En attendant l’examen, prévu fin janvier, par la Conseil Constitutionnel, de la loi immigration, chacun se mobilise, les associations en tête, pour continuer la lutte et obtenir la remise en cause de ce texte. En apparence loin de ces débats, mais en apparence seulement, Marie-José Mondzain publie Accueillir. Venu(e)s d’un ventre ou d’un pays (Les liens qui libèrent), qui remet en cause les schémas mentaux et épistémologiques de la filiation et de l’hospitalité.

« Il ne faut plus penser l’hospitalité depuis le lien traditionnel et normatif de la transmission et de la légitimation biologique mais la fonder sur l’attention radicale à donner à toute arrivée, à tout arrivant. » Autrement dit Marie-José Mondzain défend, derrière toute réalité de filiation, l’authentique régime de l’accueil qu’est la philiation, cette amitié politique portée à autrui. Il ne s’agit pas de nier le fait biologique de la filiation, mais de comprendre que, même là, s’il n’y a pas philiation, rien n’est accueilli, rien n’est porté, accompagné, aimé.

Marie-José Mondzain rappelle que ce qui soutient les liens affectifs et culturels, ce n’est pas nécessairement le sang, la biologie, mais toujours les figures rénovées de l’hospitalité et de l’art de vivre ensemble. Ce qu’elle souhaite envisager, c’est la proposition « selon laquelle ce serait plutôt à l’aune de ce qui se construit et de ce qui n’est pas encore écrit, de ce qui ne sera jamais écrit d’avance, que doivent se mesurer la place et le sens de la survenue et de l’existence de chaque vivant dans le temps et l’espace que sa vie le conduit à partager ».

Il est temps de se dessaisir de cet imaginaire « substantialisé » de l’origine. La naissance biologique n’est pas le modèle pour penser l’arrivée au monde, ou plutôt il faut comprendre que ce qui nous permet réellement de « naître » à nous-mêmes et aux autres, c’est l’adoption, l’accueil dont nous allons pouvoir bénéficier, le soin. « Naître n’est au contraire, écrit l’autrice, qu’un cas particulier des liens qui se nouent dans l’arrivée de tout nouveau venu. C’est l’adoption qui construit la personne, sa place, sa dignité. »

Et Marie-José Mondzain de réinterpréter le mythe d’Ulysse, et plus spécifiquement son odyssée, sans doute l’autre nom de son exil, mais aussi de sa naissance. C’est dans le voyage, la quête, l’incessant vers qu’Ulysse devient ce qu’il est : « Devenir ce que l’on est, n’être que ce que l’on devient, construire sa place et sa légitimité, devenir Ulysse, est une expérience lente, foisonnante de détours. » Nous sommes tous ce tukhôn, ce « réfugié improbable », ce « rejeton de la tukhé », littéralement la fortune, le hasard heureux en grec, tel le roi d’Ithaque qui rentre dans son île sous les oripeaux d’un misérable.

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QOSHE - Les philiations - Cynthia Fleury
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Les philiations

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10.01.2024

En attendant l’examen, prévu fin janvier, par la Conseil Constitutionnel, de la loi immigration, chacun se mobilise, les associations en tête, pour continuer la lutte et obtenir la remise en cause de ce texte. En apparence loin de ces débats, mais en apparence seulement, Marie-José Mondzain publie Accueillir. Venu(e)s d’un ventre ou d’un pays (Les liens qui libèrent), qui remet en cause les schémas mentaux et épistémologiques de la filiation et de l’hospitalité.

« Il ne faut plus penser l’hospitalité depuis le lien traditionnel et normatif de la transmission et de la légitimation biologique mais la fonder sur l’attention radicale à donner à toute arrivée, à tout arrivant. » Autrement dit Marie-José Mondzain défend, derrière........

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