Dire que Maestro est un projet que Bradley Cooper a mené avec un enthousiasme débordant et un dévouement total jusque dans ses moindres détails relève de l'euphémisme. Chaque image, chaque décision - aussi bien esthétique que dramatique - respire l'amour et l'admiration entretenus par le comédien devenu réalisateur, scénariste et producteur à l'égard du chef d'orchestre et compositeur de renommée mondiale Leonard Bernstein.

Maestro s'inscrit dans une classe de « productions de prestige » destinées jadis à faire des ravages durant la longue saison des galas et des remises de prix. Et Cooper ne cache aucunement son désir de flirter avec cette époque révolue en embrassant à pleine bouche le classicisme hollywoodien des années 1940 à 1980.

La première moitié du film est présentée dans un noir et blanc immaculé rappelant les productions des années 1940 et 1950, tandis que la seconde fait évoluer les tons et les couleurs de la pellicule du début des années 1960 à la fin des années 1980. Mais au-delà de la magnifique direction photo de Matthew Libatique (A Star Is Born), le réalisateur épate en se collant aux codes et aux méthodes propres à chaque décennie, tout en leur insufflant une légère dose de modernité.

Ainsi, des élans plus théâtraux et oniriques, voire fantaisistes, de l'âge d'or hollywoodien, nous passons progressivement au réalisme du dernier quart du XXe siècle.

Mais, comme c'est souvent le cas avec les drames biographiques d'une telle envergure, la principale lacune de Maestro se situe dans l'attention disproportionnée qu'il accorde à la vie personnelle de son sujet, au détriment de ses nombreux accomplissements professionnels.

L'oeuvre de Leonard Bernstein demeure tout de même omniprésente tout au long du film, la bande originale du présent exercice lui ayant d'ailleurs été créditée.

Le long métrage concentre ainsi la majorité de ses énergies à explorer les dessous de la relation généralement harmonieuse, mais néanmoins compliquée, entre Leonard Bernstein (Cooper) et son épouse, la comédienne Felicia Montealegre (Carey Mulligan). Un mariage reposant sur le nombre grandissant de compromis qu'a dû faire cette dernière pour tenter de soutenir sa douce moitié à travers ses tourments, en plus d'accepter les relations extraconjugales que Bernstein vivait au grand jour avec d'autres hommes.

Le coeur de Maestro réside d'ailleurs dans l'incroyable chimie opérant entre ses deux têtes d'affiche, et ce, malgré le fait que Bradley Cooper aura craché une quantité non négligeable de fumée de cigarette au visage de sa partenaire de jeu durant leurs premières séquences à l'écran.

Ce qui n'est pas peu dire, croyez-nous!

À cet égard, Carey Mulligan doit assurément être considérée dans la course à l'Oscar de la Meilleure actrice. L'actrice britannique offre une performance extrêmement nuancée, autant en douceur et en fragilité qu'en force de caractère, laissant souvent passer les états d'âme et les pensées de son personnage à travers un simple changement de regard.

L'un des points forts de la mise en scène de Bradley Cooper découle d'ailleurs de son expérience devant les caméras. Ce dernier multiplie tout au long du film les longs plans statiques minutieusement composés à l'intérieur desquels il laisse toute la liberté nécessaire à ses comédiens - ainsi qu'à lui-même - pour dominer l'écran.

Dans la peau de Leonard Bernstein, Cooper offre également une prestation des plus habitées, déployant avec fougue la passion créatrice de ce monument de la musique (le principal intéressé ayant pu bénéficier ici de l'expertise de Yannick Nézet-Séguin), tout en mettant en relief les multiples strates de sa personnalité et de ses tiraillements intérieurs (artistiques comme psychologiques).

Si Cooper et son coscénariste Josh Singer (un habitué du drame biographique) passent parfois un peu trop rapidement par-dessus les innombrables faits d'armes de leur sujet, ces derniers proposent malgré tout un portrait réfléchi et pertinent d'une relation non conventionnelle évoluant au gré d'un amour inconditionnel et d'un respect mutuel, mais aussi d'une bonne dose d'adversité et de remises en question.

Il n'y a d'ailleurs qu'une seule scène dans laquelle le ton monte entre les deux protagonistes, et celle-ci s'avère marquante - en plus de la savoureuse pointe d'humour sur laquelle elle prend fin - justement car tout ce qui a précédé a été abordé avec la plus grande retenue.

Et à travers la grande et tumultueuse histoire de ce créateur de génie, Cooper et Singer posent également un regard à la fois juste et préoccupant sur notre rapport à la culture avec un grand C, et à la place que nous accordons désormais à ces figures incontournables de l'Histoire dans la sphère publique et médiatique.

Un juste retour du balancier ne serait définitivement pas une mauvaise chose.

Comptant sur l'expertise de deux artisans du septième art ayant quelques films marquants derrière la cravate en Martin Scorsese et Steven Spielberg à la production, Maestro confirme que Bradley Cooper à la verve d'un cinéaste perspicace, empathique et méthodique à prendre très au sérieux.

Maestro prend l'affiche au Québec ce vendredi, et sera disponible sur Netflix à compter du 20 décembre prochain.

QOSHE - Battre la mesure - Jean-François Vandeuren
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Battre la mesure

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07.12.2023

Dire que Maestro est un projet que Bradley Cooper a mené avec un enthousiasme débordant et un dévouement total jusque dans ses moindres détails relève de l'euphémisme. Chaque image, chaque décision - aussi bien esthétique que dramatique - respire l'amour et l'admiration entretenus par le comédien devenu réalisateur, scénariste et producteur à l'égard du chef d'orchestre et compositeur de renommée mondiale Leonard Bernstein.

Maestro s'inscrit dans une classe de « productions de prestige » destinées jadis à faire des ravages durant la longue saison des galas et des remises de prix. Et Cooper ne cache aucunement son désir de flirter avec cette époque révolue en embrassant à pleine bouche le classicisme hollywoodien des années 1940 à 1980.

La première moitié du film est présentée dans un noir et blanc immaculé rappelant les productions des années 1940 et 1950, tandis que la seconde fait évoluer les tons et les couleurs de la pellicule du début des années 1960 à la fin des années 1980. Mais au-delà de la magnifique direction photo de Matthew Libatique (A Star Is Born), le réalisateur épate en se collant aux codes et aux méthodes propres à chaque décennie, tout en leur insufflant une légère dose de modernité.

Ainsi, des élans plus théâtraux et oniriques, voire fantaisistes, de........

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