On se souvient tous du film Lost in Translation (2003) qui narre l’errance affective et existentielle de deux êtres, un homme, une femme… Sans transition (Seuil, 2024) raconte une autre déstabilisation, celle qui étreint les sociétés lorsqu’elles doivent faire face à leurs défis énergétiques : Jean-Baptiste Fressoz décrit, en effet, une nouvelle histoire de l’énergie, non phasiste, qui critique et réinterprète la notion de transition.

L’histoire de l’énergie est plus symbiotique que successive, les énergies ne se remplaçant pas l’une l’autre mais s’interconnectant et se cumulant. Mieux comprendre ces intrications et ces mécanismes est essentiel pour dépasser notre procrastination collective devant l’obligation de transformation sociétale.

Les manuels scolaires aiment à décrire des grandes fresques explicatives avec la terminologie « âge de » : ainsi à l’âge de la vapeur aurait succédé l’âge de l’acier, du charbon, de l’électricité, de l’atome, du pétrole, etc. Alors que nous n’avons jamais autant consommé actuellement de charbon, de bois, de pétrole…

Le schéma transitionniste passe à côté de ces effets cumulatifs et interdépendants. Prenons le simple exemple du charbon, Jean-Baptiste Fressoz rappelle que celui-ci n’a nullement éliminé l’utilisation du bois, mais qu’il l’a, à l’inverse, fortement augmentée : pour la construction, les chemins de fer, le boisage des mines, les caisses, les tonneaux, le carton, le papier, les journaux, l’hygiène. « Même constat pour la substitution du charbon par le pétrole, poursuit-il. Le pétrole, dont on souligne toujours les réserves limitées, est décrit par les spécialistes comme le simple accélérateur du progrès d’un monde industriel qui reste fondé sur le charbon. »

Les symbioses du bois, du charbon et du pétrole sont toujours au cœur de la croissance énergétique contemporaine. Jean-Baptiste Fressoz ne critique nullement la nécessité de développer des énergies renouvelables, mais les technologies de la « transition » n’échappent pas, hélas, aux effets rebond et peuvent entraîner la croissance d’autres secteurs plus carbonés.

« Par exemple, en 2023, le plus grand parc éolien flottant au monde a été inauguré en mer de Norvège : il appartient à Equinor (anciennement Statoil) qui s’en sert pour alimenter des plateformes pétrolières. » Autre caractéristique essentielle de notre économie, l’augmentation de la complexification matérielle des objets qui renforce de facto la nature symbiotique de l’économie : un pneu en 2020 contient deux fois plus d’ingrédients qu’une voiture un siècle plus tôt.

« Au cours du temps, le monde matériel est devenu une matrice de plus en plus vaste et complexe enchevêtrant une plus grande variété de matières, chacune consommée en plus grande quantité. » En déconstruisant la notion de transition, Jean-Baptiste Fressoz cherche aussi à dépasser cette solution capitalistique où le mal devient le remède.

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QOSHE - Lost in Transition - Cynthia Fleury
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Lost in Transition

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13.03.2024

On se souvient tous du film Lost in Translation (2003) qui narre l’errance affective et existentielle de deux êtres, un homme, une femme… Sans transition (Seuil, 2024) raconte une autre déstabilisation, celle qui étreint les sociétés lorsqu’elles doivent faire face à leurs défis énergétiques : Jean-Baptiste Fressoz décrit, en effet, une nouvelle histoire de l’énergie, non phasiste, qui critique et réinterprète la notion de transition.

L’histoire de l’énergie est plus symbiotique que successive, les énergies ne se remplaçant pas l’une l’autre mais s’interconnectant et se cumulant. Mieux comprendre ces intrications et ces mécanismes est essentiel pour dépasser notre procrastination collective devant l’obligation de transformation sociétale.

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