Cher Monsieur Vialatte,
Si je me permets de vous adresser cette lettre en ce mois de janvier 2024, c’est simplement pour vous prévenir que désormais, j’aurai la joie, l’inquiétude, la fierté, la responsabilité de rédiger, une fois toutes les cinq semaines (ce n’est pas exagéré : l’auteur a le temps de se régénérer, le lecteur de se rétablir) une chronique dans votre journal La Montagne (ayant eu l’inconscience, la vanité, le culot, la faiblesse, l’inconséquence d’accepter cette proposition).

Et forcément, Monsieur Vialatte, je penserai à vous. Je ne tenterai pas de vous imiter, non. Vous êtes inimitable. Je ne tenterai pas de vous ressembler : je n’en ai pas les moyens. Mais rêveur, méditatif, je songerai à vous, comme les nuits d’été, allongé dans l’herbe, on regarde les étoiles inatteignables, qui même parfois sont mortes depuis des années mais continuent de briller, persistant à se laisser admirer, ne se lassant pas de nous inspirer, suggérant que si la vie est courte le ciel est infini.

Votre liberté d’esprit, Monsieur Vialatte, votre manière unique de mélanger l’érudition la plus débridée à la fantaisie la plus étendue (quand ce n’est pas le contraire) font qu’en matière de chroniqueur, vous restez définitivement le maître-étalon.

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Je vous ai connu par Pierre Desproges, pour qui vous étiez une référence. Le plaisir de la lecture, comme tous les plaisirs de la vie, est une capillarité. On connait Vialatte par Desproges, Chaval par Sempé, et par son cousin Gaspard on approche la petite Madeleine à qui l’on fait trois enfants.

Le monde a changé depuis qu’en 1971, vous nous avez quitté. Pompidou est mort. Macron a été élu. Vous ne connaissez pas ? Ce n’est pas si grave.

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Le monde a tellement changé que je ne suis pas tout à fait certain qu’aujourd’hui si vous aviez l’idée de conclure votre chronique par "Et c’est ainsi qu’Allah est grand", le rédacteur en chef, même indulgent, même accommodant, même bonne pâte, n’y trouverait pas à redire.

La chronique du temps présent de Russell Bank : "Ma mère et moi parlons enfin politique"

La modernité a ses avantages. D’un simple clic, en direct de mon canapé, j’enverrai tout à l’heure mon papier par les ondes, par des voies qui me sont tout à fait impénétrables et dont je ne cherche même pas à percer le mystère. Je ne serai pas, comme vous, obligé le dimanche soir, d’enfiler une veste, un pardessus, un cache-col, de chausser des boots, et deux paires de chaussettes superposées par soir de grand froid afin d’aller porter mon papier gare de Lyon pour le dernier train postal, celui de 23 h 15.

Sachez encore, Monsieur Vialatte que votre souvenir est toujours vivant.
La dernière fois que je suis venu à Cébazat, je voulais, comme j’en avais pris l’habitude, dormir dans votre hôtel, situé, je ne vous l’apprends pas, place Delille à Clermont-Ferrand : l’hôtel Alexandre Vialatte.
Figurez-vous que vous étiez complet. J’arrivais en plein Sommet de l’Élevage. Rendez-vous compte : 1.300 exposants, 85.000 visiteurs professionnels, sans compter 2.000 animaux de grande valeur. Ça fait du monde à coucher. Ça prouve que l’agriculture française, pas plus que la littérature, n’est morte.

François Morel

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La chronique du temps présent de François Morel : "Cher Monsieur Vialatte, je songerai à vous"

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14.01.2024

Cher Monsieur Vialatte,
Si je me permets de vous adresser cette lettre en ce mois de janvier 2024, c’est simplement pour vous prévenir que désormais, j’aurai la joie, l’inquiétude, la fierté, la responsabilité de rédiger, une fois toutes les cinq semaines (ce n’est pas exagéré : l’auteur a le temps de se régénérer, le lecteur de se rétablir) une chronique dans votre journal La Montagne (ayant eu l’inconscience, la vanité, le culot, la faiblesse, l’inconséquence d’accepter cette proposition).

Et forcément, Monsieur Vialatte, je penserai à vous. Je ne tenterai pas de vous imiter, non. Vous êtes inimitable. Je ne tenterai pas de vous ressembler : je n’en ai pas les moyens. Mais rêveur, méditatif, je songerai à vous, comme les nuits d’été, allongé dans l’herbe, on regarde les étoiles inatteignables, qui........

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