THÈME

De la pièce de Racine, tragédie historique en cinq actes et en alexandrins, seule Bérénice habite la scène, abandonnée et chassée par Titus qui, malgré l’amour qu’il lui porte, préfère le pouvoir impérial à celle qu’il avait promis d’épouser.

La pièce se construit donc autour du chagrin de Bérénice, laissée dans une spectaculaire solitude, mais s’exprimant dans la langue poétique universelle.

Une mise en scène extraordinaire d’épure et d’esthétisme, d’une beauté à couper le souffle dans une sorte de brouillard incandescent où la pièce se joue derrière un filtre.

Un décor sophistiqué comme un écrin pour un seul en scène d’Isabelle Huppert, et animé par des objets incongrus, des sons et des lumières changeantes.

Des chorégraphies subtiles et précises, d’une réelle inventivité, mettent en danse Titus reconnaissable à la couronne d’or qui ceint son front.

De lents mouvements de groupe derrière la scène, qui montrent un Sénat romain en constante activité, métaphore du pouvoir stylisée comme un tableau de la peinture classique, contrastent avec l’immobilisme de Bérénice.

Un sens des couleurs et de la composition qui confère à chaque scène une forme de perfection émouvante, très graphique et poétique, notamment quand Bérénice s’étiole à la manière du gigantesque bouquet qui forme le décor derrière elle.

Les bruitages et autres chuintements, sons de cloche, chants d’église, fifres, tambours, souffles inspirés des bandes-son des films de science-fiction, parasitent le texte de Racine, par moments, rendu délibérément inaudible, laissant échapper le sens.

Une monotonie dans les effets qui altère la voix, transformée par le micro en son métallique des jeux vidéo.

Bérénice prend parfois des airs de vieille folle qui parle à un radiateur et se répand en cris, comme si on devait substituer à la langue de Racine des punchlines empruntées au registre publicitaire, au design et au kitsch…

On n’échappe pas hélas au défilé de douze sénateurs romains, culs nus, n’ayant gardé que leur écharpe rouge dans une scène de nudisme convenue.

A travers le chagrin de Bérénice se lit le tragique de chaque séparation amoureuse et, sans doute, le drame d’une féminité entièrement vouée à la passion au point d’y perdre son existence.

L’adaptation de la tragédie, si elle évacue les propos des autres personnages pour se focaliser sur la personnalité de Bérénice, qui parle aussi pour Titus, n’altère pas la puissance poétique de la pièce et parvient à ne pas dénaturer le propos d’une inaltérable actualité : l’amour fou ne fait jamais bon ménage avec l’ambition politique et l’exercice du pouvoir, comme si l’un mettait en danger l’autre...

« Vous êtes empereur, seigneur, et vous pleurez ! »

« Ne donne point un coeur qu'on ne peut recevoir. Ne l'avez-vous reçu, cruel, que pour le rendre ? Quand de vos seules mains ce coeur voudrait dépendre ?
Tout l'empire a vingt fois conspiré contre nous. »

« Que le jour recommence, et que le jour finisse, sans que jamais Titus puisse voir Bérénice. »

Poète français né à La Ferté-Milon le 22 Décembre 1639, célèbre représentant de la tragédie classique, Jean Racine est considéré, avec Molière et Pierre Corneille, comme l'un des plus grands dramaturges français.

Romeo Castellucci, auteur, metteur en scène et plasticien italien, formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bologne, est né en 1960 et figure, depuis les années 1990, parmi les grands noms de l’avant-garde théâtrale européenne.

QOSHE - "Bérénice" de Racine : la femme au chagrin - Alya Aglan
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

"Bérénice" de Racine : la femme au chagrin

7 0
25.03.2024

THÈME

De la pièce de Racine, tragédie historique en cinq actes et en alexandrins, seule Bérénice habite la scène, abandonnée et chassée par Titus qui, malgré l’amour qu’il lui porte, préfère le pouvoir impérial à celle qu’il avait promis d’épouser.

La pièce se construit donc autour du chagrin de Bérénice, laissée dans une spectaculaire solitude, mais s’exprimant dans la langue poétique universelle.

Une mise en scène extraordinaire d’épure et d’esthétisme, d’une beauté à couper le souffle dans une sorte de brouillard incandescent où la pièce se joue derrière un filtre.

Un décor sophistiqué comme un écrin pour un seul en scène d’Isabelle Huppert, et animé par des objets incongrus, des sons et des lumières changeantes.

Des chorégraphies subtiles et précises, d’une réelle inventivité, mettent en danse Titus reconnaissable à la couronne d’or qui........

© atlantico


Get it on Google Play