Ce n’est pas la première fois que Pierre Moscovici est soupçonné de se livrer à une manœuvre politique pour déstabiliser le ministre de l’économie française et, au-delà, l’ensemble du gouvernement d’Emmanuel Macron. Le « tacle » fait partie de ses activités favorites. On se souvient qu’en juin 2023, alors même que les agences de notation prenaient le pouls de la France et que tout le monde s’interrogeait sur la réaction des marché, le premier président de la Cour des comptes avait estimé que la France « ne peut plus continuer à délivrer des signaux aux marchés qui relèvent de l’indifférence » et « doit prouver sa volonté de stabiliser la situation budgétaire ». C’était dans un entretien aux Echos publié le jeudi 11 mai.

Autant dire que du côté de Bercy et de la majorité, on n’a guère apprécié la manœuvre. Parce que rien n’obligeait Pierre Moscovici à parler. On se souvient aussi qu’en janvier dernier, il avait retardé la publication d’un rapport sur l’immigration pour soi-disant ne pas perturber le plan de l’exécutif dans la procédure de vote très controversée de la loi sur l’immigration. En réalité, il a alimenté la polémique politique ce qui n’a pas arrangé le gouvernement.

Ce qui s’est avec le budget 2024 ressemble là encore à un mauvais coup. Alors que Bruno Le Maire, le ministre de l'économie, présentait un plan de correction de la trajectoire budgétaire pour 2024 afin de tenir compte de la panne de croissance économique, d’une dérive des dépenses publiques et sociales et d’un risque de hausse des taux, alors qu'il s’engageait devant la commission des finances à raboter les dépenses publiques de 10 milliards pour cette année puis de 20 milliards en 2025, le ministre est à peine sorti de la commission quand Pierre Moscovici rend public son rapport annuel assorti de commentaires au vitriol.

Sur le fond, la Cour des comptes a évidemment fait son travail, elle a confirmé ce que tout le monde savait, y compris à Bercy, que les finances publiques de la France dérivaient dangereusement alors même qu'il n'y avait pas de circonstances exceptionnelles (type crise du Covid ou inflation importée d’Ukraine qu’il avait fallu amortir...). Le diagnostic n’était pas étonnant. Ce qui a fait désordre, en revanche, c’est de lire le président de la Cour des comptes Et notamment trois points :

Premièrement, il considère que les finances sont mal gérées.

Deuxièmement, il indique qu’il va falloir trouver non pas 20 milliards d’économies mais 50 milliards d’euros, ce qui met les comptables dans une autre dimension,

et Troisièmement, il précise au passage qu’on n’a pas prévu le financement de la transition énergétique. D’autant moins que la capacité d’endettement va se réduire dans des proportions importantes.

Alors ce qui est violent, dans cette affaire c’est moins les chiffres que c’est la mise en accusation des locataires de Bercy, parce que les chiffres de la comptabilité ne font que correspondre à la stratégie du gouvernement et Pierre Moscovici sait très bien que le rôle d’un ministre est de se battre pour obtenir le budget le plus important. Qu'on le veuille ou non, la grammaire partagée par tous les ministres revient à mesurer leur importance à l'ampleur de l'argent qu'ils obtiennent.

Par ailleurs, le président de la Cour des comptes sait aussi que le président de la République a eu, depuis qu'il a été confronté à des crises sociales à répétition, le chèque très facile pour acheter la paix sociale. Mais ce qui est encore plus violent dans les commentaires de Pierre Moscovici, c’est quand il recommande de faire 50 milliards d’économies dans les dépenses et que parallèlement il regrette que la transition énergétique ne soit pas programmée.

Ce qui est violent, c’est que le président de la Cour des comptes ne dise pas comment faire 50 milliards d’économies, ni comment on peut financer la mutation énergétique, alors qu’il sait que le financement existe à Bruxelles puisque les fonds empruntés au nom de l'Union européenne (850 milliards d’euros selon Thierry Breton) existent en attente d'un arbitrage de la Commission.

Si les hommes politiques peuvent prendre des libertés avec la cohérence des mesures qu'ils préconisent parfois, on peut le comprendre surtout en période électorale, mais le déficit de cohérence dont fait preuve Pierre Moscovici ne s’inscrit pas formellement dans les missions de la Cour des comptes qui impose justement la transparence, la vérité et la cohérence.

À moins que Pierre Moscovici n’ait rien oublié de la politique et qu’il n’ait sans doute pas abandonné l’idée de revenir aux affaires. Tout est possible. La famille politique d’origine est à reconstruire. Il a 67 ans… C’est Emmanuel Macron qui l’a nommé premier président de la Cour des comptes en juin 2020. Ça fait donc plus de trois ans et 10 mois qu'il est en poste. Maintenant qu’il observe la classe politique s’agiter, il doit commencer à avoir des fourmis dans les pieds.

QOSHE - Mais à quoi joue Pierre Moscovici pour démolir avec autant de violence la gestion budgétaire de la France ? - Jean-Marc Sylvestre
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Mais à quoi joue Pierre Moscovici pour démolir avec autant de violence la gestion budgétaire de la France ?

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14.03.2024

Ce n’est pas la première fois que Pierre Moscovici est soupçonné de se livrer à une manœuvre politique pour déstabiliser le ministre de l’économie française et, au-delà, l’ensemble du gouvernement d’Emmanuel Macron. Le « tacle » fait partie de ses activités favorites. On se souvient qu’en juin 2023, alors même que les agences de notation prenaient le pouls de la France et que tout le monde s’interrogeait sur la réaction des marché, le premier président de la Cour des comptes avait estimé que la France « ne peut plus continuer à délivrer des signaux aux marchés qui relèvent de l’indifférence » et « doit prouver sa volonté de stabiliser la situation budgétaire ». C’était dans un entretien aux Echos publié le jeudi 11 mai.

Autant dire que du côté de Bercy et de la majorité, on n’a guère apprécié la manœuvre. Parce que rien n’obligeait Pierre Moscovici à parler. On se souvient aussi qu’en janvier dernier, il avait retardé la publication d’un rapport sur l’immigration pour soi-disant ne pas perturber le plan de l’exécutif dans la procédure de vote très controversée de la loi sur l’immigration. En réalité, il a alimenté la polémique politique ce qui n’a pas arrangé le gouvernement.

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