En bonne logique, le consommateur aurait beaucoup de choses à se reprocher dans cette crise qui oppose le monde agricole au gouvernement ou à l'Europe. La grande distribution n'est pas innocente, l'industrie non plus… mais bizarrement, on évite soigneusement d'accuser le consommateur, à qui on pourrait reprocher bien des comportements schizophrènes. Après tout, c'est le consommateur qui décide d'acheter tel ou tel produit, à tel ou tel prix. Mais on épargnera le consommateur parce que, dans cette surenchère démagogique, on lui trouvera toujours des excuses. C'est lui qui achète, oui, c'est lui qui paie. Sa fin de mois est tellement difficile et la fin du monde l’ inquiète tellement , qu'il n'a pas forcément le choix. C’est vrai.

Cette crise du monde agricole est très importante parce que plutôt que de remuer ciel et terre, on pourrait saisir l'occasion de rappeler que la concurrence existe, qu'elle joue en faveur de tous les acteurs des chaînes de production, et d'abord en faveur du consommateur final. Mais si on ne fait pas cette pédagogie, c'est peut-être parce que la plupart des gros joueurs sur ce marché ont intérêt à ce qu'elle ne soit pas faite.

Premier point : Personne ne met en doute l'ampleur des difficultés supportées par le monde agricole. Les agriculteurs sont noyés sous la contrainte administrative, les impératifs d'une écologie punitive et agressive, la puissance de ses partenaires clients, la fébrilité des marchés et l'incohérence du commerce mondial.

Deuxième point : L'état du marché fait que le producteur agricole français ne réussit pas à vendre son produit à un prix qui lui permettrait de vivre correctement de son travail. Il est coincé par la pression des centrales d'achat, des importations extérieures produites dans des conditions plus favorables que les siennes, soit parce que les normes qui lui sont imposées cannibalisent sa marge, soit parce que ses intrants (inputs de production) sont plus chers.

Troisième point : On a bien compris que le système ne permet pas à l'agriculteur de relever ses prix. Ses clients, et notamment la grande distribution, vont se fournir à l'importation pour sortir en rayon à un prix le plus bas possible. Les transformateurs (Lactalis en tête) font le même raisonnement pour protéger leurs marges. Comble de ce système, l'agriculture de proximité (y compris le bio), sur laquelle le producteur pouvait se faire de la marge, n'a plus les faveurs d'un consommateur un peu déboussolé sinon désargenté. Ajoutons à cela que le gouvernement, préoccupé par le risque d'inflation récurrente, ne voit pas d'un mauvais œil la grande distribution se challenger sur les baisses de prix. Et dans ce cas là , la façon dont on accouche des baisses de prix importe peu pourvu que les indices pique du nez.

Quatrième point : Les agriculteurs sont forcément perdants à ce jeu pervers, et le débat se résume pour les politiques dans le choix entre libre-échange et protectionnisme. Un débat théorique perdant : perdant… perdant.

Le protectionisme engendre dans tous les cas de l'appauvrissement, car le modèle ne diffuse pas les richesses, les progrès et les avantages offerts par les partenaires extérieurs. Le libre-échange est à l'origine de l'enrichissement global depuis le 19e siècle, car il fait profiter les agents économiques de chacune de leurs spécificités. Ricardo a très bien décrit ce mécanisme. Seulement, voilà, le libre-échange, dont le moteur est la concurrence, doit être transparent, loyal, honnête et éthique, car c'est le consommateur qui doit faire les arbitrages. Il va choisir selon le prix, bien sûr, et selon la qualité, selon aussi les conditions de productions, etc., etc. En France, il faut craindre que les élites considèrent le consommateur comme particulièrement bête, puisqu'elles ont la conviction que le seul facteur de la concurrence, c'est le prix. Le prix est important, mais ce n'est pas le seul facteur de décision, surtout en alimentaire, y compris en période inflationniste.

Le consommateur a besoin de qualité, il a donc besoin d'une information précise et vraie sur la composition. Le consommateur n'aime pas qu'on lui raconte des histoires, en revanche, il aime que le produit qu'il va acheter ait une histoire belle et crédible. C'est le rôle de la marque. Les grandes marques alimentaires, les plus célèbres, n'ont pas vu leur chiffre d'affaires baisser lors du pic inflationniste. Le problème dans cette recherche de vérité, c'est que les produits de l'agro-industrie ne sont pas mieux identifiés. Plus de la moitié des poulets vendus en France viennent de l'Ukraine où ils ont été élevés en batterie. Ils sont vendus 30 à 50 % moins chers qu'un poulet de ferme, mais l'origine est très discrète. Idem pour la majorité des produits alimentaires de base. Alors, ces produits moins chers en tête de gondoles sont pernicieux par le prix, par les conditions de fabrication, par leur composition, etc., etc., mais personne ne le sait. La seule raison qu’on nous ait donne à l’importation massive de produits Ukrainiens était que ca aidait ce pays meurtri par la guerre. Bien , mais il y avait sans doute d’autres solidarités possibles ;

Faut dire que le consommateur français, qui adore ses agriculteurs, a assez peu la culture du made in France. Une des forces de l'Allemagne, c'est que le consommateur allemand achètera sans discuter du made in Germany et acceptera de le payer 20 % plus cher. En période d'inflation, il en achètera peut-être moins, mais il continuera d'acheter du made in Germany, parce que c'est dans son ADN. Moyennant quoi, il a des agriculteurs qui ont de quoi vivre et une industrie parmi les plus fortes de l'Union européenne. À noter que le consommateur allemand n'est pas arc-bouté sur les produits allemands. Au printemps, quand les fraises commencent à mûrir, il n'achètera pas pour autant les productions espagnoles. Il choisira les fraises de Bretagne qui arriveront trois semaines plus tard et qui lui coûteront 1 euro de plus au kilo. Le producteur breton le sait. Il préfère vendre ses gariguettes sur les marchés de Berlin, plutôt que dans la région parisienne où on préféré parfois la production espagnole ou marocaine parce qu'elle est moins chère .

Contrairement à ce qui se passe, ce n’est ni Michel Edouard Leclerc, ni Emmanuel Besnier, le président de Lactalis, ni d’ailleurs Bruno Le Maire qui peuvent décider ce qu on doit acheter et manger .. C’ est le consommateur…

C'est donc au consommateur français de sauver l'agriculture. C'est à l'agriculture française de mériter que l'on paie les produits plus chers parce qu'ils sont de meilleure qualité. La liberté du consommateur est de choisir le produit ou la marque qu'il désire. C’est d’arbitrer à l’intérieur de son budget tres souvent serré. C'est sa liberté et son droit. Et s'il veut acheter un produit importé, c'est aussi son droit le plus strict.

QOSHE - Crise agricole : et si le vrai coupable était le consommateur français... - Jean-Marc Sylvestre
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Crise agricole : et si le vrai coupable était le consommateur français...

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25.01.2024

En bonne logique, le consommateur aurait beaucoup de choses à se reprocher dans cette crise qui oppose le monde agricole au gouvernement ou à l'Europe. La grande distribution n'est pas innocente, l'industrie non plus… mais bizarrement, on évite soigneusement d'accuser le consommateur, à qui on pourrait reprocher bien des comportements schizophrènes. Après tout, c'est le consommateur qui décide d'acheter tel ou tel produit, à tel ou tel prix. Mais on épargnera le consommateur parce que, dans cette surenchère démagogique, on lui trouvera toujours des excuses. C'est lui qui achète, oui, c'est lui qui paie. Sa fin de mois est tellement difficile et la fin du monde l’ inquiète tellement , qu'il n'a pas forcément le choix. C’est vrai.

Cette crise du monde agricole est très importante parce que plutôt que de remuer ciel et terre, on pourrait saisir l'occasion de rappeler que la concurrence existe, qu'elle joue en faveur de tous les acteurs des chaînes de production, et d'abord en faveur du consommateur final. Mais si on ne fait pas cette pédagogie, c'est peut-être parce que la plupart des gros joueurs sur ce marché ont intérêt à ce qu'elle ne soit pas faite.

Premier point : Personne ne met en doute l'ampleur des difficultés supportées par le monde agricole. Les agriculteurs sont noyés sous la contrainte administrative, les impératifs d'une écologie punitive et agressive, la puissance de ses partenaires clients, la fébrilité des marchés et l'incohérence du commerce mondial.

Deuxième point : L'état du marché fait que le producteur agricole français ne réussit pas à vendre son produit à un prix qui lui permettrait de vivre correctement de son travail. Il est coincé par la........

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