C’est un monde qui semble désuet mais qui pourtant fait régulièrement parler de lui : celui de la grande domesticité, auprès des plus riches d’entre nous, et qui parfois vire à l’intrigue patibulaire avec des histoires d’emprise et de maltraitance. Alizée Delpierre, sociologue du travail, dans les Domesticités (la Découverte, Livre de poche, 2023) revient sur ces mondes qui n’ont rien à envier à Downton Abbey, la série de Julian Fellowes, et qui représentent, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), plus de 75,6 millions de personnes dans le monde.

Domesticité et care, est-ce la même chose ? Pas tout à fait, même si tout cela est très proche, à cela près que la première a lieu plus spécifiquement au domicile, alors que le second relève souvent de l’institution. Le phénomène est mondial : en Amérique, le Brésil est le pays qui sollicite le plus de « domestic workers ». En Asie, c’est la Chine et en Europe, plutôt l’Italie. L’Arabie saoudite et l’Afrique du Sud sont également très férus de ce type de travail, dans la mesure où ces pays bastions de la domesticité sont traditionnellement des « terres d’accueil » des personnes migrantes. La domesticité s’est modifiée, même si le phénomène est toujours très genré et racisé ; le temps partiel s’est développé considérablement, même si le temps plein n’a pas disparu. Caractéristique de cette économie : une forme d’exploitation du travail, quasi structurelle, avec des personnes souvent surmenées et sous-payées qui bénéficient d’une protection sociale faible. Dans certains pays, les domestiques sont employés sous « le régime de la kafala, une procédure d’adoption relevant du droit musulman, qui s’apparente à une tutelle ».

Au travail, les rapports sont ambivalents, là aussi, par nature, entre intimité et professionnalisation : « Les transactions intimes (Zelizer, 2005), soit les échanges économico-affectifs, poursuit l’auteur, qui caractérisent le pater(mater)nalisme, prennent différentes formes. En sus du salaire et des primes, il y a souvent la prise en charge financière des frais quotidiens de la domestique : les frais d’hébergement, de blanchisserie, de nourriture, ou encore de déplacement et de médecin, y compris pour les membres de la famille de la domestique. (…) Les cadeaux contribuent à créer une dette chez les domestiques, comblée par un surplus de travail. Ils s’inscrivent dans une logique économique domestique, fondée sur la dénégation du calcul au profit de la générosité et du dévouement, qui s’opposerait à la logique capitaliste – ce que Pierre Bourdieu appelle le monde renversé, pour distinguer les relations qui s’opèrent à l’intérieur du domicile de celles qui se déploient ailleurs ». La modernité n’a pas fait disparaître la vassalité, elle lui a donné de nouveaux contours.

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QOSHE - Le travail domestique - Cynthia Fleury
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Le travail domestique

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20.12.2023

C’est un monde qui semble désuet mais qui pourtant fait régulièrement parler de lui : celui de la grande domesticité, auprès des plus riches d’entre nous, et qui parfois vire à l’intrigue patibulaire avec des histoires d’emprise et de maltraitance. Alizée Delpierre, sociologue du travail, dans les Domesticités (la Découverte, Livre de poche, 2023) revient sur ces mondes qui n’ont rien à envier à Downton Abbey, la série de Julian Fellowes, et qui représentent, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), plus de 75,6 millions de personnes dans le monde.

Domesticité et care, est-ce la même chose ? Pas tout à fait, même si tout cela est très proche, à cela près que la première a lieu plus spécifiquement au........

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