Politiquement, les idées de droite se sont majoritairement implantées dans le pays et s'attaquent enfin aux problèmes sociétaux : ceux qui touchent à l'ordre public, à l'autorité, à la justice, à l'immigration, à la délinquance, au trafic de drogue, etc. Les valeurs de la République sont revenues en tête des affiches électorales. Et tout le monde attend des résultats aux élections européennes qui devraient marquer une victoire des partis de la droite dure, de l'extrême droite, du RN, voire même des centristes qui ont relayé des promesses de droite avec comme programme : l'autorité, le respect de la souveraineté et de l'indépendance, la sécurité publique qui sont désormais les mots-clés de tous les candidats à quelque élection quel qu’elle soit, car c'est une demande forte de l'opinion publique.

Tous les sondages, études et analyses le montrent : la France se droitise de plus en plus et la pandémie de COVID-19 a d'ailleurs accéléré cette évolution. Ce qui est étonnant, c'est que si les partis de droite sont jugés capables de conduire la politique française, ils le feront surtout sur le plan sociétal. Mais comme le disait le général de Gaulle, "l'intendance ne suivra pas", car cette droite reste très conservatrice dans le domaine de la politique économique et sociale. Conservatrice dans le sens où elle ne bousculera pas le modèle socio-économique mis en place depuis un demi-siècle, ne sera pas de droite, car il n'existe pas dans cette France de droite une demande très libérale sur le plan économique et social. Les partis de droite sont capables de promettre des réformes de structure, mais pas celles qui permettraient de débloquer le système économique.

La réforme de l’État, par exemple, est au programme avec pour objectif de renforcer le pouvoir de l’État plutôt que d’en alléger le poids. Or, la caractéristique française, c'est le montant des dépenses publiques, plus de 60 % du PIB, un record mondial. Ces dépenses publiques expliquent naturellement le poids des prélèvements obligatoires et l’ampleur des déficits publics et sociaux, et par conséquent, la masse de la dette publique. Si la France se dirige à droite, elle devrait commencer par réduire le périmètre de l’État pour le ramener aux fonctions régaliennes. Aucun parti classé à droite, qui se rapproche du pouvoir, n'osera proposer un programme de privatisations ou de déconcentration du pouvoir. La droite veut bien être qualifiée de libérale si elle touche au modèle économique, mais pas question pour autant de renverser la table. Emmanuel Macron a annoncé haut et fort à son arrivée qu'il fallait faire une politique de l'offre, mais les mesures qu'il a initiées se sont arrêtées à la baisse relative des impôts de production pour les entreprises.

La réforme du modèle social, qui accumule les déficits et les dysfonctionnements, est absolument inenvisageable tant elle bouleverserait les habitudes, les statuts et les intérêts. Personne n’aura la force de changer l’assurance maladie, l'assurance chômage et l'assurance retraite. Tout le monde a l'ambition d'améliorer ses performances, mais la classe politique de droite comme de gauche ne propose que des mesures d'ajustement. Les responsables politiques qui se risqueraient à proposer un renforcement de la responsabilité individuelle sont bien rares, car politiquement cela impliquerait de faire reculer l’esprit de solidarité et de responsabilité collective.

Imaginer par exemple qu’on puisse en France adopter un régime de retraite par capitalisation relève de l’utopie politique ou de la provocation. Et pourtant, les fonds de pension sont les seuls moyens de sécuriser le système. Seul moyen de garantir des ressources financières pour investir et protéger la souveraineté.

En fait l’État providence est sanctuarisé. Entre ceux qui en bénéficient légitimement, ceux qui en vivent et ceux qui le défendent bec et ongles pour des raisons idéologiques, parce que c’est le fruit de plus d’un demi-siècle de lutte sociale, personne n'osera toucher à l'État providence. Pour la gauche c’est un marqueur idéologique. Pour la droite c’est un missile qui lui retomberait dessus.

Dans la même logique culturelle historique, le fonctionnement des services publics est sanctuarisé, alors que la qualité des prestations ne cesse de se détériorer. L'école publique, la santé publique, les transports publics ne donnent pas satisfaction au "client", alors que leur coût de fonctionnement ne cesse d’engloutir plus que l’ensemble des dépenses de fonctionnement du pays, obligeant l’État français à s’endetter.

Les différentes composantes de la droite française sont très étatistes, centralisatrices et très souvent souverainistes. Aucune de ces composantes ne sera en mesure de mettre en place des conditions minimales pour améliorer les résultats du modèle de fonctionnement en incitant les individus à prendre et à assumer plus de responsabilités. Aucune composante ne propose de réduire véritablement l'emprise de l'État, que ce soit en privatisant certaines des fonctions non régaliennes ou en introduisant plus de concurrence dans le fonctionnement de certaines administrations. L'expérience prouve que le marché et la concurrence sont plus efficaces pour délivrer des résultats qu'un État omniprésent. Or, la droite française n'est globalement pas très libérale sur le terrain de l’économie. La meilleure preuve en est que la France continue de se méfier des entreprises, de ne pas comprendre à quoi sert l'argent des profits et assume mal les contraintes du marché et de la concurrence. Les Français se mettent donc en colère périodiquement soit pour protéger un statut, soit pour réclamer des aides et des subventions comme c'est le cas avec les agriculteurs. La majorité des agriculteurs sont fiers de leur indépendance et de leur mode de vie, mais constatant qu'ils ne disposent pas des moyens pour financer ce mode de vie, ils réclament l'aide et le soutien de l'État français et de l'Union européenne qu'ils accusent pourtant d'avoir piégé les agriculteurs.

Face à ces colères, les courants politiques se forment à droite comme à gauche pour les entendre et essayer de répondre aux revendications. Ils ne font rien d’autre que d'acheter la paix sociale, alors qu'il leur faudrait travailler sur la compétitivité et fluidifier le marché.

La droite française est rarement au rendez-vous des besoins réels du modèle social et économique.

Historiquement, la droite française se compose de trois grands courants qui ont été décrits par René Rémond en 1954, éminent professeur de sciences politiques dont la réflexion reste une référence. René Rémond explique que la droite française est plurielle et s'organise en trois courants très distincts depuis le 19e siècle : -une droite légitimiste, issue de la contre-révolution, soucieuse de promouvoir une conception organique, hiérarchique et anti-égalitaire ;

-une droite orléaniste qui accepte le drapeau tricolore, le rôle du parlement et qui met l'accent sur les corps intermédiaires, les notables et les représentants du peuple ;

- une droite bonapartiste qui est celle de Napoléon III, qui met l'accent sur le rôle d'un chef et le recours au peuple, notamment avec le référendum.

Ces courants qui datent du 19e siècle ont laissé des traces que l'on retrouve encore aujourd'hui, même si les clivages ne sont pas très nets. La droite légitimiste s'est retrouvée très longtemps dans l'Action française et la France de Vichy ce qui a animé le débat politique pendant des années. On retrouvait cette ADN dans le Front national de Jean-Marie Le Pen, et même dans le RN, même si la nouvelle génération, Marine Le Pen en tête, a modifié beaucoup de lignes du logiciel qui avait été écrit par son père.

La droite bonapartiste s'est beaucoup retrouvée dans le gaullisme, avec le désir d'un homme fort pour gouverner, des corps intermédiaires élus, mais des partis politiques affaiblis au profit d'un recours au référendum du peuple.

La droite orléaniste s'est formée dans un bloc national avec Poincaré et plus récemment avec Valéry Giscard d'Estaing qui pensait gouverner avec 2 Français sur trois. C’est sans doute ce courant de la droite qui a le plus pris en compte le poids et le rôle des forces économiques dans la puissance du pays et la prospérité de ses habitants.

Cette droite-là est celle qui a le mieux projeté de limiter le rôle de l'État à ses fonctions régaliennes. C’est cette droite-là qui a le mieux compris la nécessité de s'ouvrir à l'international et de s'unir au sein de l'Union européenne. Cela dit, la première crise pétrolière de l'histoire, avec un quadruplement du prix du pétrole en 1973, a complètement changé le modèle économique et redonné à l’État un rôle de régulateur de la concurrence mondiale, d’investisseur et de protecteur. Cette crise, à partir des années 1980, a donné à l’État un rôle protecteur que les sociaux-démocrates et les socialistes ont pris en main. L’État providence est né à cette époque et n’a finalement pas lâché le pouvoir. C’est à partir de cette première crise mondiale, que les prélèvements obligatoires ont gonfles et que l’Etat s’est découvert une vocation de protecteur.

Jusqu’à une époque très récente, les droites françaises ont habité soit à l'extrême droite de l’échiquier politique sans être en position de gouverner, soit en s'alliant pour une part aux courants centristes, ce qui s'est passé avec Nicolas Sarkozy et même d’une façon encore plus ambiguë avec Emmanuel Macron. Le résultat de ces compromis est que la France n’a jamais fait de choix stratégiques très forts et que le pays s’est fracturé sans que les gouvernements puissent apporter des solutions, laissant finalement la gouvernance à la technocratie d’État et donnant au peuple le sentiment de ne pas être entendu.

Cette situation quelque peu délétère est en train de changer. De crise en crise, les cris de colère ont été entendus par une partie de la classe politique, d'où cette droitisation de la France. Le problème, c’est que cette droite peut certes changer les modalités du "vivre ensemble" (sur la sécurité, l'immigration, etc.), mais elle n'a pas de stratégie pour installer un modèle de fonctionnement libéral, notamment sur l'organisation de l'État, le modèle social, la mise en concurrence, la transformation des services publics, la place dans la mondialisation et le rôle de l'Union européenne. Elle n'a pas de stratégie, mais surtout pas de moyens financiers. Dans la mesure où tous les moyens financiers sont consacrés aux dépenses courantes, puisque la France (et son niveau de vie) dépend totalement des financements extérieurs (que ce soient des investissements ou des dettes), elle n’a aucune marge pour réaliser ses ambitions.

Le plus grave dans cette affaire, c’est qu’actuellement, si la France bascule à droite comme tous les sondages l’indiquent, elle n’a aucun responsable politique qui ait l'expertise, le charisme et l'autorité pour incarner une politique de droite responsable, cohérente et libérale. Il existe sans doute encore faut-il qu’il se révèle.

Le besoin est très simple : une droite qui sache restaurer et protéger les valeurs de la démocratie, mais en même temps sache mettre en œuvre les conditions pour que les agents économiques aient intérêt à délivrer des résultats économiques qui permettent d’apporter la prospérité pour tous, d'assumer les contraintes qui s'imposent à la planète (le climat et l'environnement) et de s'affranchir des obligations financières qui pèsent sur le fonctionnement du modèle.

QOSHE - SI politiquement, la France penche à droite, elle continue de s'accrocher à un modèle socio-économique mis en place par la gauche - Jean-Marc Sylvestre
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SI politiquement, la France penche à droite, elle continue de s'accrocher à un modèle socio-économique mis en place par la gauche

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04.03.2024

Politiquement, les idées de droite se sont majoritairement implantées dans le pays et s'attaquent enfin aux problèmes sociétaux : ceux qui touchent à l'ordre public, à l'autorité, à la justice, à l'immigration, à la délinquance, au trafic de drogue, etc. Les valeurs de la République sont revenues en tête des affiches électorales. Et tout le monde attend des résultats aux élections européennes qui devraient marquer une victoire des partis de la droite dure, de l'extrême droite, du RN, voire même des centristes qui ont relayé des promesses de droite avec comme programme : l'autorité, le respect de la souveraineté et de l'indépendance, la sécurité publique qui sont désormais les mots-clés de tous les candidats à quelque élection quel qu’elle soit, car c'est une demande forte de l'opinion publique.

Tous les sondages, études et analyses le montrent : la France se droitise de plus en plus et la pandémie de COVID-19 a d'ailleurs accéléré cette évolution. Ce qui est étonnant, c'est que si les partis de droite sont jugés capables de conduire la politique française, ils le feront surtout sur le plan sociétal. Mais comme le disait le général de Gaulle, "l'intendance ne suivra pas", car cette droite reste très conservatrice dans le domaine de la politique économique et sociale. Conservatrice dans le sens où elle ne bousculera pas le modèle socio-économique mis en place depuis un demi-siècle, ne sera pas de droite, car il n'existe pas dans cette France de droite une demande très libérale sur le plan économique et social. Les partis de droite sont capables de promettre des réformes de structure, mais pas celles qui permettraient de débloquer le système économique.

La réforme de l’État, par exemple, est au programme avec pour objectif de renforcer le pouvoir de l’État plutôt que d’en alléger le poids. Or, la caractéristique française, c'est le montant des dépenses publiques, plus de 60 % du PIB, un record mondial. Ces dépenses publiques expliquent naturellement le poids des prélèvements obligatoires et l’ampleur des déficits publics et sociaux, et par conséquent, la masse de la dette publique. Si la France se dirige à droite, elle devrait commencer par réduire le périmètre de l’État pour le ramener aux fonctions régaliennes. Aucun parti classé à droite, qui se rapproche du pouvoir, n'osera proposer un programme de privatisations ou de déconcentration du pouvoir. La droite veut bien être qualifiée de libérale si elle touche au modèle économique, mais pas question pour autant de renverser la table. Emmanuel Macron a annoncé haut et fort à son arrivée qu'il fallait faire une politique de l'offre, mais les mesures qu'il a initiées se sont arrêtées à la baisse relative des impôts de production pour les entreprises.

La réforme du modèle social, qui accumule les déficits et les dysfonctionnements, est absolument inenvisageable tant elle bouleverserait les........

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