Le beau Printemps des poètes fête ses 25 ans et, avec cet anniversaire, une querelle culturelle telle que les arts savent efficacement la mener, et son parrain, Sylvain Tesson, l’écrivain-voyageur subtil dessinateur des mondes extérieurs et intérieurs, devient la proue – bien malgré lui – du camp des accusés, alors qu’il est du camp des Celtes et de la géographie comme seule politique viable. « La mer possédait ce pouvoir de dissoudre les certitudes. Les cartes se brouillaient aux iridescences de l’océan. Les théories ne tenaient pas dans l’horizon mouvant. Sur le pont d’un voilier, on ne se sentait pas l’esprit dogmatique. C’était un autre bienfait de la visitation des fées que d’élargir l’âme aux dimensions de l’océan. »

Son dernier ouvrage, Avec les fées (des équateurs, 2024), en est encore une preuve saillante : la mer et le merveilleux des côtes anglaises, bretonnes, irlandaises, écossaises. « Humann me passa la plus belle des informations : ” Rien en vue.” Un programme pour vie heureuse. » Le narrateur – à moins que cela ne soit Tesson – a choisi comme mode d’habitation du monde la fuite. Pas n’importe laquelle, celle qui veut échapper à la société, à sa façon exclusive d’envisager la modernité.

Le « monstre » (puisqu’il se définit ainsi, pointant la « grimace » qui lui sert désormais de visage) ne se terre pas mais il vogue, traverse les frontières et les rivages, s’essouffle même s’il préfèrera dire qu’il respire enfin. Il est celui qui cherche, pour nous tous, l’inspiration dans le paysage, au plus près des pierres (dolmens et menhirs en tête) et des chemins, du non-humain, même s’il sait reconnaître la valeur de l’amour et de l’amitié.

« L’Éternel poursuit sa course à travers toute chose », écrit Goethe, et Tesson de mêler son âme à l’auteur de Faust pour l’exercer à résister aux tentations abjectes. Qui pour compagnon de route ? Écrivains, personnages, allégories et musiciens : Aragon, Hugo, Michelet, Chrétien de Troyes, Walter Scott, Yeats, Wordsworth, Debussy, Dickens, Lady Chatterley, les légendes arthuriennes et de Brocéliande, tout ce qui peut éduquer son regard et lui apprendre à découvrir la féerie du réel. « Objectif : scruter le vide. Veiller le ciel. S’assurer qu’il ne se passe rien. Le noter. S’en réjouir. »

Et le narrateur de faire la juste synthèse du moment contemporain culturel : « Les hommes du siècle 21 (…) étaient passionnés par la discorde. Ils faisaient des choix. Ils réduisaient les chatoiements. L’amour de la dialectique avait créé chez mes semblables une pensée de hachoir et des réflexes de charcutier : on tranchait. Soit l’un, soit l’autre. Moi, je voulais les deux puisque j’aimais les fées. » La disputation poursuivra de plus belle demain, et c’est tant mieux, tant que les tranchés peupleront la littérature.

Inscrivez-vous et recevez chaque matin dans votre boîte e-mail toutes les actualités de la journée à ne pas manquer.

QOSHE - Le dolménisme - Cynthia Fleury
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Le dolménisme

22 0
24.01.2024

Le beau Printemps des poètes fête ses 25 ans et, avec cet anniversaire, une querelle culturelle telle que les arts savent efficacement la mener, et son parrain, Sylvain Tesson, l’écrivain-voyageur subtil dessinateur des mondes extérieurs et intérieurs, devient la proue – bien malgré lui – du camp des accusés, alors qu’il est du camp des Celtes et de la géographie comme seule politique viable. « La mer possédait ce pouvoir de dissoudre les certitudes. Les cartes se brouillaient aux iridescences de l’océan. Les théories ne tenaient pas dans l’horizon mouvant. Sur le pont d’un voilier, on ne se sentait pas l’esprit dogmatique. C’était un autre bienfait de la visitation des fées que d’élargir l’âme aux dimensions de l’océan.........

© L'Humanité


Get it on Google Play