THÈME

Neige est une adolescente introvertie, qui s’évanouit dès qu’une émotion trop forte la submerge. Elle essaie désespérément de plaire à sa mère, mais n’est ni très douée pour la danse, ni pour la musique, ni pour les devoirs…

Réalisant qu’elle sera toujours une déception, elle cherche à se libérer du cocon ouaté que sa mère - une « working mom » rigoriste que la vieillesse effraie - a tissé autour d’elle.

Derrière l’apparence d’une ado sage et soumise, se cache une rage de vivre : sortir de sa chambre et vivre des aventures… Et de ce point de vue, ça tombe bien : Chris, le beau gosse du lycée, lui a offert des fleurs, et elle rêve de le retrouver dans la forêt, où les jeunes se retrouvent la nuit pour danser...

La forêt, lieu de tous les fantasmes…

On est ici bien loin du conte de fée rendu célèbre par Disney, où, rappelons-le, le personnage principal n’a d’autre repère qu’un monde manichéen (séparé entre de gentils petits bonshommes et des adultes méchants), et où son destin ne tient qu’au bon vouloir d’un prince charmant enclin à bécoter une endormie pour être sauvée….

Ici, les personnages de Pauline Bureau ne sont ni tout à fait méchants ni tout à fait gentils, le prince n’est pas vraiment charmant, le chasseur est un animiste solitaire et tendre et la mère n’est pas un monstre égocentrique et égoiste, mais seulement une femme qui se demande quand sa jeunesse a disparu, et qui lutte avec la responsabilité d’être devenue mère avec tout ce que cela engendre de sentiments contradictoires.

Loin du conte de fée de Disney, Neige est donc tout sauf passive : elle prend son destin en main et troque son tutu de fille bien rangée pour un short d’aventurière. Chaque personnage sert de miroir à l’autre, révélant à chacun ses travers pour mieux faire éclater leur humanité. Ici, pas de fatalité, tout peut se transformer, tout est encore possible.

Dans cette relecture moderne du conte initiatique, où filles et garçons basculent vers l’âge adulte, Pauline Bureau nous parle de la force de l’amitié, mais aussi de la redécouverte du couple, une fois devenu parents, de la redécouverte de soi, de l’acceptation du temps qui passe, et puis enfin aussi et surtout, de la nature, avec sa puissance mystérieuse et révélatrice.

En effet, quand le rideau s’ouvre, c’est une véritable forêt qui se tient devant nous sur le plateau. Sombre, brumeuse, aussi bien enchanteresse que terrifiante, la forêt est un personnage à part entière de la mise en scène, c’est là que les personnages vont se transformer, se révéler, c’est là que la magie opère et que les rêves vont finir par se réaliser.

Le spectateur se sent alors happé par cet univers fantasmagorique qui stimule notre imaginaire. Pauline Bureau fait même apparaître des biches ou des loups qui traversent le plateau ou nous regardent, et, comme les personnages, on se sent ensorcelés.

Absolument aucune.

Le travail du son et de l’image vidéo est particulièrement réussi. Toutes les musiques choisies accompagnent avec finesse le récit, et l’on a envie de danser sur son siège !

Les images (préalablement filmées) des personnages tournoyant dans l’eau comme des bébés dans le ventre de leurs mères sont douces et poétiques.

C’est un véritable enchantement visuel et sonore, et avec un peu d’imagination, on pourrait presque sentir la mousse qui recouvre le sol de la forêt.

Journal intime : Neige

Toutes les règles de ma mère s’impriment en moi au fer rouge.
Ne ris pas si fort, ne mets pas de jean, qu’est-ce que c’est
que ces baskets, sois gentille, sois jolie, sois polie.
Coiffe-toi. Qu’est-ce que c’est que ce noir sous tes ongles et
ces noeuds dans tes cheveux ? Si tu n’as rien à dire, tais-toi.
Elle croit que je ne les écoute pas et pourtant, je n’ai pas
le choix, ces règles rentrent dans mes oreilles, trouvent
le chemin de ma joie et taillent dedans jour après jour.

Vivre, ce n’est pas se protéger tout le temps. C’est aller vers
ce qui nous étonne mais nous fait nous sentir vivants, debouts, fiers.
Vous ne croyez pas ?

Si tu ne vas pas dans les bois,
jamais rien n’arrivera,
jamais ta vie ne commencera.
Va dans les bois, va.

Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset, 1996

Après une formation au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique ( promotion 2004), Pauline Bureau fonde la compagnie La part des anges avec les comédien-ne-s qui sont toujours au cœur de ses spectacles aujourd’hui.

Elle met en scène un certain nombre de textes de théâtre et de matériaux divers avant d’écrire elle-même Sirènes en 2014. L’écriture devient alors le centre de sa pratique, et depuis, elle met en scène ses propres textes : Dormir cent ans, présenté à la Colline en 2019, puis Mon cœur, Féminines et Pour autrui (la Colline, 2021). Pauline Bureau crée ces quatre spectacles avec les acteurs de sa troupe, et Hors la loi avec ceux de la Comédie Française.

Ses créations, jouées aussi bien à Paris qu’à l’étranger, reçoivent de nombreux prix et distinctions.

En parallèle de ce chemin, Pauline Bureau a mis en scène plusieurs opéras. Consciente de la sous-représentation des écritures de femmes sur nos plateaux, elle travaille également à l’émergence de nouvelles voix en produisant des spectacles écrits par des femmes. Elle est actuellement plongée dans l’écriture de son premier long métrage.

QOSHE - "Neige" de Pauline Bureau : quand le fantastique devient le réel - Mathilde Cazeneuve
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"Neige" de Pauline Bureau : quand le fantastique devient le réel

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15.12.2023

THÈME

Neige est une adolescente introvertie, qui s’évanouit dès qu’une émotion trop forte la submerge. Elle essaie désespérément de plaire à sa mère, mais n’est ni très douée pour la danse, ni pour la musique, ni pour les devoirs…

Réalisant qu’elle sera toujours une déception, elle cherche à se libérer du cocon ouaté que sa mère - une « working mom » rigoriste que la vieillesse effraie - a tissé autour d’elle.

Derrière l’apparence d’une ado sage et soumise, se cache une rage de vivre : sortir de sa chambre et vivre des aventures… Et de ce point de vue, ça tombe bien : Chris, le beau gosse du lycée, lui a offert des fleurs, et elle rêve de le retrouver dans la forêt, où les jeunes se retrouvent la nuit pour danser...

La forêt, lieu de tous les fantasmes…

On est ici bien loin du conte de fée rendu célèbre par Disney, où, rappelons-le, le personnage principal n’a d’autre repère qu’un monde manichéen (séparé entre de gentils petits bonshommes et des adultes méchants), et où son destin ne tient qu’au bon vouloir d’un prince charmant enclin à bécoter une endormie pour être sauvée….

Ici, les personnages de Pauline Bureau ne sont ni tout à fait méchants ni tout à fait gentils, le prince n’est pas vraiment charmant, le chasseur est un animiste solitaire et tendre et la mère n’est pas un monstre égocentrique........

© atlantico


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