La France a une fois de plus manifesté un attachement quasi-amoureux à son agriculture, faite de petites exploitations qui agrémentent la campagne et alimentent parfois les marchés locaux pendant les vacances ou les week-ends. Il fallait sauver cette agriculture qui protège et entretient notre campagne, la sauver contre le cynisme des marchés internationaux, contre les écologistes aussi qui, sous prétexte de sauver le climat, empêchent de travailler a la campagne, sauver le monde paysan contre "les petits hommes gris" comme les appelle un célèbre chroniqueur de télévision et qui passent leur temps à Paris comme à Bruxelles à pondre des règlements et des normes pour protéger les… mais qui au fait, veulent-ils protéger ?

Toutes les mesures annoncées par Gabriel Attal prouvent d'abord qu'il a entendu la grogne et la rancœur sociale qui a bloqué les autoroutes… Mais aucune ne sera inutile. Il faut évidemment vérifier que la loi EGAlim est appliquée, il faut évidemment réguler le libre-échange et vérifier que les contraintes écologiques ne finiront pas par asphyxier les acteurs de la production avant d'éteindre les pollutions. Logique, normal…

Mais toutes ces mesures-là ne régleront pas le problème de nos agriculteurs tant qu'on n'aura pas défini quel type d'agriculture on souhaite sauver. Parce que la réalité de l'agriculture française est tellement complexe et contradictoire. Parce que le consommateur lui-même manque singulièrement de logique quand il réclame des produits sains et se précipite au supermarché sur une viande parce qu'elle est moins chère et qu'il ne se préoccupera pas de son origine.

Le vrai et seul problème que les agriculteurs ont en commun est un problème de compétitivité. Les agriculteurs ne gagnent pas assez avec ce qu'ils produisent. Ils travaillent trop pour ce qu'ils dégagent. On peut raconter ce qu'on veut sur les importations/exportations, sur la grande distribution et la rapacité des grands industriels… Il faut que les producteurs d'origine fassent plus de compétitivité.

Et pour faire plus de compétitivité, il n'y a que deux solutions. Soit ils augmentent leurs prix de vente… soit ils produisent en plus grande quantité.

Première solution : augmenter leur prix n'est possible que si le consommateur accepte de le payer et le consommateur l'acceptera si le produit offre une qualité qui le mérite. Monter en gamme, raconter une belle histoire sur le produit, créer une marque, offrir un service… Ça existe, mais le segment actuellement est assez étroit. Il s'agit là d'une agriculture de précision ou de proximité (mais pas seulement). Les viticulteurs, les producteurs de fromage ont réussi à offrir des produits de grande qualité qu'ils vendent cher sur le marché intérieur comme sur les marchés extérieurs. C'est difficile. Les agriculteurs spécialisés ont cru qu'il suffisait de respecter des normes bio pour pouvoir se vendre 30 à 50 % plus cher que le non-bio. Le consommateur a adhéré au concept mais l'offre réelle n'est plus à la hauteur de la promesse, donc, il se détourne. Le différentiel de qualité ne justifie pas pour lui la différence de prix.

Deuxième solution : produire plus, comme dans l'industrie qui cherche à allonger les séries. Une agriculture très productive et intensive qui permet de produire en très grande quantité. La France, poussée par la PAC, a pris ce chemin. Les exploitations se sont regroupées dans les céréales, mais ne rêvons pas, les exploitations dépassent les 700 hectares et plus… Idem dans la betterave ou la pomme de terre, quelques fruits et légumes. Beaucoup d'exploitations se sont mécanisées. L'équipement de la campagne française est un équipement très sophistiqué. Mais les exploitations ne sont pas assez grandes pour amortir les investissements, pas assez productives pour prendre des parts de marché mondiales. La compétitivité n'est pas à la hauteur des exploitations en Ukraine ou en Amérique. En clair, la France, contrairement à l'Allemagne, a interdit les fermes de mille vaches et plus… la France a perdu sa compétitivité et, par conséquent, ses parts de marché mondiales.

L'agriculture française n'a jamais su choisir quelle forme de production. L'agriculture française depuis un demi-siècle, dont 30 années de PAC, a voulu faire en même temps une agriculture de proximité et une agriculture intensive et industrielle. L'agriculture française n'a vraiment réussi dans aucune des deux spécificités. "Le en même temps a tué les familles agriculteurs". Le consommateur lui a suivi son intérêt qui est essentiellement un intérêt prix. Il accepte marginalement une alimentation de très grande qualité de temps en temps, à Noël ou au Nouvel An, mais ses contraintes budgétaires (pas de plus de 15% de ses dépenses) et ses habitudes de vie l'ont poussé vers des produits pas chers venant de n'importe où et comment vérifier puisque plus d'un repas sur deux est désormais pris en restauration rapide ou en plat cuisiné qui ne mentionne jamais l'origine des composants. Les mécanismes de marché ont fonctionné pour répondre à la demande. Les gouvernements ont une lourde responsabilité, les logiques européennes aussi, mais le consommateur doit lui aussi battre sa coulpe. Il a besoin de régulation écologique, il a besoin de contrôle, il a surtout besoin de transparence. Parce que dans la chaîne de production alimentaire, c'est normalement le consommateur qui a le pouvoir de faire changer les choses et d'obliger tous les maillons de la chaîne alimentaire à fabriquer de la compétitivité, c'est-à-dire des marges.

QOSHE - Sauver l'agriculture française ? Oui, mais de quelle agriculture parle-t-on ? - Jean-Marc Sylvestre
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Sauver l'agriculture française ? Oui, mais de quelle agriculture parle-t-on ?

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05.02.2024

La France a une fois de plus manifesté un attachement quasi-amoureux à son agriculture, faite de petites exploitations qui agrémentent la campagne et alimentent parfois les marchés locaux pendant les vacances ou les week-ends. Il fallait sauver cette agriculture qui protège et entretient notre campagne, la sauver contre le cynisme des marchés internationaux, contre les écologistes aussi qui, sous prétexte de sauver le climat, empêchent de travailler a la campagne, sauver le monde paysan contre "les petits hommes gris" comme les appelle un célèbre chroniqueur de télévision et qui passent leur temps à Paris comme à Bruxelles à pondre des règlements et des normes pour protéger les… mais qui au fait, veulent-ils protéger ?

Toutes les mesures annoncées par Gabriel Attal prouvent d'abord qu'il a entendu la grogne et la rancœur sociale qui a bloqué les autoroutes… Mais aucune ne sera inutile. Il faut évidemment vérifier que la loi EGAlim est appliquée, il faut évidemment réguler le libre-échange et vérifier que les contraintes écologiques ne finiront pas par asphyxier les acteurs de la production avant d'éteindre les pollutions. Logique, normal…

Mais toutes ces mesures-là ne régleront pas le problème de nos agriculteurs tant qu'on n'aura pas défini quel type d'agriculture on souhaite sauver. Parce que la réalité de l'agriculture française est tellement complexe et........

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