Personne n’en parle, mais beaucoup commencent à se convaincre que la privatisation de certaines fonctions dévolues à la sphère publique serait la seule solution.

La privatisation aurait évidemment deux intérêts. D’une part, elle supprimerait des centres de coûts que l’État et les organisations sociales ne réussissent pas à financer. D’autre part, un changement de statut introduirait un nouveau management dominé par la culture du résultat, comme dans toutes les entreprises qui se retrouvent plongées dans l’économie de marché, c’est-à-dire dans la concurrence.

Personne n’en parle parce que le terme même de privatisation est tabou, il est même inflammable dans un climat politique français très tendu. La grande majorité de la classe politique a exclu le terme de son vocabulaire parce qu'à tort ou à raison, les responsables politiques pensent que l'opinion publique n’est pas prête. Or, les responsables politiques manquent singulièrement de courage parce que les dysfonctionnements des services de l’État, le pouvoir et l'influence de certains courants, le montant presque insoutenable de l’endettement interrogent de plus en plus l’opinion sur la capacité de l’État à gérer le modèle français.

Tout le monde sait que les grands services publics ne fonctionnent pas correctement : l’école est en panne, l'hôpital est malade, la justice aussi, et les organismes sociaux sont asphyxiés. Les grèves dans les services publics sont très mal supportées. Mais, par ailleurs, les mêmes savent que toutes ces activités coûtent affreusement cher alors que le montant des impôts et prélèvements sociaux est insupportable. Deux événements très récents viennent accélérer la prise de conscience qu’il faudra évidemment changer de logiciel.

Le premier événement, c’est la crise agricole. Quoi qu’on dise, les manifestants réclament des aides de l’État, encore et toujours. Un remake du quoi qu’il en coute ! Que beaucoup d’agriculteurs soient en difficulté (en France comme en Europe d’ailleurs), la France entière en est convaincue. Mais que leurs difficultés soient traitées par des subventions publiques (c’est-à-dire par les contribuables), les Français ne le comprennent pas. Beaucoup d’agriculteurs eux-mêmes estiment qu'il y a d'autres solutions. Ils ont découvert à la faveur de cette crise que le montant des subventions distribuées représentait plus de 40 000 euros en moyenne et par an à chaque exploitation agricole, dont la moitié payée par Bruxelles. Ils ont découvert aussi qu'ils avaient besoin d’exporter (30% des productions) et que par conséquent, ils n’avaient pas intérêt à fermer les frontières. Quant aux prix planchers dont le président a parlé parce que certains syndicats les réclamaient, ils savent que c’est inapplicable.

Autant nationaliser complètement le secteur agricole. Le problème, il est ailleurs. Il se cache dans le défaut de compétitivité. C’est le point faible du secteur et la compétitivité, c’est la clef qui permet d’assumer la concurrence. Si la crise agricole que nous vivons permet la prise de conscience que la nationalisation n’est pas la solution, les psychodrames auraient servi à quelque chose. Dans l’affaire agricole, l’État ne signera pas de chèque parce que l’État n’en a plus les moyens. En revanche, l’État peut stimuler des effets de compétitivité qui seront autrement plus efficaces. Le secteur agricole a besoin d’une privatisation, ce qui n’empêche pas un État régulateur. En clair, mieux vaut une loi Regalim bien appliquée que des prix planchers qui vont traiter des fonds publics dans des usines à gaz.

Le deuxième événement qui peut favoriser l’évolution et le recul de l’État, c’est évidemment la nécessité de trouver plus de 10 milliards d’économies pour ajuster les comptes publics afin de se conformer aux normes des marchés financiers. La France peut emprunter à condition de prouver sa crédibilité. Le non-contrôle des dépenses publiques risque d’hypothéquer cette crédibilité. Bruno Le Maire a donc décidé de raboter la plupart des budgets ministériels. Les économies sont pour moitié ciblées sur certaines politiques publiques et pour moitié réparties sur l'ensemble des ministères dont aucun n'est exonéré d'effort. Les opérateurs de l'État, les dépenses de fonctionnement, et les dépenses immobilières seront notamment mis à contribution. Il est évident que ces économies feront débat d’autant que beaucoup touchent à la sphère sociale, le ministère du Travail, la Santé… mais ne remettent pas en cause le mode de fonctionnement, ni les effectifs. Pas de quoi provoquer la colère des syndicats, sauf que personne n’est dupe, ce rabotage ne suffira pas. Il faudra à un moment ou à un autre faire de vrais choix et trier les activités qui relèvent de l'État et celles qui pourraient relever de l’économie de marché.

Dans le social par exemple, la santé, la retraite, l'assurance maladie ou l'assurance chômage surtout qui est l’objet des attentions du ministre du travail … ces activités-là sont gérées selon les principes de la solidarité. C’est un choix politique et corporatiste qui répond à une demande politique mais qui coûte extrêmement cher et dont le coût pèse désormais sur l’activité globale. Ces mêmes services pourraient être gérés selon les principes de l'assurance. Une assurance ne peut pas perdre de l'argent, elle doit équilibrer le coût de gestion et le montant des sinistres aux revenus des primes. Ça marche dans l'automobile où l'assurance est obligatoire, ça marche dans la responsabilité civile… La privatisation des assurances et même des complémentaires santé, n'a jamais détérioré la qualité du service au contraire, mais cette privatisation évite de creuser le déficit de l’État. Aucune privatisation n'interdit à l'État de négocier un cahier des charges, et de fixer des règles et des contraintes de fonctionnement.

C’est vrai dans l'école, les écoles privées ne peuvent pas faire tout et n'importe quoi. C’est vrai dans la santé, où le secteur privé traite près de 30 % des besoins dans des conditions financières responsables.

C’est vrai dans le transport public où beaucoup de services sont assurés par des entreprises privées qui fonctionnent en délégations de services publics (transports scolaires notamment). Les services ne coûtent pas forcément moins chers mais la concurrence oblige les prestataires à garantir une qualité de service sans faille. Ça pourrait être vrai dans beaucoup d'autres activités, au niveau national comme au niveau local.

Mais quoi qu'on dise, le seul moyen de réduire le poids des dépenses publiques, et de redonner des moyens d’action à l'État sera de réduire le périmètre de l'État sur ses fonctions régaliennes. Cette idée n’est pas utopique, elle est simplement très compliquée à mettre en œuvre compte tenu des contraintes politiques.

QOSHE - Des privatisations inévitables si on veut redresser l’équilibre des dépenses publiques, mais personne n’ose en parler... - Jean-Marc Sylvestre
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Des privatisations inévitables si on veut redresser l’équilibre des dépenses publiques, mais personne n’ose en parler...

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28.02.2024

Personne n’en parle, mais beaucoup commencent à se convaincre que la privatisation de certaines fonctions dévolues à la sphère publique serait la seule solution.

La privatisation aurait évidemment deux intérêts. D’une part, elle supprimerait des centres de coûts que l’État et les organisations sociales ne réussissent pas à financer. D’autre part, un changement de statut introduirait un nouveau management dominé par la culture du résultat, comme dans toutes les entreprises qui se retrouvent plongées dans l’économie de marché, c’est-à-dire dans la concurrence.

Personne n’en parle parce que le terme même de privatisation est tabou, il est même inflammable dans un climat politique français très tendu. La grande majorité de la classe politique a exclu le terme de son vocabulaire parce qu'à tort ou à raison, les responsables politiques pensent que l'opinion publique n’est pas prête. Or, les responsables politiques manquent singulièrement de courage parce que les dysfonctionnements des services de l’État, le pouvoir et l'influence de certains courants, le montant presque insoutenable de l’endettement interrogent de plus en plus l’opinion sur la capacité de l’État à gérer le modèle français.

Tout le monde sait que les grands services publics ne fonctionnent pas correctement : l’école est en panne, l'hôpital est malade, la justice aussi, et les organismes sociaux sont asphyxiés. Les grèves dans les services publics sont très mal supportées. Mais, par ailleurs, les mêmes savent que toutes ces activités coûtent affreusement cher alors que le montant des impôts et prélèvements sociaux est insupportable. Deux événements très récents viennent accélérer la prise de conscience........

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