui plus est, une sorte de populisme profossile semble gagner du terrain.

Comment s’en sortir ? Comme après la Seconde Guerre mondiale, on peut acheter les biens d’équipements écologiques aux Américains. Mais mieux vaudrait les produire nous-mêmes. Ce qui réclame une politique industrielle : innovation, subventions et un pass climat pour aider les plus pauvres, financé par la taxation des hauts patrimoines (mais ce sera insuffisant comme ressource).

Victimes d’une image datée du Plan, les auteurs se compliquent la vie alors que leur souhait d’une coordination public-privé-national-territorial se trouvait dans les commissions du Plan des années 1970-1980. Un livre intéressant qui aide à réfléchir.

Ch. Ch.

La révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des Etats-Unis, par David Djaïz et Xavier Desjardins, Allary Editions, 2024, 297 p., 21,90 €.

4/ « Atlas du numérique », par Dominique Cardon, Sylvain Parasie et Donato Ricci (dir.)

Moins de trente ans après la généralisation d’Internet, le numérique a véritablement envahi nos vies. Mais alors que nous croyons le connaître sur le bout des doigts – c’est le cas de le dire –, nombre de ses aspects restent dans l’ombre, entretenant un certain nombre de mythes tenaces. Parmi ceux-ci figure celui d’un affranchissement de l’espace et de la matière que cet atlas bat largement en brèche.

Ses multiples cartes, graphiques et textes d’accompagnement permettent de couvrir de nombreux enjeux entourant le numérique, de son développement aux fortes inégalités qui le sous-tendent, en passant par les transformations socio-économiques, les dégâts écologiques et les questions brûlantes de gouvernance qui l’accompagnent.

Que vous soyez addict à la Toile ou plutôt techno-critique, cet ouvrage vous fournira de quoi nourrir et confronter vos idées, y compris sur les thèmes les plus rebattus, comme le fonctionnement des réseaux sociaux, les Gafam, l’intelligence artificielle ou les fake news.

Igor Martinache

Atlas du numérique, Dominique Cardon, Sylvain Parasie et Donato Ricci (dir.), Presses de Sciences Po, 2023, 127 p., 25 €.

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En finir avec le travail « low cost » et 3 autres conseils de lecture

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09.03.2024

En tête de notre sélection hebdomadaire, Mal-travail, par François Ruffin. Un état des lieux pour montrer que les élites ont fait le choix d’une économie à bas coût, au détriment des salariés.

Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : Mal-travail. Le choix des élites, par François Ruffin ; Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, par Jean-Baptiste Fressoz ; La révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des Etats-Unis, par David Djaïz et Xavier Desjardins ; Atlas du numérique, par Dominique Cardon, Sylvain Parasie et Donato Ricci (dir.).

Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous quatre livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : Mal-travail. Le choix des élites, par François Ruffin ; Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, par Jean-Baptiste Fressoz ; La révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des Etats-Unis, par David Djaïz et Xavier Desjardins ; Atlas du numérique, par Dominique Cardon, Sylvain Parasie et Donato Ricci (dir.).

1/ « Mal-travail. Le choix des élites », par François Ruffin

Cela fait un moment que les spécialistes du travail nous alertent sur ce sujet arrivé sur le devant de la scène à l’occasion de la bataille contre la réforme des retraites : en France, le travail fait mal, littéralement, physiquement et psychiquement. Plus que dans les autres pays européens.

Cette mauvaise qualité du travail est complètement décalée par rapport à notre niveau de richesse, à notre protection sociale et à notre faiblesse industrielle. Comment s’explique cette situation ?

Un choix collectif

Selon le député LFI François Ruffin, c’est le résultat d’un choix pour une économie low cost : des entreprises pour lesquelles le travail n’est qu’un coût, des politiques publiques allant dans le même sens (allègement de cotisations, flexibilisation…) et des syndicats qui ont, jusqu’à peu, davantage cherché à compenser financièrement les problèmes au travail qu’à les remettre en........

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