Des actes antisémites qui se démultiplient dans le monde et qui rappellent cette triste vérité que l’antisémitisme possède une dimension phréatique, comme s’il était toujours tapi, dans les nappes culturelles, et qu’il déborde régulièrement, parce que la haine sommeille et ne s’éteint jamais. Elle attend toujours quantité d’alibis pour enfin se déployer.

Dans un ouvrage paru il y a vingt ans, le neurologue Lionel Naccache proposait Quatre Exercices de pensée juive pour cerveaux réfléchis (éditions In Press, réédition Nouvelle Préface, 2023) pour tenter d’expliquer le judaïsme à l’aide des neurosciences. Dans un exercice acrobatique, il faisait l’hypothèse d’un antisémitisme envisagé comme la « solution d’un problème de théorie de l’esprit de second ordre » et définissait d’ailleurs le Talmud comme un « manuel de théorie de l’esprit avant l’heure ».

Le problème de l’antisémitisme « embarrasse » Lionel Naccache et nous tous depuis « toujours ». Est-il une mise en échec du judaïsme, demande l’auteur ? Mise en échec, car le judaïsme est structurellement une ode à la vie, dans la mesure où la défense de la vie est un principe non négociable, pouvant permettre de transgresser toutes les règles religieuses, ou – pour le dire autrement – de suivre le commandement de la seule « Loi » véritable dudit judaïsme.

« Face à un danger de mort, le judaïsme ne ferme pas les yeux sur la transgression de ses lois, il transforme au contraire sa Loi et impose de tout faire pour sauver la vie de l’individu dont l’existence est en péril. Ce principe dit de pikuach nefesh (risque vital) ne rencontre quasiment aucune résistance dans l’ensemble du corpus des plusieurs centaines de commandements qui définissent l’orthodoxie juive. »

« Mieux vaut être un chien vivant qu’un lion mort », rappelle sans relâche l’Ecclésiaste. Alors comment dépasser l’aporie suivante, à savoir que ce culte de la vie suscite tant de haine chez les non-juifs ? Naccache s’appuie sur la théorie de l’esprit, autrement dit sur ce qui fonde notre intelligence sociale, pour tenter de répondre à la question. Comment comprendre ce non-prosélytisme quand on est soi-même un fervent défenseur de la posture inverse, comme c’est le cas pour les deux autres religions du Livre ?

En prenant appui sur sa théorie de l’esprit (premier ordre), donc comment il se représente à lui-même ses croyances, le chrétien ou le musulman inférerait que le juif doit être prosélyte s’il pense que sa religion est la meilleure chose qui soit pour l’homme.

S’il ne le fait pas, survient la théorie de l’esprit de second ordre, c’est qu’il n’aime pas cet autre qu’il dit aimer, et qu’il se croit supérieur à lui. Vieille antienne antisémite… Illusion cognitive totale, qui ne voit pas dans le comportement juif un respect infini à l’altérité.

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QOSHE - L’illusion antisémite - Cynthia Fleury
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L’illusion antisémite

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29.11.2023

Des actes antisémites qui se démultiplient dans le monde et qui rappellent cette triste vérité que l’antisémitisme possède une dimension phréatique, comme s’il était toujours tapi, dans les nappes culturelles, et qu’il déborde régulièrement, parce que la haine sommeille et ne s’éteint jamais. Elle attend toujours quantité d’alibis pour enfin se déployer.

Dans un ouvrage paru il y a vingt ans, le neurologue Lionel Naccache proposait Quatre Exercices de pensée juive pour cerveaux réfléchis (éditions In Press, réédition Nouvelle Préface, 2023) pour tenter d’expliquer le judaïsme à l’aide des neurosciences. Dans un exercice acrobatique, il faisait l’hypothèse d’un antisémitisme envisagé comme la « solution d’un problème........

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