La gestion de la crise agricole a une fois de plus oublié un acteur majeur de la filière qui est le consommateur. Il y a trente ans, le budget alimentaire dans une famille moyenne représentait plus de 30 % de ses dépenses. Aujourd'hui, cette part consacrée à l'alimentaire est tombée à moins de 15 % alors que le budget global a triplé. Cherchez l'erreur mais il n'y a pas d'erreur.

Le consommateur occidental a accru le montant global de ses revenus personnels et donc de dépenses mais il consacre désormais l’essentiel de ses dépenses à autre chose que l'alimentaire. L'immobilier a gardé une part très importante, plus de 30 %, mais les services, la mobilité dont l'automobile et les voyages, et surtout les dépenses de communication (internet, abonnement aux plateformes, téléphones mobiles...) et de loisir ont explosé pour une très grande majorité des consommateurs.

Beaucoup de ces dépenses sont contraintes, c’est-à-dire qu'elles sont quasiment fixes et payées par prélèvements mensuels, automatiques. Les seules dépenses variables sont les dépenses de produits de grande consommation.

Les grands distributeurs ont bien compris ce phénomène. Ils ont fait leur succès sur les petits prix et les discounts et leur fortune en mariant ces petits prix aux grandes masses. Michel-Edouard Leclerc, le champion auto proclamé de l’anti-inflation n'a pas cessé de jongler avec cette équation.

Sans le savoir très précisément, le consommateur a applaudi à la constitution de grandes centrales d'achat, il a plus ou moins favorisé les importations à bas prix en provenance de pays à faibles coûts de main d'œuvre, dans l'industrie comme dans l'agroalimentaire. Parce que cela lui permettait de dégager des marges de pouvoir d'achat. Et le monde agricole dans tout cela n’a pas eu d'autre choix que de céder à la concentration et au productivisme. Le nombre d'exploitations avoisinait les 900 000 en France il y a trente ans, les agriculteurs aujourd'hui sont moins de 400 000, et beaucoup essaient de se désengager.

Les seuls agriculteurs qui s’en sont bien sortis sont ceux qui se sont spécialisés dans l'intensif avec d'immenses exploitations consacrées aux grandes céréales (blé, maïs...) ou aux grands élevages dont le revenu dépend des prix mondiaux et ceux qui ont exploité des segments de proximité (circuit court) ou bio et encore... parce que dès que la conjoncture générale se dégrade, le consommateur se détourne du bio et se reporte sur la grande distribution.

Maintenant, la colère des agriculteurs a mis en lumière leurs difficultés de revenus en revendiquant des réformes et des aides auxquelles le gouvernement a eu l'intelligence de répondre. Tout ce que Gabriel Attal a annoncé correspond en gros à tout ce que les agriculteurs avaient envie d’entendre : moins de normes, moins de contraintes écologiques, plus de contrôles des importations et de rigueur dans l’application des lois Egalim. Emmanuel Macron, de son côté, a lui-même beaucoup amorti son discours très européen et très mondialiste en reconnaissant la nécessité d’une souveraineté alimentaire, et en permettant de réguler plus équitablement les accords de libre-échange.

Tout cela est rempli de bon sens, tout cela est de nature à calmer la grogne des agriculteurs et tout cela est de nature à dessiner un nouveau modèle de production agricole qui devrait, en théorie, générer plus de revenus au bénéfice des producteurs et leur garantir un avenir meilleur.

Ce qu’on n’a pas dit explicitement, c’est que toutes les mesures sur lesquelles les partenaires se seraient mis d’accord vont aboutir à une augmentation des prix pour le consommateur. Si on importe moins de produits à bas prix, si on veut cependant respecter des normes élevées de qualité, si on veut enfin participer à la lutte contre le réchauffement climatique… bref, si on veut manger mieux et plus français, il faudra accepter de payer plus cher ce qu’on mange. D’autant que la grande distribution va devoir faire un très gros effort de référencement et de transparence sur ce qu’elle vend. Si elle veut continuer à vendre du poulet d’Ukraine à bas prix, il faudra indiquer très clairement sa provenance et sa composition. Ça coutera plus cher.

Pour que ça marche, il faudra réunir deux conditions.

La première va être d’avoir des consommateurs qui exercent leur responsabilité sur le prix et la qualité de ce qu’ils achètent.

La seconde condition va être d’obtenir des partenaires européens qui jouent le jeu du respect des normes et de l'indication claire des provenances.

Aucune de ces deux conditions n'est garantie.

QOSHE - Pour que les agriculteurs puissent gagner leur vie, il va bien falloir que les consommateurs acceptent de payer plus cher la « bonne bouffe » - Jean-Marc Sylvestre
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Pour que les agriculteurs puissent gagner leur vie, il va bien falloir que les consommateurs acceptent de payer plus cher la « bonne bouffe »

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03.02.2024

La gestion de la crise agricole a une fois de plus oublié un acteur majeur de la filière qui est le consommateur. Il y a trente ans, le budget alimentaire dans une famille moyenne représentait plus de 30 % de ses dépenses. Aujourd'hui, cette part consacrée à l'alimentaire est tombée à moins de 15 % alors que le budget global a triplé. Cherchez l'erreur mais il n'y a pas d'erreur.

Le consommateur occidental a accru le montant global de ses revenus personnels et donc de dépenses mais il consacre désormais l’essentiel de ses dépenses à autre chose que l'alimentaire. L'immobilier a gardé une part très importante, plus de 30 %, mais les services, la mobilité dont l'automobile et les voyages, et surtout les dépenses de communication (internet, abonnement aux plateformes, téléphones mobiles...) et de loisir ont explosé pour une très grande majorité des consommateurs.

Beaucoup de ces dépenses sont contraintes, c’est-à-dire qu'elles sont quasiment fixes et payées par prélèvements mensuels, automatiques. Les seules dépenses variables sont les dépenses de produits de grande consommation.

Les grands distributeurs ont bien compris ce........

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