Qu'une entreprise privée dégage des bénéfices, c'est plutôt une bonne nouvelle. C’est la preuve que l'entreprise est bien gérée et qu'elle va pouvoir se développer... Mais si l'entreprise dégage des bénéfices records à près de 20 milliards d'euros, la nouvelle dégage un parfum de scandale insupportable. Même si cette entreprise crée des emplois, paie des impôts, et qu'elle ne se livre pas à des activités illicites, rien n'y fait. Surtout quand, en plus, elle travaille à l'international, dans le pétrole et que le pétrole est cher et rare, indispensable surtout à tous ceux qui possèdent une voiture. Le prix de l'essence est devenu le marqueur de la santé d'une économie et de sa population.

Ces profits sont donc considérés comme des superprofits, ce qui est un concept assez flou mais plus politique que comptable ou juridique... Le débat ne concerne pas seulement l'entreprise, il devient public et la politique s'en empare…

D’un côté, les écologistes sautent sur l'occasion pour rappeler que ces profits ont été fabriqués par une industrie qui pollue avec la complicité de l'État bien sûr. De l’autre l'extrême gauche, suivie par une partie de la gauche de gouvernement, considère que ces profits ne font qu'accroître les inégalités puisqu'ils sont reversés aux actionnaires qui sont déjà tellement riches.

Bref, on a compris qu'en France une entreprise n'a toujours pas le droit de fonctionner normalement, c'est-à-dire de gagner de l'argent, et qu'elle n'a pas le droit de redistribuer une partie de cet argent à ceux qui ont investi leur épargne, parce qu'il vaut mieux faire dormir cette épargne sur des livrets A. Au moins elle est en sécurité puisqu'elle ne sert pratiquement à rien.

Avant d'engager ce type de débat dont le seul objectif est de monter les débatteurs les uns contre les autres, mieux vaudrait se poser les questions qui permettent de savoir de quoi on parle. C'est très simple.

Première question : d'où viennent ces profits, comment sont-ils fabriqués. Les spécialistes du management nous expliqueront qu'une entreprise doit obligatoirement dégager des bénéfices sinon elle s'effondre. Elle doit produire et vendre ce qu'elle produit et faire une marge pour investir et payer ses impôts. C'est le b.a.-ba de l'entreprise ou du commerce, bien géré. Total c’est vrai est une entreprise bien gérée . Maintenant, Total est une entreprise particulière. Elle travaille dans le monde entier. Son métier de base est d'exploiter du pétrole, de le raffiner et de le distribuer. Au-delà du pétrole, Total s'est aussi développée sur l'ensemble du secteur hydrocarbure, dont le gaz et très récemment le gaz liquéfié qu'elle achète (aux USA et ailleurs) pour le revendre en Europe en remplacement du gaz Russe depuis la guerre qui a tout bloqué...

Plus largement encore, Total s'est diversifiée dans les énergies renouvelables et notamment la gestion des parcs éoliens, puis évidemment dans l'électricité (de la production à la distribution), d'où son changement de nom de Total en Total énergie en 2007, année où on a libéralisé le marché de l'électricité et du gaz, ce qui a autorisé Total à rentrer sur ces nouveaux marchés.

Depuis 2021, le marché mondial de l'énergie a été bouleversé. Bouleversé par le Covid, par le formidable rattrapage de l'après Covid puis par les effets de la guerre en Ukraine. Autant de facteurs qui ont créé des chocs de demande d'autant plus puissants que l'offre s'est globalement raréfiée. Les prix mondiaux ont donc explosé à la hausse et provoqué un formidable courant inflationniste dans toutes les économies. À noter qu'en 2020, le baril de pétrole valait 42 dollars, en 2021 le baril valait 71 dollars, en 2022/début 2023, on flirtait avec les 100 dollars. Le gaz liquéfié lui a augmenté de plus de 100 % entre le moment où les Russes ont cessé de nous approvisionner et le début 2023. Total a vu ses profits augmenter dans le sillage des prix mondiaux, à tel point que sur 2022, on a parlé de superprofits que les économies n'ont pas pu supporter, d'où les aides à la consommation via des blocages de prix ou des chèques énergie.

En France, on peut aujourd'hui affirmer que les prix à la pompe sont bloqués par un plafond autour de 2 euros le litre. La France n'est pas le seul pays à avoir pris ce type de dispositif. Seulement, dès que les conditions de marché se régulent, les aides et les chèques sont supprimés.

La deuxième question porte sur ce que Total fait de l'argent gagné... Comme toutes les entreprises, Total achète ses matières premières et investit dans des exploitations nouvelles. Elle paie plus de 100 000 salaires dans le monde à un niveau très supérieur à la moyenne dans l'industrie. (dont 14 000 salaries francais ). Les augmentations (5% en moyenne par an), les primes annuelles versées depuis 2021, font que le climat social de l'entreprise est plutôt bon. Mais l'essentiel de l'argent est investi dans la recherche-développement et de nouveaux champs d'exploitation, ce qui soulève un débat récurrent chez les écologistes qui ne comprennent pas pourquoi cet argent n'est pas exclusivement investi dans les énergies naturelles et renouvelables afin de booster la mutation énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. La réponse de Total à ce genre de question récurrente est très connue. Total répond aux besoins de ses marchés et notamment de la population française qui a besoin de mobilité et de chauffage. Total répond au gouvernement par des contributions exceptionnelles aux investissements climatiques, aux équipements nucléaires et requête de ristournes sur le prix de l'essence quand les prix dépassent les 2 euros. Mais Total précise aussi qu'elle reste un très gros contributeur fiscal et un des plus importants collecteurs de taxes sur l'essence via la distribution. Enfin, dernier point qui fait débat également, Total distribue des dividendes à ses actionnaires, c'est-à-dire à ceux qui ont investi leur épargne en achetant des actions. La gauche française ne manque pas une occasion de grogner contre ce phénomène qu'elle considère comme un accélérateur d'inégalités sans savoir quels sont les actionnaires de Total.

Troisième question qu'on ne pose jamais, qui sont les actionnaires de Total Energies... Les responsables politiques laissent entendre que Total appartiendrait, comme la plupart des entreprises du CAC 40, à quelques riches fortunes qui habitent entre la côte d'Azur, Londres et les Bahamas... C'est possible que dans l'actionnariat de Total il y ait quelques grandes fortunes mais l'essentiel est ailleurs. Il y a beaucoup d'actionnaires institutionnels qui sont des sociétés d'assurance, des banques, des caisses de retraites pour : 74,4 %, dont : 13,8 % en France. 11,6 % au Royaume-Uni. 12,8 % dans le reste de l'Europe. Les actionnaires de Total en France ne sont pas très nombreux. Il faut certes compter le personnel de Total (environ 4 %) mais aussi, par exemple, EUTELSAT COMMUNIC., VALLOUREC +3.10 %, EDENRED +2.65 % RENAULT +2.62 %. Il faut y ajouter la plupart des grandes sociétés d'assurance et de placement (Axa, Bnp, Crédit Agricole via Amundi...) L'État français qui a détenu jadis plus de 34 % du capital est tombé aujourd'hui à moins de 15 %. À noter que l'essentiel des activités de Total s'exerce à l'étranger et certains considèrent aujourd'hui que Total n'est plus une entreprise française. La vérité est qu'il y a plus de salariés étrangers que français (100 000 salariés dans le monde et 14 000 en France) et surtout plus d'actionnaires étrangers que d'actionnaires français. Ces actionnaires étrangers sont pour la plupart des retraités étrangers dont les fonds de pensions ont mis du Total Energies dans les capitalisations. La France qui n'a pas choisi de construire ses systèmes de retraites sur la capitalisation ne peut pas bénéficier de ces mannes de profits à ses systèmes de retraites pourtant très malades.

QOSHE - Total : 19 milliards d'euros en 2023 de profits mais pourquoi autant d'argent ? Pour quoi faire ? Et au profit de qui ? - Jean-Marc Sylvestre
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Total : 19 milliards d'euros en 2023 de profits mais pourquoi autant d'argent ? Pour quoi faire ? Et au profit de qui ?

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08.02.2024

Qu'une entreprise privée dégage des bénéfices, c'est plutôt une bonne nouvelle. C’est la preuve que l'entreprise est bien gérée et qu'elle va pouvoir se développer... Mais si l'entreprise dégage des bénéfices records à près de 20 milliards d'euros, la nouvelle dégage un parfum de scandale insupportable. Même si cette entreprise crée des emplois, paie des impôts, et qu'elle ne se livre pas à des activités illicites, rien n'y fait. Surtout quand, en plus, elle travaille à l'international, dans le pétrole et que le pétrole est cher et rare, indispensable surtout à tous ceux qui possèdent une voiture. Le prix de l'essence est devenu le marqueur de la santé d'une économie et de sa population.

Ces profits sont donc considérés comme des superprofits, ce qui est un concept assez flou mais plus politique que comptable ou juridique... Le débat ne concerne pas seulement l'entreprise, il devient public et la politique s'en empare…

D’un côté, les écologistes sautent sur l'occasion pour rappeler que ces profits ont été fabriqués par une industrie qui pollue avec la complicité de l'État bien sûr. De l’autre l'extrême gauche, suivie par une partie de la gauche de gouvernement, considère que ces profits ne font qu'accroître les inégalités puisqu'ils sont reversés aux actionnaires qui sont déjà tellement riches.

Bref, on a compris qu'en France une entreprise n'a toujours pas le droit de fonctionner normalement, c'est-à-dire de gagner de l'argent, et qu'elle n'a pas le droit de redistribuer une partie de cet argent à ceux qui ont investi leur épargne, parce qu'il vaut mieux faire dormir cette épargne sur des livrets A. Au moins elle est en sécurité puisqu'elle ne sert pratiquement à rien.

Avant d'engager ce type de débat dont le seul objectif est de monter les débatteurs les uns contre les autres, mieux vaudrait se poser les questions qui permettent de savoir de quoi on parle. C'est très simple.

Première question : d'où........

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