Puissante oeuvre toute en dualité, La vénus d'argent fait découvrir l'immense talent de comédienne de la chanteuse Claire Pommet.

Celle qui porte le nom de scène de Pomme crève l'écran dans la peau de Jeanne, une personne non binaire qui est prête à tout pour arriver à ses fins. Son objectif est de devenir trader dans un important groupe financier. Sauf que posséder des aptitudes naturelles et multiplier les efforts sont parfois insuffisants dans ce milieu où il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus.

Les premières minutes du film symbolisent parfaitement l'essence de ce qui va suivre. La protagoniste erre sur sa moto avant de franchir un tunnel et de se retrouver devant un magasin huppé. Elle se regarde dans la glace, désire le vêtement qui s'y retrouve et fracasse la vitrine, se blessant au passage.

Le miroir devient rapidement la métaphore du long métrage, prenant plusieurs formes. Il y a cette rencontre entre le monde où habite notre héroïne et celui où elle souhaite se projeter. La maison familiale en banlieue semble l'étouffer et elle fera tout pour échapper à son avenir dans l'armée. La jeunesse aspire toujours à plus, suivant son libre arbitre même si la possibilité de se brûler les ailes comme Icare est toujours possible.

Mais qui risque rien n'a rien. Surtout si l'on peut accéder à un lieu de richesse et de liberté. Le récit d'initiation et d'émancipation prend rapidement place et il vient avec ses joies et ses déceptions, ses triomphes et ses trahisons. S'extirper de sa classe sociale n'est jamais évident, parlez-en aux figures tragiques du Rouge et le noir et d'Illusions perdues.

Cela n'empêchera pas Jeanne d'essayer. Ce personnage demeure fascinant car il est imprévisible, insaisissable. Il expose sa vulnérabilité, notamment lors d'une très jolie scène de séduction envers la toujours impeccable Anna Mouglalis, avant de se refermer comme une huître. L'apport de Pomme s'avère non négligeable. Elle module avec subtilité sa prestation, cette identité fluctuante, faisant passer l'émotion par son corps tout entier. Une véritable actrice est née.

Son jeu intériorisé contraste avec celui de Sofiane Zermani (un rappeur connu sous le nom de Fianso et que l'on a pu voir récemment dans le sous-estimé Avant que les flammes ne s'éteignent), qui campe avec un charisme certain un patron intransigeant. C'est l'eau et le feu entre les deux musiciens. Une chimie qui finit par éclipser les péripéties plus prévisibles de ce segment se déroulant dans un univers gris et factice.

Un changement s'opère avant la fin, ramenant Jeanne sur Terre, auprès des siens. Bien que le rythme ralentit, c'est au profit de la poésie, d'une péripétie nocturne qui nourrit l'âme des êtres. Elle permet non seulement à l'héroïne de devenir plus humaine, mais également de confronter son passé trouble. Des moments significatifs où l'on retrouve le touchant Niels Schneider.

Particulièrement dynamique, la mise en scène d'Héléna Klotz (Prix Jean-Vigo en 2012 pour son précédent et passionnant L'âge atomique) ne manque pas d'ambition, de clairvoyance cinématographique, à la fois dans sa façon d'agencer les plans que de mélanger les couleurs et de créer des atmosphères uniques, en utilisant par exemple les mélodies imparables de son frère Ulysse. Cela culmine par une bouleversante scène de danse où Safia Nolin reprend un tube de Joe Dassin!

C'est surtout dans son écriture - avec Noé Debré et Emily Barnett - que la cinéaste sort du lot. Le scénario riche fusionne les genres et les ambiances, les mondes tangibles et inaccessibles, en cherchant un peu de chaleur humaine dans ces endroits déshumanisés. Un style qui rappelle - en moins exigeant et onirique - celui de ses parents Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, à qui l'on doit le magnifique documentaire L'héroïque Lande, la frontière brûle, mais également La question humaine, un opus tout à fait singulier sur le monde du travail. Son protagoniste Mathieu Amalric y fait d'ailleurs une apparition remarquée à la toute fin, semblant incarner le même personnage. Non, la pomme n'est pas tombée loin de l'arbre.

Maîtrisé de la première à la dernière image, qui semblent former une même boucle, La vénus d'argent est une plongée captivante dans un univers en quête de repères. Le film fascine allègrement et il est porté par Pomme, une interprète impressionnante que l'on aimerait voir plus souvent au cinéma.

QOSHE - La question humaine - Martin Gignac
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La question humaine

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21.03.2024

Puissante oeuvre toute en dualité, La vénus d'argent fait découvrir l'immense talent de comédienne de la chanteuse Claire Pommet.

Celle qui porte le nom de scène de Pomme crève l'écran dans la peau de Jeanne, une personne non binaire qui est prête à tout pour arriver à ses fins. Son objectif est de devenir trader dans un important groupe financier. Sauf que posséder des aptitudes naturelles et multiplier les efforts sont parfois insuffisants dans ce milieu où il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus.

Les premières minutes du film symbolisent parfaitement l'essence de ce qui va suivre. La protagoniste erre sur sa moto avant de franchir un tunnel et de se retrouver devant un magasin huppé. Elle se regarde dans la glace, désire le vêtement qui s'y retrouve et fracasse la vitrine, se blessant au passage.

Le miroir devient rapidement la métaphore du long métrage, prenant plusieurs formes. Il y a cette rencontre entre le monde où habite notre héroïne et celui où elle souhaite se projeter. La maison familiale en banlieue semble l'étouffer et elle fera tout pour échapper à son avenir dans l'armée. La........

© Cinoche


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