Le discours de politique générale prononcé par le Premier ministre lorsqu'il entre en fonction est toujours écoutés avec une attention particulière, car il donne le cap de ce que sera la politique du gouvernement pendant son mandat. Il indiquent sa position relative par rapport au président qui l'a nommé, mais il est aussi très écouté parce que le Premier ministre engage la responsabilité devant le Parlement, ce qui permet à l'opinion de juger de son assise politique. L'exercice n’est donc pas banal, en théorie, car sur les presque, trente Premiers ministres, qui ont travaillé sous la Ve République, il n'y en a guère que 3 ou 4 qui ont marqué l'histoire. Les autres n’ont fait que passer, soit parce qu'ils étaient trop technocrates, soit parce qu'ils n'ont pas résisté à la pression de l'Assemblée, de la presse, voire du président, soit parce que le président les considérait comme de simples collaborateurs…

Georges Pompidou a laissé une trace, non pas comme Premier ministre bien qu'il soit parti en désaccord avec le général de Gaulle, mais bien comme président successeur du fondateur de la Ve République. C’est d’ailleurs le seul des ex-premier ministre a avoir réussi a accéder à la présidence.

Sinon, Il n’y a que 3 premiers ministres qui ont dès leur arrivée démontré leur force de caractère, leur ambition de promouvoir une politique de réforme forte et qui ont donc laissé un nom dans l'histoire : Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de Georges Pompidou, Michel Rocard, Premier ministre de François Mitterrand, et Manuel Valls, Premier ministre de François Hollande. Gabriel Attal sera peut-être le 4e à rejoindre ce club très fermé.

Jacques Chaban-Delmas, ancien maire de Bordeaux, résistant avec le général de Gaulle, sera nommé Premier ministre de Georges Pompidou. A l’epoque, Pompidou a besoin de donner des gages aux gaullistes parce qu’il a quitté le général, en désaccord sur l’analyse des événements de mai 1968. Jacques Chaban-Delmas va présenter un discours de politique générale prônant l'émergence d’une nouvelle société capable de marier la prospérité économique issue des Trente Glorieuses, dont Pompidou est un avocat convaincu, et le progrès social qui doit être garanti par l’État. Pompidou n’aime guère la nouvelle société dont rêve Chaban, car il considère que le moteur de la société est dans la dynamique des entreprises. Les propos de Chaban sont populaires, mais son discours fissure dès le début le contrat de confiance qu'il a avec le président de la République. Le secrétaire d’État au Budget, puis aux Finances, Valéry Giscard d'Estaing, est beaucoup plus proche du président Pompidou. Jacques Chaban-Delmas a compris la demande sociale à laquelle il fallait répondre. Valery Giscard d’estaing a compris que la concurrence internationale obligeait le pays a proteger sa puissance economique. Les deux hommes s'affronteront a la mort de Pompidou. Valéry Giscard-d'Estaing gagnera l'Elysee, mais Chaban entrera dans l’histoire.

Michel Rocard sera nommé Premier ministre de François Mitterrand alors que celui-ci a besoin de rassurer les milieux d’affaires, mais les deux hommes ne s’aiment guère. François Mitterrand est arrivé au pouvoir avec un programme très à gauche et l'alliance des communistes. Michel Rocard a toujours défendu l’idée d'un socialisme responsable, c'est-à-dire d'un socialisme qui adhère à l'économie de marché et considère la concurrence des marchés comme moteur de progrès, le rôle de l'État étant de réguler la redistribution des revenus afin d'éviter de trop grands écarts entre les classes de la société. Michel Rocard a sans doute sauvé le pays de la faillite en redonnant de l'oxygène aux entreprises, mais il s'est fâché avec Mitterrand. Mitterrand n’est pas oppose au logiciel des rocardiens mais il doit préserver les valeurs de gauche qui lui donne une majorité. L’image de Michel Rocard restera grave dans la mémoire des Français.

Manuel Valls sera le dernier Premier ministre de François Hollande. Il arrive en fin de mandat du président à un moment où la France est gravement menacée par une vague de terrorisme international nourri à l'islam radical, qui a installé des antennes en Europe et notamment en France. Manuel Valls va assumer cette situation, mais il ne réussira pas à convaincre la gauche et le président que la majorité présidentielle fait fausse route en ne régulant pas l'immigration. Il faut dire qu’à cette époque, la France a besoin de main-d’œuvre bon marché et que le système éducatif ne remplit pas sa mission. Il faut reconnaître à Manuel Valls sa lucidité sociétale, sa capacité à prévenir une évolution qu'il savait dangereuse, mais il ne plaisait pas à la gauche embourgeoisée, qui pensait que la bienveillance à l’égard des émigrés allait lui permettre de se faire pardonner d'être aussi la gauche qui aime l'argent. François Hollande ne s'entendra pas avec Manuel Valls et ne fera jamais de lui son complice ni son successeur possible, laissant la route libre à un inconnu à l'époque qu'il a placé aux finances, Emmanuel Macron. La carrière de Manuel Valls est cassée mais son image reste très forte pour avoir vu juste dans l’évolution de la société francaise.

En dehors de ces trois Premiers ministres de la Ve République, on pourrait ajouter Raymond Barre, qui a permis à Giscard de gérer les contradictions de la première crise pétrolière, annonciatrice de grands changements, mais Raymond Barre n'était pas assez politique pour poursuivre une carrière et peut-être plus âgé que son président.

Alors, en dehors de ces trois Premiers ministres (Chaban, Rocard, Valls) dont les discours ont été fondateurs de grands changements, il faudra sans doute ajouter le nom de Gabriel Attal qui, à 34 ans, se retrouve chargé de gérer la première grande crise liée à la mutation écologique et mondialiste. Il est dans une position particulière puisqu'il est nommé par un président qui a été élu pour effectuer cette tâche que ni la droite ni la gauche n’ont su juguler. La révolution digitale couplée à la mutation climatique et donc énergétique, confrontée à une géopolitique qui nécessite d'inventer une nouvelle gouvernance mondiale, tous ces changements avaient été brillamment diagnostiqués par Macron lors de son arrivée au pouvoir. En réponse, il pensait arriver à gouverner et à initier ces réformes avec un concept du « en même temps ». Très séduisant au départ, sauf que ce n’était rien d’autre qu’un centralisme où l'on aurait éliminé les corps intermédiaires. Ça n’a pas marché.

En nommant Gabriel Attal, Emmanuel Macron a peut-être pensé qu'un plus jeune que lui avait la recette magique. En tout cas, le diagnostic correspond à la réalité. Il répond à la demande d’une grande partie de l’opinion puisqu'il propose de privilégier la performance économique comme moyen d'assumer les contraintes écologiques et sociales qui bousculent la France. Si le président de la République le laisse travailler et ne le paralyse pas… Attal peut réussir à renverser la table. Le seul risque est de ne pas s’entendre avec celui qui l'a nommé. Mais c’est d’un classisme banal, inhérent aux institutions de la Ve république. Le risque est un bon risque, puisque Macron ne pourra pas se représenter. A terme, tout le problème de Gabriel Attal sera de ne pas avoir a assumer le passif de la présidence Macron. C’est pas impossible Pompidou avait réalisé ce tour de force de déborder le gaullisme sans abimer la statue du général qui l’avait quand même fait roi.

QOSHE - Gabriel Attal peut rejoindre le club fermé des Premiers ministres, avec Chaban-Delmas, Rocard et Valls qui ont laissé une vraie trace - Jean-Marc Sylvestre
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Gabriel Attal peut rejoindre le club fermé des Premiers ministres, avec Chaban-Delmas, Rocard et Valls qui ont laissé une vraie trace

10 1
31.01.2024

Le discours de politique générale prononcé par le Premier ministre lorsqu'il entre en fonction est toujours écoutés avec une attention particulière, car il donne le cap de ce que sera la politique du gouvernement pendant son mandat. Il indiquent sa position relative par rapport au président qui l'a nommé, mais il est aussi très écouté parce que le Premier ministre engage la responsabilité devant le Parlement, ce qui permet à l'opinion de juger de son assise politique. L'exercice n’est donc pas banal, en théorie, car sur les presque, trente Premiers ministres, qui ont travaillé sous la Ve République, il n'y en a guère que 3 ou 4 qui ont marqué l'histoire. Les autres n’ont fait que passer, soit parce qu'ils étaient trop technocrates, soit parce qu'ils n'ont pas résisté à la pression de l'Assemblée, de la presse, voire du président, soit parce que le président les considérait comme de simples collaborateurs…

Georges Pompidou a laissé une trace, non pas comme Premier ministre bien qu'il soit parti en désaccord avec le général de Gaulle, mais bien comme président successeur du fondateur de la Ve République. C’est d’ailleurs le seul des ex-premier ministre a avoir réussi a accéder à la présidence.

Sinon, Il n’y a que 3 premiers ministres qui ont dès leur arrivée démontré leur force de caractère, leur ambition de promouvoir une politique de réforme forte et qui ont donc laissé un nom dans l'histoire : Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de Georges Pompidou, Michel Rocard, Premier ministre de François Mitterrand, et Manuel Valls, Premier ministre de François Hollande. Gabriel Attal sera peut-être le 4e à rejoindre ce club très fermé.

Jacques Chaban-Delmas, ancien maire de Bordeaux, résistant avec le général de Gaulle, sera nommé Premier ministre de Georges Pompidou. A l’epoque, Pompidou a besoin de donner des gages aux gaullistes........

© atlantico


Get it on Google Play