Dans son livre Du héros à la victime : la métamorphose du sacré François Azouvi revient sur cette étrange inscription qui figurait initialement sur la plaque du jardin qui porte le nom du colonel Beltrame : "Assassiné lors de l’attentat terroriste du 23 mars 2013 à Trèbes. Victime de son héroïsme". Étrange en ce qu’elle fait cheminer main dans la main le héros et la victime, celui qui agit et celui qui subit.

Cet oxymore est pourtant symptomatique de l’ère du temps : le héros n’a plus bonne presse, au contraire de la victime qui a acquis une manière de dignité et une valorisation sociale qui va croissante.

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Que ce soit les populations sous les bombes, pour lesquelles on s’afflige et s’indigne à juste titre, et qui du fait de leur extrême malheur, associé à une très grande vulnérabilité, acquièrent une forme de sacralité, ou les individus brisés dans leur parcours de vie pour avoir été maltraités : la souffrance des victimes fait autorité. Sur les réseaux sociaux ou dans les librairies, son récit marche, à tel point qu’on peut se demander parfois s’il n’y a pas une jouissance, masquée sous des allures d’indignation morale, de la peine inconsolable.

La chronique du temps présent de Mazarine M. Pingeot : "L’ennui est l’oiseau de rêve qui couve l’œuf de l’expérience"...

Il ne s’agit pas de juger cette évolution, mais de la constater. Elle est tout entière dans cette antithèse : victime de son héroïsme.

Mais elle a aussi à voir avec l’évolution du sacré, dans sa relation avec le dépassement, jusqu’au sacrifice, dans une société sécularisée où le patriotisme que chaque guerre fait renaître ressemble aujourd’hui à un archaïsme.

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Le problème de ce nouveau récit victimaire est qu’il laisse aux nostalgiques des valeurs héroïques – souvent confondues avec la virilité mais faisant également signe vers le sacrifice pour une cause plus grande que soi – la voie libre et la réponse facile : celle d’un nationalisme rance et simpliste, qui promet un Sens quasi mystique dans une société matérialiste qui n’attend que cela.

A tel point que H. Bouteldja dont je ne partage pourtant pas les positions peut légitimement dire, au Bandung Nord en 2018 :
“ … la gauche radicale n’arrive pas à […] comprendre le besoin d’histoire, d’identité, de spiritualité et de dignité, une dignité qui ne soit pas seulement (...) la dignité de consommer. Les prolos français qui ont voté pour Sarkozy ou Le Pen n’attendent pas d’eux qu’ils augmentent seulement leurs salaires, ils votent pour des valeurs, quoi qu’on puisse penser de ces valeurs, et à des valeurs on n’oppose pas 1.500 euros mais d’autres valeurs !”

Le problème est sans doute que le progressisme est aujourd’hui indissociable de l’individualisme. Il ne s’agit pas de renoncer à la promesse libérale et la garantie des droits individuels, mais de faire place à un récit plus collectif dans lequel on pourrait éventuellement pratiquer un héroïsme ordinaire sans en avoir honte au point d’être contraint de donner des gages d’acceptation sociale en s’en prétendant la victime.

Mazarine M. Pingeot

Les chroniques du temps présent s'inscrivent dans la tradition créée par Alexandre Vialatte.

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La chronique du temps présent de Mazarine M. Pingeot : "Victime ou héros ?"

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14.04.2024

Dans son livre Du héros à la victime : la métamorphose du sacré François Azouvi revient sur cette étrange inscription qui figurait initialement sur la plaque du jardin qui porte le nom du colonel Beltrame : "Assassiné lors de l’attentat terroriste du 23 mars 2013 à Trèbes. Victime de son héroïsme". Étrange en ce qu’elle fait cheminer main dans la main le héros et la victime, celui qui agit et celui qui subit.

Cet oxymore est pourtant symptomatique de l’ère du temps : le héros n’a plus bonne presse, au contraire de la victime qui a acquis une manière de dignité et une valorisation sociale qui va croissante.

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Que ce soit les populations sous les bombes, pour lesquelles on s’afflige et s’indigne à juste titre, et qui du fait de leur extrême malheur, associé à une très grande........

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