Le monde des affaires commence à se désoler du spectacle permanent des manifestations et des menaces de grève dans de nombreux secteurs. D’autant que la situation économique se dégrade en Europe et surtout le gouvernement ne semble pas en mesure d’apporter de réponses à la grogne et la rancœur qui dominent le climat social en France. Plus grave, les chefs d’entreprises sont assez atterrés de constater que l’État n’a que des solutions étatiques à proposer. À tel point que l’État se retrouve sur tous les fronts avec une gouvernance obligée d’intervenir dès que dans un secteur ça pleure ou ça bouge.

Ce qui est étonnant et désolant, c’est que personne en France n’a la culture du résultats et n’est capable aujourd’hui de sortir un projet libéral pour la France : libéral, cohérent et efficace. Les libéraux se cachent, pétrifiés par l’audace qu’il leur faudrait s’ils s’avisait de bouger une oreille.

Le mot libéral en France est tabou. Et d’ailleurs, pour assurer le tabou, si l'invective de libéral ne suffit pas, on le taxera d’ultralibéral, l’injure suprême. Il n’y a qu’en France que le débat public ose ce genre d’absurdité. Et cela pose quand même un vrai problème dans le proche avenir, parce que si aucune solution alternative à l’étatisme n'est proposée, la France va s’étouffer sous le poids des dépenses publiques et des déficits, car si la dette est supportable avec plus de 3 % de croissance, elle devient dangereusement toxique sans croissance.

Sans entrer dans le détail académique, disons que le libéralisme caractérise un mode d’organisation de la société principalement fondé sur l’économie de marché. C’est-à-dire sur la confrontation permanente des intérêts individuels dont l’optimisation doit conduire à un équilibre qui puisse satisfaire le plus grand nombre à court et moyen terme. Un système d’organisation qui laisse faire le jeu de l’offre et de la demande et donc la concurrence, qui est sans doute le moteur le plus puissant du progrès. Sans reprendre les auteurs qui ont conceptualisé ce type d’organisation, le système libéral ne peut fonctionner que dans un état de droit, de transparence, de loyauté et de respect des contrepouvoirs. La plupart des économies de marché ne fonctionnent bien que dans le cadre d’un capitalisme et le plus souvent d’une démocratie politique réelle. L'État dans ce cas a pour mission d’assurer les fonctions régaliennes qui sont la justice, la défense extérieure et l'ordre intérieur. Il a donc pour mission de contrôler et de réguler le fonctionnement de l’économie de marché, veiller à ce que les conditions soient équitables. Et le cas échéant, l’État a le devoir de pallier les dysfonctionnements du marché.

Le problème, c’est que depuis des années, les États ont pris une place et un pouvoir colossal sur le fonctionnement de la société. L'État tient toutes les manettes, le plus souvent en toute légitimité, et les fonctionnaires s’octroient la responsabilité de secteurs tout entiers peu ou mal traités par le jeu du marché : dans le domaine social, pour répondre aux demandes de solidarité, dans le domaine de l’école, de la santé, des équipements qui nécessitent des financements à très long terme, dans les transports ou l’énergie, etc.

À tel point qu’aujourd’hui, l’État et son administration n’ont jamais été aussi puissants. Plus de 60 % du PIB (total des recettes créées) sont absorbés et gérés par la dépense publique. L'État intervient dans tous les domaines, tous les secteurs. Un pays où plus de la moitié de sa dépense est gérée dans la sphère publique est un pays socialiste. Gorbatchev disait qu’il aimait la France parce que c’était le dernier pays dans le monde où le communisme fonctionnait correctement. Aujourd’hui, les dépenses publiques sont encore plus lourdes mais le système public ne fonctionne plus. La France administrative est bloquée. Et les seuls moyens que la gouvernance propose pour calmer le mécontentement, c’est d’aggraver le poids des dépenses publiques. Bruno Le Maire va chercher 10 milliards d’euros à économiser parce qu’il n’a pas le choix. S’il ne le faisait pas, les marchés dégraderaient ce pays, ce qui alourdirait encore le poids de la dette. Mais au delà d’un coup de rabot , pas question en cette période de remettre la plat l’organisation.

Cela passe évidemment par des privatisations et/ou par l'introduction de la concurrence qui génère une émulation, donc des innovations, donc de la croissance.

Techniquement, on pourrait très bien privatiser tout ou partie des transports publics, les transports et les cantines scolaires. Techniquement, on pourrait très bien privatiser une très grande partie de l'appareil de santé, de l'éducation nationale, etc. L'idée serait de mettre sous la responsabilité de structures privées des activités qui relèvent aujourd'hui de services publics. On peut même privatiser ou désétatiser la sécurité sociale et la faire fonctionner sous une logique assurancielle. Après tout, l'assurance automobile est obligatoire mais gérée par des sociétés privées. Le ressort caché dans la libération d’une activité, c’est l’introduction de la concurrence dans des systèmes qui ont un monopole public. Dans le social par exemple, l’arrivée obligatoire des mutuelles complémentaires a permis aux assurés sociaux de choisir les risques de couverture qu’ils souhaitaient et les mutuelles ont commencé la surveillance des prestataires de santé (qualité et prix). Le système de gestion actuel des services publics ne responsabilise ni les prestataires ni les consommateurs. À l’inverse, l’arrivée d’un acteur privé à côté d’un oligopole fait bouger les lignes. On l’a vu dans la télévision, la téléphonie, l’énergie, le gaz, l'électricité, la SNCF (sur quelques rares lignes). Alors les résultats ne sont pas encore satisfaisants (dans l'électricité ou la SNCF par exemple) mais au moins le débat existe et la pédagogie fait changer les mentalités.

Si on ausculte à la loupe les programmes de tous les courants politiques, si on écoute les propos de tous les responsables, on s’aperçoit que personne n’assume des options qui seraient libérales d’inspiration. À l’extrême gauche, il n’en est pas question, on rêve d’une révolution collectiviste. Ailleurs, on est plus nuancé, mais personne ne viendra défendre l’idée que d’introduire un peu de concurrence dans les transports publics ne ferait pas de mal, et même sur la droite, tous ceux qui ont des ambitions présidentielles n'en parleront pas.

Ils sont foncièrement centristes, sociaux-démocrates, d’autres sont favorables à plus d’autorité, voire de rigueur dans la gestion budgétaire. Chez les marconistes qui célébraient jadis les beautés de la Start-up nation, on ne parle plus de réformes structurelles.

Parmi les candidats possibles, ils sont tous intelligents, pragmatiques, responsables, européens, pro-entreprises, car l’État est bloqué, mais aucun ne prendra le risque de tisser des réformes franchement libératrices de l’économie.

Edouard Philippe, Gérard Darmanin, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, resteront toujours très étatistes. À l’extrême droite, les candidats possibles ne sont pas plus provocateurs concernant la liberté des entreprises. Ils sont souverainiste , tres souvent protectionniste, tres réticent au libre-échange. Tres attache au système social . L’État providence , c’est l’État roi.

Peut-être Bruno Le Maire s’il réussit à s’affranchir de son obligation de réserve. Peut-être Gabriel Attal, ou Manuel Valls s’il décidaient de concourir. Peut-être Bruno Retailleau du Sénat, peut-être David Lisnard qui en aurait la volonté.

Mais il leur faudra beaucoup de courage et de volonté. Les derniers libéraux français, François Léotard, Alain Madelin, Gérard Longuet, ont porté beaucoup d’espoir et de cohérence, mais ils n’ont pas réussi à renverser la table des conservatismes. La difficulté du libéralisme, c’est que ce n’est pas une idéologie, c’est une pratique, c’est une obligation de résultats. Les libéraux ont beaucoup de mal à prouver qu’un système libéral fonctionnerait mieux au profit du plus grand nombre. Alors qu’ aucun système étatique n'a délivré sa promesse de prospérité économique.

QOSHE - Le monde des affaires cherche désespérément le responsable politique qui osera engager une révolution libérale - Jean-Marc Sylvestre
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Le monde des affaires cherche désespérément le responsable politique qui osera engager une révolution libérale

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24.02.2024

Le monde des affaires commence à se désoler du spectacle permanent des manifestations et des menaces de grève dans de nombreux secteurs. D’autant que la situation économique se dégrade en Europe et surtout le gouvernement ne semble pas en mesure d’apporter de réponses à la grogne et la rancœur qui dominent le climat social en France. Plus grave, les chefs d’entreprises sont assez atterrés de constater que l’État n’a que des solutions étatiques à proposer. À tel point que l’État se retrouve sur tous les fronts avec une gouvernance obligée d’intervenir dès que dans un secteur ça pleure ou ça bouge.

Ce qui est étonnant et désolant, c’est que personne en France n’a la culture du résultats et n’est capable aujourd’hui de sortir un projet libéral pour la France : libéral, cohérent et efficace. Les libéraux se cachent, pétrifiés par l’audace qu’il leur faudrait s’ils s’avisait de bouger une oreille.

Le mot libéral en France est tabou. Et d’ailleurs, pour assurer le tabou, si l'invective de libéral ne suffit pas, on le taxera d’ultralibéral, l’injure suprême. Il n’y a qu’en France que le débat public ose ce genre d’absurdité. Et cela pose quand même un vrai problème dans le proche avenir, parce que si aucune solution alternative à l’étatisme n'est proposée, la France va s’étouffer sous le poids des dépenses publiques et des déficits, car si la dette est supportable avec plus de 3 % de croissance, elle devient dangereusement toxique sans croissance.

Sans entrer dans le détail académique, disons que le libéralisme caractérise un mode d’organisation de la société principalement fondé sur l’économie de marché. C’est-à-dire sur la confrontation permanente des intérêts individuels dont l’optimisation doit conduire à un équilibre qui puisse satisfaire le plus grand nombre à court et moyen terme. Un système d’organisation qui laisse faire le jeu de l’offre et de la demande et donc la concurrence, qui est sans doute le moteur le plus puissant du progrès. Sans reprendre les auteurs qui ont conceptualisé ce type........

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