Atlantico : Un rapport sénatorial d'une commission d'enquête lancée après l'assassinat de Samuel Paty décrit une situation alarmante et une « école de la République en danger », avec une hausse généralisée de la « remise en cause de ses valeurs », selon les deux sénateurs co-rapporteurs, François-Noël Buffet (LR) et Laurent Lafon (Union centriste). Quels sont les principaux enseignements de ce rapport ?

Naëm Bestandji : L’incivilité augmente au sein des établissements scolaires. De plus en plus de familles se plaignent vis-à-vis de l'institution scolaire, des professeurs, des proviseurs, des principaux d'établissements, des conseillers d'éducation, comme pour l’ensemble des personnels qui y travaillent. L’institution en tant que telle est moins respectée qu'auparavant.

Cela conduit à des situations où les élèves ne reconnaissent plus ou contestent l'autorité, notamment des enseignants et des représentants de l'établissement. Cela peut être le cas pour les mauvaises notes que l'élève va contester. Parfois les parents se permettent d'expliquer comment est-ce que l'enseignant doit faire son travail. Ce phénomène est constaté à tous les niveaux, de la maternelle jusqu'au lycée.

Il y a également le développement du conservatisme religieux via la radicalisation de l'interprétation de l'islam. Comme la théologie actuellement est dominée par les intégristes musulmans, cela infuse parmi une partie des musulmans.

L'interprétation de la religion pour les plus radicaux va être calquée sur celle des islamistes, via une approche identitaire qui doit être visible et prosélyte, d'abord vis-à-vis de leurs coreligionnaires qui ne seraient pas assez musulmans. La pression est donc énorme sur eux, surtout sur les filles. Sur les garçons, la pression s’exerce notamment pour la période du ramadan. Cela se manifeste également par l'identité et par le patriarcat via une approche vraiment archaïque et rétrograde des rapports entre les filles et les garçons. Le corps des femmes et le rapport entre les sexes sont au cœur de toute l'obsession des intégristes musulmans. Tout tourne autour de cela. Ils vont organiser leur stratégie identitaire autour de cela. Voilà pourquoi le voile est leur outil politique et identitaire de prédilection et que la grande majorité des offensives politiques de l'islamisme se fait à travers le voile et en ciblant le corps des femmes. Ils considèrent le fait de cacher la femme comme une forme de respect vis-à-vis de l'homme.

Dévoiler la femme et le fait que les filles et garçons puissent vivre ensemble est une approche occidentale et ce n'est pas l'approche des musulmans, selon cette lecture intégriste qui vise à préserver l’identité via la “pudeur” de la femme.

Cela conduit à ce que des filles ne veulent plus aller en piscine. Pour des activités sportives, les filles ne veulent plus se mettre en short. De plus en plus de garçons et de filles sont choqués dès qu'ils voient un tableau avec des femmes nues. Une pudibonderie se développe et une partie de l'enseignement scolaire est remise en cause soit par le tenue des élèves, soit par le contenu de l'enseignement qui serait trop dépravé à leurs yeux. Donc certains parents et des élèves vont jusqu'à contester le programme national.

Les conclusions du rapport permettent de découvrir qu'il y a des contestations de plus en plus importantes. Les familles sont de plus en plus nombreuses à se rebeller.

Mais il y a une erreur dans les conclusions du rapport sénatorial. Tout le monde la commet en France en réalité. Je dénonce cette situation dans mon livre (“Le Linceul du féminisme Caresser l’islamisme dans le sens du voile”). Le coeur du problème n’est pas la laïcité en réalité. La principale cible des islamistes est l'égalité des sexes. Ils pratiquent le sexisme. Pour avancer sur l’égalité des sexes, un des outils est la laïcité. Les islamistes, pour faire diversion, veulent vraiment camper sur le terrain de la laïcité. Contrairement à ce que l'on croit, ils veulent ce qu'ils appellent la liberté religieuse. Ils ont enveloppé leur misogynie dans un emballage qui se dit religieux. La religion est supposée être un sanctuaire, un totem d'intouchabilité. Donc si on met des discriminations dans le cadre du religieux, cela est censé passer parce qu'il faut respecter la liberté religieuse.

En revanche, le sexisme, le véritable terrain concerné, constitue le talon d'Achille de l'islamisme. Les islamistes sont soulagés en réalité que le débat se concentre sur la laïcité et non sur le sexisme. Avec la laïcité, ils peuvent se faire passer pour des victimes. Selon eux, la laïcité les oppresse, les empêche de pratiquer leur religion, la liberté d'opinion. Par contre, sur le terrain de l'égalité des sexes, ils deviennent des oppresseurs.

Est-ce que l'école est devenue effectivement de plus en plus un réceptacle des maux de la société et une cible prioritaire des mouvements radicaux ?

L'école est un réceptacle de la société. Tous les problèmes sociaux se retrouvent à l'école.

L'éducation nationale est un réceptacle et il s’agit du sommet de l'iceberg. Or, la laïcité n'est pas l’enjeu principal. Des lois et des mesures sont mises en place, comme la loi de 2004, pour signaler tel ou tel comportement, mais il s’agit simplement d’une conséquence. L'élève ne passe pas la majorité de son temps à l'école. Par contre, les élèves amènent ce qu’ils ont appris à l'extérieur dans l'école. Le problème à la base n'est pas l'école. Le problème est en amont, au sein des familles, dans les quartiers, c'est dans les cités. L'école est tout le temps pointée du doigt mais on ne parle jamais des centres de loisirs, des centres de vacances. Depuis quelques années seulement la réalité des clubs de sport est évoquée parce que le prosélytisme islamiste devient trop flagrant.

Le rapport sénatorial ne parle que des solutions au sein de l'école. Il y a donc des tentatives de soigner les symptômes mais pas de soigner le mal à la racine, l'influence des islamistes sur l'image des femmes. C'est pour cela que le voile s'est énormément développé, notamment dans les quartiers populaires. L’accent n’est pas assez mis sur la lutte pour l'égalité des sexes. Une partie de la gauche qui est alliée aux islamistes défend les islamistes au nom de la liberté religieuse. Ils prétendent défendre une forme de laïcité plus ouverte. Mais à aucun moment ils ne vont parler de féminisme.

Tant que cette réalité ne sera pas dénoncée, l'école continuera à subir ces vagues-là. Cette situation a débuté en 1989. Il y a eu des offensives de plus en plus fréquentes, avec la circulaire Bayrou en 1994. Elle n’a rien réglé. Il a fallu attendre 2004, quinze ans après, pour qu'il y ait une loi. Et la loi ne règle rien. Elle règle un symptôme. Elle permet de cacher les choses. Les filles devant les établissements vont enlever leur voile. Mais cela ne change rien à l'idéologie à laquelle elles adhèrent.

La vague arrive à l'école avec depuis plusieurs années. Des jeunes filles qui sont nées après 2004 font le forcing pour tester cette loi, pour tester les lois de la République parce qu'elles considèrent que cette loi est une loi injuste. On croit que la loi va tout régler, alors qu'en fait c'est une conséquence. A ce rythme là, je crains que, si on continue ainsi, dans les prochaines générations, la loi de 2004 soit même supprimée. Il s’agit de l’un des objectifs de l’islam politique.

Dans quelques années, avec les futures générations et les jeunes d'aujourd'hui qui seront nos futurs élus et les futurs députés, cette loi pourrait être supprimée.

Comment faire évoluer cette situation? Le rapport sénatorial préconise 38 recommandations. Au niveau sociétal, est-il possible de retrouver un équilibre ou est-ce que la menace est vraiment très pesante ?

Il vaut mieux écouter les musulmans progressistes. Or là, nous n’écoutons que les conservateurs, voire les islamistes.

Les intégristes musulmans, lorsqu’ils publient des choses choquantes, précisent toujours que ce n’est pas leur opinion mais que cela provient du Coran ou des hadiths.

La France Insoumise fonctionne exactement de la même manière. Suite au 7 octobre, ils n’ont pas qualifié le Hamas de mouvement terroriste parce que les instances de l'ONU ne l’avait pas fait. C’est la même chose pour l’abaya. La justification se référait aux autorités religieuses et aux annonces du CFCM. Or, le CFCM n'est pas une autorité religieuse en islam. En islam sunnite, il n'y a pas d'autorité religieuse. Le CFCM est une association loi 1901 qui est là juste pour être un interlocuteur avec l'État, pour organiser le culte.

Une partie de la gauche doit donc retrouver ses valeurs pour lutter contre l'obscurantisme et permettre aux musulmans progressistes de mieux vivre en France. S'ils ne vivent pas très bien en France pour l'heure, concernant la religion, ce n'est pas par rapport à la laïcité, c'est par rapport aux islamistes qui leur mettent la pression. Il n’y a pas assez de témoignages de personnes ayant quitté la religion musulmane, notamment des femmes.

Une réforme de l'islam doit intervenir. Il est important de soutenir les musulmans progressistes pour qu’elle puisse avoir lieu.

QOSHE - Naëm Bestandji : "L’école demeure une cible prioritaire de l'islamisme" - Naëm Bestandji
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Naëm Bestandji : "L’école demeure une cible prioritaire de l'islamisme"

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09.03.2024

Atlantico : Un rapport sénatorial d'une commission d'enquête lancée après l'assassinat de Samuel Paty décrit une situation alarmante et une « école de la République en danger », avec une hausse généralisée de la « remise en cause de ses valeurs », selon les deux sénateurs co-rapporteurs, François-Noël Buffet (LR) et Laurent Lafon (Union centriste). Quels sont les principaux enseignements de ce rapport ?

Naëm Bestandji : L’incivilité augmente au sein des établissements scolaires. De plus en plus de familles se plaignent vis-à-vis de l'institution scolaire, des professeurs, des proviseurs, des principaux d'établissements, des conseillers d'éducation, comme pour l’ensemble des personnels qui y travaillent. L’institution en tant que telle est moins respectée qu'auparavant.

Cela conduit à des situations où les élèves ne reconnaissent plus ou contestent l'autorité, notamment des enseignants et des représentants de l'établissement. Cela peut être le cas pour les mauvaises notes que l'élève va contester. Parfois les parents se permettent d'expliquer comment est-ce que l'enseignant doit faire son travail. Ce phénomène est constaté à tous les niveaux, de la maternelle jusqu'au lycée.

Il y a également le développement du conservatisme religieux via la radicalisation de l'interprétation de l'islam. Comme la théologie actuellement est dominée par les intégristes musulmans, cela infuse parmi une partie des musulmans.

L'interprétation de la religion pour les plus radicaux va être calquée sur celle des islamistes, via une approche identitaire qui doit être visible et prosélyte, d'abord vis-à-vis de leurs coreligionnaires qui ne seraient pas assez musulmans. La pression est donc énorme sur eux, surtout sur les filles. Sur les garçons, la pression s’exerce notamment pour la période du ramadan. Cela se manifeste également par l'identité et par le patriarcat via une approche vraiment archaïque et rétrograde des rapports entre les filles et les garçons. Le corps des femmes et le rapport entre les sexes sont au cœur de toute l'obsession des intégristes musulmans. Tout tourne autour de cela. Ils vont organiser leur stratégie identitaire autour de cela. Voilà pourquoi le voile est leur outil politique et identitaire de prédilection et que la grande majorité des offensives politiques........

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