La forte réduction des émissions de CO2 de l’Allemagne en 2023 résulte surtout de la crise de son modèle industriel. Ces secteurs très énergivores, moteurs de l’économie allemande, sont affectés par le ralentissement mondial.

Belle nouvelle ! L’année dernière, les émissions de CO2 allemandes ont reculé de 10 % sur un an. Les émissions ont ainsi atteint leur plus bas niveau depuis 1950 (à 673 millions de tonnes de CO2), et cette amélioration dépasse même les objectifs fixés dans la loi allemande sur la protection du climat.

Pourtant, les experts du think tank Agora Energiewende (« transition énergétique » en allemand), ne sont que modérément optimistes. Car ce recul est certes lié à une réduction du recours au charbon, mais il est aussi le marqueur d’une crise industrielle.

« Seulement 15 % de la baisse observée...

Belle nouvelle ! L’année dernière, les émissions de CO2 allemandes ont reculé de 10 % sur un an. Les émissions ont ainsi atteint leur plus bas niveau depuis 1950 (à 673 millions de tonnes de CO2), et cette amélioration dépasse même les objectifs fixés dans la loi allemande sur la protection du climat.

Pourtant, les experts du think tank Agora Energiewende (« transition énergétique » en allemand), ne sont que modérément optimistes. Car ce recul est certes lié à une réduction du recours au charbon, mais il est aussi le marqueur d’une crise industrielle.

« Seulement 15 % de la baisse observée est permanente, dans le sens où elle provient d’une capacité supplémentaire d’énergies renouvelables, de gains d’efficacité ou du passage à des carburants moins émetteurs », constate le think tank spécialiste des questions de transition énergétique. « En revanche, nous ne voyons pas de développement durable dans la réduction des émissions dans l’industrie », nuance Simon Müller, son directeur.

Atonie des commandes et recul de la production

Selon Agora Energiewende, l’augmentation des prix élevés de l’énergie après le début de la guerre en Ukraine et l’atonie des commandes – en raison successivement du ralentissement chinois, de la contraction de la demande mondiale puis du ralentissement allemand – ont fortement touché la production des secteurs très consommateurs d’énergie, comme la chimie, la métallurgie ou la sidérurgie. La production a ainsi reculé de 11 % en 2023 dans les industries intensives en énergie, alors que l’économie allemande n’a ralenti sur la même période « que » de 0,3 %.

Forte consommatrice de gaz et de produits pétroliers, l’industrie chimique est affectée en premier lieu. Des géants comme BASF ont en effet longtemps appuyé leur rentabilité sur les hydrocarbures russes bon marché, dont ils doivent maintenant se détourner pour des raisons géopolitiques.

La production a reculé de 11 % en 2023 dans les industries intensives en énergie, alors que l’économie allemande n’a ralenti « que » de 0,3 %

Aujourd’hui, il leur faut acquitter un prix nettement plus élevé pour acheter du gaz naturel liquéfié (GNL) américain ou qatari. Et rendre leur appareil de production climatiquement neutre dans les dix ans à venir. C’est-à-dire investir, entre autres, dans la production d’hydrogène, alors même que leurs bénéfices s’effondrent. Pour 2023, la Fédération allemande des industries chimiques (VCI) prévoit en effet un repli des ventes intérieures de 17 %, des exportations de 12 % et, en conséquence, du chiffre d’affaires global de 14 %.

Deux autres industries centrales pour l’Allemagne et fortement exportatrices, la construction mécanique et le secteur électrotechnique, sont particulièrement affectées par le ralentissement de l’économie mondiale. Dans la première, qui emploie plus d’un million de personnes, les commandes ont baissé en novembre de 13 % par rapport au même mois de l’année précédente.

« Le plancher n’est pas encore en vue. Il faudrait pour cela que nos clients du monde entier reprennent confiance dans l’économie allemande et dans la stabilité de nos politiques », estime Ralph Wiechers, économiste en chef de la Fédération de la construction mécanique, en référence aux difficultés budgétaires de la fin d’année 2023 qui ont obligé la coalition gouvernementale à réorganiser ses aides industrielles.

Le virage difficile de l’industrie automobile

La production automobile finit, elle, l’année mieux que prévu. Mais, très dépendante de la conjoncture chinoise, son plus gros marché étranger, l’automobile allemande doit aussi faire face aux mutations induites par la transition vers le véhicule électrique, qui ne lui sont pas forcément bénéfiques.

A titre d’exemple, Volkswagen a finalement décidé de construire ses nouveaux centres de production de batteries non pas en Allemagne mais en Pologne, au Canada et aux Etats-Unis. Ford a, pour sa part, choisi dès 2022 de produire la version entièrement électrique de la Ford Focus dans son usine espagnole de Valence, plutôt que dans son usine de Sarrelouis, dans l’ouest de l’Allemagne.

« Bien que nous disposions des savoir-faire pour l’électrique, notre usine de Sarrelouis doit fermer ses portes en 2025 », soupire l’électricien automobile Cedric Moltini, qui vit à cheval sur la frontière franco-allemande et travaille depuis des années dans la grande usine Ford. Celui qui est aussi délégué du personnel et membre du comité central d’entreprise de Ford Sarrelouis, ne se fait pas d’illusion :

« Le niveau de nos salaires et la hausse des prix de l’énergie n’ont pas joué en notre faveur. Nous avons obtenu la préservation de 1 000 emplois sur 4 500 jusqu’en 2032. Pour le reste, nous sommes suspendus aux négociations secrètes qui se déroulent depuis un an entre le gouvernement régional [de la Sarre, NDLR] et des repreneurs potentiels. ».

Dans l’industrie allemande plus largement, les fermetures d’usine et les réductions d’effectif s’accumulent. L’équipementier automobile ZF a annoncé il y a quelques jours la fermeture d’un site employant près de 700 salariés dans la Ruhr, et le fabricant de pneus Goodyear l’arrêt de deux sites à Fulda et Fürstenwalde. Le Français Michelin va également fermer progressivement ses centres de production de Karlsruhe, Trèves et Homburg, et délocaliser un centre de service clientèle en Pologne. 1 400 emplois seront touchés.

31,7 % des entreprises industrielles déclarent avoir déclenché des mesures de délocalisation ou être sur le point de le faire

Selon un sondage réalisé auprès d’un panel de 3 572 entreprises industrielles par les chambres de commerce et d’industrie allemandes (DIHK), 31,7 % d’entre elles déclarent avoir déclenché des mesures de délocalisation ou être sur le point de le faire. Cette proportion monte à 43 % pour les entreprises de plus de 500 salariés. Le sondage ne précise cependant pas l’ampleur de ces mesures.

Plan de renouveau industriel

La situation a été jugée suffisamment alarmante pour que le ministre de l’Economie et de la Transition énergétique, l’écologiste Robert Habeck, concocte une nouvelle stratégie industrielle, présentée en octobre dernier aux patrons et syndicalistes allemands. « Nous ne pouvons pas nous permettre de tergiverser », sans quoi le pays risque de « perdre sa production à forte consommation d’énergie et donc le cœur de ce qui constitue la chaîne de valeur de l’industrie allemande », a-t-il expliqué, désireux de justifier son interventionnisme dans un pays où les politiques industrielles avancent souvent masquées.

« Les choses ne marchent pas toutes seules », a-t-il insisté, évoquant les nombreuses aides accordées par la Chine pour développer ses technologies vertes, ou encore la sévère concurrence que représente le programme américain de 750 milliards de dollars d’allègements fiscaux massifs pour les investissements verts (l’Inflation Reduction Act), lancé début 2023.

Outre l’accélération de la production d’énergies renouvelables pour faire baisser les prix de l’électricité, le ministre prévoit des aides financières et fiscales durables pour l’industrie, une réforme du frein à l’endettement budgétaire pour permettre le financement de programmes d’aides, l’autorisation du stockage de CO2 dans les fonds marins et surtout la création d’un « prix passerelle » attractif de 6 centimes d’euros le kilowattheure pour les industries à forte consommation d’énergie comme la chimie, la sidérurgie, le papier, le verre, etc.

Cette stratégie d’aides financières à l’américaine a en réalité démarré dès 2022 : 10 milliards d’euros d’aides (sur 17 milliards d’investissements) ont par exemple été accordés à Intel pour la construction d’une usine de semi-conducteurs à Magdebourg, dans le centre-est du pays.

Le Taiwanais TSMC a également reçu le feu vert pour 5 milliards d’euros d’aide pour une usine similaire qui sera implantée à Dresde. Dans le secteur de l’énergie, on relèvera aussi, entre autres, les 2,6 milliards d’euros accordés au sidérurgiste SHS Stahl-Holding-Saar (14 000 salariés), qui va progressivement préparer ses hauts-fourneaux à fonctionner à l’hydrogène.

Rapport tourmenté à la Chine

« Plus on attend, plus la reconversion coûte cher et devient difficile », insiste Cornelia Woll, économiste et présidente de la Hertie School, rappelant que, faute d’avoir été aidée à temps, l’industrie solaire allemande s’est effondrée il y a une dizaine d’années, broyée par une concurrence chinoise qui fournit aujourd’hui près de 90 % des installations solaires nationales.

A rebours du gouvernement fédéral, BASF, Volkswagen, Daimler ou Siemens ont décidé de renforcer leur présence sur le marché chinois

A rebours du gouvernement fédéral, qui a publié en juillet dernier une stratégie nationale pour limiter la dépendance chinoise de l’économie allemande, BASF, Volkswagen, Daimler ou Siemens ont décidé ces deux dernières années de renforcer leur présence sur le marché chinois.

« Quatre camions sur dix sont vendus en Chine. Nous avons besoin de la Chine pour soutenir notre développement mondial », justifiait récemment Christian Levin, patron de Traton, la filiale « véhicules utilitaires » de Volkswagen. Cariad, la division logicielle de Volkswagen, est également sur le point de s’engager à hauteur de plusieurs milliards de dollars dans une co-entreprise avec le chinois Horizon Robotics, spécialiste de l’intelligence artificielle et de la conduite autonome.

Est-ce à dire que les grandes entreprises allemandes n’ont tiré aucune leçon aussi bien de la pandémie que de l’agression russe, et de leurs conséquences en termes d’approvisionnement ?

« Nombre de grandes entreprises veulent créer des unités régionales moins dépendantes les unes des autres, capables de continuer de fonctionner en dépit d’une pandémie ou d’un conflit armé. C’est en partie la logique de ces investissements, relève Tim Rühlig, expert des relations entre l’Union européenne et l’Asie pour le think tank allemand DGAP. Le gouvernement allemand devrait réfléchir aux conséquences de cette tendance, à la fois en termes d’emplois et de flux financiers ».

« N’oublions pas que l’avenir industriel de l’Allemagne va aussi se jouer au niveau du Mittelstand, c’est-à-dire du réseau allemand très vaste de petites et moyennes entreprises, qui représentent 99 % des 3 millions d’entreprises allemandes », rappelle Muhamed Kudic qui dirige un projet d’aide à la transformation pour les entreprises industrielles de la Westphalie du Sud, à l’est de Cologne.

La région accueille en effet près de 500 entreprises de taille moyenne sous-traitantes automobiles qui doivent évoluer pour survivre. « Il y a cette entreprise qui produisait des stabilisateurs automobiles en métal et qui doit apprendre à travailler avec des méthodes et des matériaux différents pour la voiture électrique. Il y a aussi celle qui abandonne la fabrication de systèmes électriques embarqués pour se tourner vers la production de bornes de chargement électrique », liste M. Kudic.

L’enjeu est d’ampleur, et l’effort de formation à accomplir immense, dans un pays où la main-d’œuvre qualifiée commence à manquer.

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Fermetures, délocalisations : le modèle industriel allemand en crise

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18.01.2024

La forte réduction des émissions de CO2 de l’Allemagne en 2023 résulte surtout de la crise de son modèle industriel. Ces secteurs très énergivores, moteurs de l’économie allemande, sont affectés par le ralentissement mondial.

Belle nouvelle ! L’année dernière, les émissions de CO2 allemandes ont reculé de 10 % sur un an. Les émissions ont ainsi atteint leur plus bas niveau depuis 1950 (à 673 millions de tonnes de CO2), et cette amélioration dépasse même les objectifs fixés dans la loi allemande sur la protection du climat.

Pourtant, les experts du think tank Agora Energiewende (« transition énergétique » en allemand), ne sont que modérément optimistes. Car ce recul est certes lié à une réduction du recours au charbon, mais il est aussi le marqueur d’une crise industrielle.

« Seulement 15 % de la baisse observée...

Belle nouvelle ! L’année dernière, les émissions de CO2 allemandes ont reculé de 10 % sur un an. Les émissions ont ainsi atteint leur plus bas niveau depuis 1950 (à 673 millions de tonnes de CO2), et cette amélioration dépasse même les objectifs fixés dans la loi allemande sur la protection du climat.

Pourtant, les experts du think tank Agora Energiewende (« transition énergétique » en allemand), ne sont que modérément optimistes. Car ce recul est certes lié à une réduction du recours au charbon, mais il est aussi le marqueur d’une crise industrielle.

« Seulement 15 % de la baisse observée est permanente, dans le sens où elle provient d’une capacité supplémentaire d’énergies renouvelables, de gains d’efficacité ou du passage à des carburants moins émetteurs », constate le think tank spécialiste des questions de transition énergétique. « En revanche, nous ne voyons pas de développement durable dans la réduction des émissions dans l’industrie », nuance Simon Müller, son directeur.

Atonie des commandes et recul de la production

Selon Agora Energiewende, l’augmentation des prix élevés de l’énergie après le début de la guerre en Ukraine et l’atonie des commandes – en raison successivement du ralentissement chinois, de la contraction de la demande mondiale puis du ralentissement allemand – ont fortement touché la production des secteurs très consommateurs d’énergie, comme la chimie, la métallurgie ou la sidérurgie. La production a ainsi reculé de 11 % en 2023 dans les industries intensives en énergie, alors que l’économie allemande n’a ralenti sur la même période « que » de 0,3 %.

Forte consommatrice de gaz et de produits pétroliers, l’industrie chimique est affectée en premier lieu. Des géants comme BASF ont en effet longtemps appuyé leur rentabilité sur les hydrocarbures russes bon marché, dont ils doivent maintenant se détourner pour des raisons géopolitiques.

La production a reculé de 11 % en 2023 dans les industries intensives en énergie, alors que l’économie allemande n’a ralenti « que » de 0,3 %

Aujourd’hui, il leur faut acquitter un prix nettement plus élevé pour acheter du........

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