Convention citoyenne pour le climat, Grand débat post-Gilets jaunes, budgets participatifs, conseils de quartier, enquête publique, réunions publiques, panels citoyens… les dispositifs de démocratie participative se sont multipliés ces dernières années. Leur objectif : répondre à la crise de la démocratie représentative matérialisée par la progression de l’abstention. La participation des citoyens à la fabrique des politiques publiques est ainsi présentée comme un remède à leur désintérêt croissant pour le vote.

Ces dispositifs sont cependant largement critiqués par les chercheurs, à la fois en raison de leur fonctionnement et de leur instrumentalisation fréquente par les élus. Dans un ouvrage récent, Pour en finir avec la démocratie participative (Editions Textuel), Manon Loisel et Nicolas Rio en appellent donc à mettre fin à la « fuite en avant participative ». A la fois chercheurs (ils sont politistes à Sciences Po) et acteurs de terrains (ils ont co-fondé « Partie prenante », une agence de conseil aux collectivités locales), ils déplorent les limites de la démocratie participative et plaident pour une démocratisation de l’action publique qui déborde largement le champ des élections. Explications avec la co-autrice de l’ouvrage, Manon Loisel.

« En finir avec la démocratie participative »… est-ce un titre provocateur lorsqu’on sait que la démocratie participative, très en vogue, est présentée comme le moyen de prendre le relais de la démocratie représentative, fragilisée par l’abstention ?

Manon Loisel : Ce n’est absolument pas une provocation mais bien une proposition. Nous pensons qu’il...

Convention citoyenne pour le climat, grand débat post-gilets jaunes, budgets participatifs, conseils de quartier, enquête publique, réunions publiques, panels citoyens… les dispositifs de démocratie participative se sont multipliés ces dernières années. Leur objectif : répondre à la crise de la démocratie représentative matérialisée par la progression de l’abstention. La participation des citoyens à la fabrique des politiques publiques est ainsi présentée comme un remède à leur désintérêt croissant pour le vote.

Ces dispositifs sont cependant largement critiqués par les chercheurs, à la fois en raison de leur fonctionnement et de leur instrumentalisation fréquente par les élus. Dans un ouvrage récent, Pour en finir avec la démocratie participative (Ed. Textuel), Manon Loisel et Nicolas Rio en appellent donc à mettre fin à la « fuite en avant participative ». A la fois chercheurs (ils sont politistes à Sciences Po) et acteurs de terrain (ils ont cofondé Partie prenante, une agence de conseil aux collectivités locales), ils déplorent les limites de la démocratie participative et plaident pour une démocratisation de l’action publique qui déborde largement le champ des élections. Explications avec la coautrice de l’ouvrage, Manon Loisel1.

« En finir avec la démocratie participative »… est-ce un titre provocateur lorsqu’on sait que la démocratie participative, très en vogue, est présentée comme le moyen de prendre le relais de la démocratie représentative, fragilisée par l’abstention ?

Manon Loisel : Ce n’est absolument pas une provocation, mais bien une proposition. Nous pensons qu’il faut un moratoire sur les dispositifs participatifs. Bien sûr, nous savons pertinemment que cette idée n’est pas très audible. Lorsque nous accompagnons des élus, l’idée de recourir à un dispositif de participation arrive presque toujours à un moment. « Ah tiens, ne ferait-on pas un panel citoyen ou une concertation ? », entend-on presque à chaque fois. Mais les élus ne se rendent pas compte que ces dispositifs ne répondent pas aux objectifs auxquels ils sont censés répondre.

Quels sont leurs principaux défauts ?

M. L. : Le premier, c’est leur côté anti-redistributif. Alors qu’ils sont supposés être une réponse à la montée de l’abstention, ces outils sont surtout investis par ceux que qui sont parfois surnommés les « TLM » (Toujours les mêmes). Anciens élus, citoyens engagés, leaders associatifs… ces profils très marqués socialement s’emparent seuls de ces dispositifs. Je défie n’importe qui de trouver un abstentionniste dans une réunion publique. On n’en voit jamais, et ce n’est pas étonnant : pour s’impliquer dans ces dispositifs, il faut avoir beaucoup de temps à consacrer à la chose publique. Ce qui est rarement le cas pour les actifs ou les familles monoparentales. Sans parler du fait qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être assez à l’aise en public pour prendre le micro devant plusieurs personnes.

Très souvent, les travaux issus des dispositifs ne sont pas vraiment pris en compte. Cela renforce la désillusion démocratique.

La démocratie participative a tendance à renforcer la « présentocratie », le pouvoir de ceux qui peuvent se rendre disponibles pour débattre de questions politiques, et ne parvient donc pas à faire entendre les sans-voix. Pire, elle essentialise la parole « des citoyens » à partir de la participation de seulement quelques-uns d’entre eux, très minoritaires en nombre et très peu représentatifs. Quand des élus disent « les habitants sont favorables à » en s’appuyant sur une délibération d’un conseil de quartier qui rassemble cinq personnes, on voit bien qu’on a un problème.

Autre défaut, ces dispositifs ont tendance à générer de l’espoir chez les participants… et donc des désillusions lorsqu’ils n’ont pas de traduction politique.

M. L. : Nous venons d’en faire l’expérience avec deux expériences nationales de démocratie participative, qui ont constitué un miroir grossissant de ce qui se passe aussi au niveau local. A la suite de la mobilisation des gilets jaunes, Emmanuel Macron a annoncé un « grand débat national ». Beaucoup se sont prêtés au jeu. Conclusion ? Le Président a dit que les remontées des Français le confortaient dans sa politique !

Autre dispositif, intéressant sur le papier, puis largement ignoré : la convention citoyenne sur le climat. Emmanuel Macron s’était engagé à retranscrire dans une loi les conclusions de la convention, mais une faible part de leurs 150 propositions a finalement été retenue. Au niveau local, même chose : les dispositifs participatifs sont toujours circonscrits à des enjeux relativement marginaux ou anecdotiques. Et très souvent, les travaux issus des dispositifs ne sont pas vraiment pris en compte. Cela renforce la désillusion démocratique, avec des participants qui s’estiment souvent trahis. De ce point de vue, la participation renforce le sentiment de défiance qu’elle était censée résoudre.

On peut tout de même se satisfaire que les élus tentent d’écouter les citoyens plus d’une fois tous les cinq ans, non ?

M. L. : En théorie, oui. Mais dans les faits, ce recueil de la parole citoyenne est beaucoup trop contrôlé par les autorités. L’impératif de participation a pris la forme d’une injonction bureaucratique. Par exemple, les communes de plus de 80 000 habitants doivent obligatoirement disposer de conseils de quartier. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que nombre d’entre eux soient des coquilles vides. Le véritable exercice du pouvoir se joue ailleurs.

Peut-on améliorer les dispositifs de démocratie participative, au vu de tous les défauts que vous énumérez ?

M. L. : Hélas, je ne crois pas. Ils sont intrinsèquement dysfonctionnels, notamment parce qu’ils sont incapables de faire émerger la parole des sans-voix. Où entend-on ceux qui ne votent pas et qui ne prennent jamais la parole dans le débat public ? Souvent dans les mouvements sociaux spontanés comme les gilets jaunes. Parfois dans les manifestations ou dans des collectifs qui échappent largement aux autorités. Parfois aussi dans la presse. Mais jamais dans des dispositifs de démocratie participative. Il est difficile pour les élus d’écouter ces sans-voix dans la mesure où ils n’ont aucun crédit électoral à en tirer. Les élus auditionnent des experts, et c’est normal. Mais ils n’auditionnent jamais des citoyens peu audibles, et ils ne donnent pas de crédit aux expériences de vie et aux ressentis. Ce sont des éléments qui n’ont pas de valeur politique.

Emmanuel Macron vous répondrait que c’est précisément pour écouter directement « les Français » qu’il a recours aux dispositifs comme le grand débat national…

M. L. : C’est vrai, mais ce serait très malhonnête. Car, paradoxalement, le « sans-filtre » accentue les effets des inégalités socio-économiques sur le partage du pouvoir. Quand Emmanuel Macron est « seul face à 150 citoyens », il ne prend aucun risque puisqu’il fixe seul les règles du jeu. La vraie démocratie, c’est l’existence de toute une série de contre-pouvoirs qui agissent comme des filtres successifs. La loi Immigration l’a montré récemment : le Parlement a joué un rôle, le Conseil constitutionnel aussi. D’autres filtres (syndicats, acteurs de l’éducation populaire, manifestants…) sont, ces dernières années, régulièrement évincés, voire réprimés, ce qui affaiblit dangereusement la démocratie en excluant du débat des publics qui n’existent que grâce à eux. Aujourd’hui, qui peut porter la voix des plus marginalisés si ATD Quart Monde n’est pas associée à la politique de lutte contre la pauvreté ? Cette association a une pratique très aboutie du recueil de l’expérience des sans-voix. Mais elle n’est pas sérieusement considérée au niveau national.

Comment faire émerger la parole de ces sans-voix ?

M. L. : Je disais précédemment qu’il est fondamental que les élus accordent plus de crédit et d’attention aux expériences de vie des citoyens, en rééquilibrant leur poids par rapport aux experts. Le cas des zones à faible émission (ZFE) est un bon exemple2. Face à cette mesure, les citoyens les plus pauvres expriment un sentiment d’injustice. Il est très présent dans les médias locaux ou sur les pages Facebook locales qui ne sont pas gérées par des institutions. Mais au niveau politique, c’est l’expertise qui l’emporte. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas faire les ZFE. Mais que les difficultés qu’elles rencontrent aujourd’hui [leur mise en place a été repoussée dans de nombreuses villes, y compris dans des métropoles à majorité écolo, NDLR] auraient pu être évitées en tenant davantage compte des ressentis des ménages modestes.

Il ne suffit pas de redoubler d’efforts pour aller vers les inaudibles, il faut aussi restreindre la place accordée à ceux qui s’expriment déjà.

Avec la démocratie participative, on organise des réunions publiques et, souvent, les élus se félicitent du nombre de participants. La réussite d’un dispositif de démocratie participative est toujours analysée à l’aune de critères quantitatifs. Mais l’enjeu est surtout d’écouter des acteurs au profil social différent. Par exemple, un actif périurbain modeste qui vient tous les jours travailler en voiture en ville. Ou encore une personne qui souffre d’asthme et vit proche du périphérique. Plutôt qu’avoir deux élus qui viennent à une réunion publique écouter d’une oreille les conclusions de 100 personnes déjà très investies dans la vie locale, mieux vaut 100 élus qui écoutent avec leurs deux oreilles les récits de vie de deux personnes qui n’ont jamais voix au chapitre.

Vous dites aussi que pour écouter davantage les sans-voix, il faut aussi accorder moins d’attention à ceux qui l’ont beaucoup ?

M. L. : Oui. Prétendre écouter tout le monde sans distinction, c’est faire fi de tous les mécanismes de domination qui parcourent la société. Le combat pour la parité homme-femme en est l’illustration. C’est en objectivant et en contestant la surreprésentation des hommes que les féministes sont parvenues à la réduire. La parité montre que pour entendre l’ensemble des citoyens, il ne suffit pas de redoubler d’efforts pour aller vers les inaudibles. Il faut aussi restreindre la place accordée à ceux qui s’expriment déjà.

Revenons à l’exemple des ZFE. Vous notez que leur mise en place est due à des considérations scientifiques (il faut réduire la pollution et les émissions de gaz à effet de serre), mais que les citoyens n’ont pas été associés. La question est très cynique, mais n’était-ce pas nécessaire pour faire passer la mesure ? Personne n’a envie de se passer de sa voiture… Et si on élargit en caricaturant un peu, la peine de mort a été abolie par des élus alors que « l’opinion publique » semblait plutôt contre…

M. L. : La question est difficile mais intéressante. Si l’on se centre sur l’enjeu le plus actuel, celui de la transition écologique, il me semble discutable de penser que les citoyens sont contre l’écologie. Le problème de la transition écologique, c’est notre crise démocratique. Comme notre système met les classes populaires hors jeu, la transition devient technocratique et fait l’objet d’un retour de bâton important. Si notre démocratie était plus fonctionnelle, on peut penser que la redistribution des richesses serait plus importante. La mise en place d’une taxe carbone ou de ZFE serait alors beaucoup mieux acceptée puisque les plus riches seraient davantage mis à contribution.

Aujourd’hui, nombre de mesures écologiques apparaissent injustes, car elles ne frappent pas vraiment les riches qui peuvent facilement les contourner (en achetant une grosse voiture électrique pour s’adapter aux ZFE par exemple) ou les assumer (en pouvant se permettre de payer le carburant plus cher dans le cas d’une hausse de la taxe carbone).

Dans votre livre, vous montrez que l’essentiel du combat démocratique se joue ailleurs que dans les dispositifs participatifs. Quels sont les vrais lieux de pouvoir ?

M. L. : Outre les lobbies dont il faut rappeler le poids – la crise agricole vient de l’illustrer une nouvelle fois –, il se joue beaucoup de choses dans l’administration. Cette dernière est souvent vue comme un espace « apolitique », où des techniciens appliquent les politiques décidées par les élus. En réalité, les deux millions d’agents publics qui travaillent dans les collectivités locales ont un poids politique important. C’est particulièrement vrai dans les plus petites d’entre elles, où les élus sont souvent des retraités bénévoles aux connaissances techniques limitées. Dans ces cas-là, il n’est pas rare de voir les techniciens choisir les orientations politiques, car ils considèrent que leurs élus ne font pas le travail.

Le travail d’un élu, ce n’est pas que de décider, c’est d’écouter et de représenter tous les citoyens, et notamment les absents.

Le travail d’un élu, ce n’est pas que de décider, c’est d’écouter et de représenter tous les citoyens, et notamment les absents.

Dans les grandes métropoles, les élus ont un poids plus important, mais la technicité de certains dossiers est telle que les agents jouent forcément un rôle central. Sans parler des cabinets de conseil privés qui ont une influence de plus en plus importante mais ne rendent de comptes à personne. En effet, dans les débats publics (réunions publiques, interviews dans la presse), on ne les voit jamais ! Démocratiser l’action publique, c’est faire entrer dans l’arène politique tous ces acteurs.

Faut-il alors désacraliser la vision que l’on a des élus ?

M. L. : Oui ! Les élus sont souvent vus comme des super-héros… sauf qu’ils n’ont pas de super-pouvoirs ! La fabrique de l’action publique est de plus en complexe, car elle fait intervenir des acteurs nombreux.Il faut désacraliser la fonction de l’élu qui décide de tout. Le travail d’un élu, ce n’est pas que de décider, c’est d’écouter et de représenter tous les citoyens, et notamment les absents. Plutôt que de valoriser la figure de l’élu, il faudrait préférer la figure du représentant.

A ce titre, vous formulez une proposition audacieuse en ouverture du livre.

M. L. : Nous proposons en effet d’utiliser le tirage au sort comme une réponse à la hausse de l’abstention électorale et à la baisse de la représentativité des élus. Si l’on se base sur les élections législatives de 2022, qui déterminent la composition de l’Assemblée nationale, on pourrait procéder de la façon suivante : 46 % des sièges seraient attribués à des élus, sur le modèle actuel. Cette proportion correspond au taux de participation lors de ce scrutin. Les 54 % des sièges restants seraient accordés à des citoyens tirés au sort, de quoi représenter mathématiquement les abstentionnistes. Ce tirage au sort serait corrigé des biais sociaux que l’on constate chez les élus.

Bien sûr, un tel changement nécessiterait un accompagnement et des moyens importants. Mais si l’on met un moratoire sur les démarches de démocratie participative et qu’on réalloue les moyens et les personnels qui y sont dédiés, cela peut se faire à moyens constants. On nous rétorquera que ces nouveaux représentants ne seraient pas compétents, mais la compétence technique est moins importante que l’existence de contre-pouvoirs. Pour qu’une discussion sur la relance sur le nucléaire soit démocratique, l’enjeu n’est pas que tous les députés soient des physiciens chevronnés, mais que leur délibération puisse s’appuyer sur des expertises contradictoires produites par plusieurs institutions et corps intermédiaires compétents sur le sujet.

Il faut guérir la démocratie représentative, car elle est à notre avis le moins mauvais des systèmes. La démocratie participative a de nombreux défauts, comme on vient de le voir. La démocratie directe, de son côté, n’évite pas non plus l’écueil du présentéisme, à l’image de l’expérience de « Nuit debout » il y a quelques années. La transformation de nos institutions ne viendra pas d’une autre démocratie mais d’une exigence renouvelée sur la mise en pratique de ses principes théoriques.

QOSHE - Manon Loisel : « Il faut en finir avec la démocratie participative, qui accentue la crise qu’elle prétend résoudre » - Recueilli Par Vincent Grimault
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Manon Loisel : « Il faut en finir avec la démocratie participative, qui accentue la crise qu’elle prétend résoudre »

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13.04.2024

Convention citoyenne pour le climat, Grand débat post-Gilets jaunes, budgets participatifs, conseils de quartier, enquête publique, réunions publiques, panels citoyens… les dispositifs de démocratie participative se sont multipliés ces dernières années. Leur objectif : répondre à la crise de la démocratie représentative matérialisée par la progression de l’abstention. La participation des citoyens à la fabrique des politiques publiques est ainsi présentée comme un remède à leur désintérêt croissant pour le vote.

Ces dispositifs sont cependant largement critiqués par les chercheurs, à la fois en raison de leur fonctionnement et de leur instrumentalisation fréquente par les élus. Dans un ouvrage récent, Pour en finir avec la démocratie participative (Editions Textuel), Manon Loisel et Nicolas Rio en appellent donc à mettre fin à la « fuite en avant participative ». A la fois chercheurs (ils sont politistes à Sciences Po) et acteurs de terrains (ils ont co-fondé « Partie prenante », une agence de conseil aux collectivités locales), ils déplorent les limites de la démocratie participative et plaident pour une démocratisation de l’action publique qui déborde largement le champ des élections. Explications avec la co-autrice de l’ouvrage, Manon Loisel.

« En finir avec la démocratie participative »… est-ce un titre provocateur lorsqu’on sait que la démocratie participative, très en vogue, est présentée comme le moyen de prendre le relais de la démocratie représentative, fragilisée par l’abstention ?

Manon Loisel : Ce n’est absolument pas une provocation mais bien une proposition. Nous pensons qu’il...

Convention citoyenne pour le climat, grand débat post-gilets jaunes, budgets participatifs, conseils de quartier, enquête publique, réunions publiques, panels citoyens… les dispositifs de démocratie participative se sont multipliés ces dernières années. Leur objectif : répondre à la crise de la démocratie représentative matérialisée par la progression de l’abstention. La participation des citoyens à la fabrique des politiques publiques est ainsi présentée comme un remède à leur désintérêt croissant pour le vote.

Ces dispositifs sont cependant largement critiqués par les chercheurs, à la fois en raison de leur fonctionnement et de leur instrumentalisation fréquente par les élus. Dans un ouvrage récent, Pour en finir avec la démocratie participative (Ed. Textuel), Manon Loisel et Nicolas Rio en appellent donc à mettre fin à la « fuite en avant participative ». A la fois chercheurs (ils sont politistes à Sciences Po) et acteurs de terrain (ils ont cofondé Partie prenante, une agence de conseil aux collectivités locales), ils déplorent les limites de la démocratie participative et plaident pour une démocratisation de l’action publique qui déborde largement le champ des élections. Explications avec la coautrice de l’ouvrage, Manon Loisel1.

« En finir avec la démocratie participative »… est-ce un titre provocateur lorsqu’on sait que la démocratie participative, très en vogue, est présentée comme le moyen de prendre le relais de la démocratie représentative, fragilisée par l’abstention ?

Manon Loisel : Ce n’est absolument pas une provocation, mais bien une proposition. Nous pensons qu’il faut un moratoire sur les dispositifs participatifs. Bien sûr, nous savons pertinemment que cette idée n’est pas très audible. Lorsque nous accompagnons des élus, l’idée de recourir à un dispositif de participation arrive presque toujours à un moment. « Ah tiens, ne ferait-on pas un panel citoyen ou une concertation ? », entend-on presque à chaque fois. Mais les élus ne se rendent pas compte que ces dispositifs ne répondent pas aux objectifs auxquels ils sont censés répondre.

Quels sont leurs principaux défauts ?

M. L. : Le premier, c’est leur côté anti-redistributif. Alors qu’ils sont supposés être une réponse à la montée de l’abstention, ces outils sont surtout investis par ceux que qui sont parfois surnommés les « TLM » (Toujours les mêmes). Anciens élus, citoyens engagés, leaders associatifs… ces profils très marqués socialement s’emparent seuls de ces dispositifs. Je défie n’importe qui de trouver un abstentionniste dans une réunion publique. On n’en voit jamais, et ce n’est pas étonnant : pour s’impliquer dans ces dispositifs, il faut avoir beaucoup de temps à consacrer à la chose publique. Ce qui est rarement le cas pour........

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