Dans son discours de politique générale devant le Parlement le nouveau Premier Ministre a
utilisé 40 fois le mot « travail ». Cette inflation signifie-t-elle que la question du travail va
être reconnue comme prioritaire ? Ou bien que la signification du travail devient de plus en
plus ambigüe ?


Le travail est revenu au cœur des préoccupations sociales après s’être évanoui pendant
deux décennies derrière le problème de l’emploi. Mais ce retour ne fait pas pour autant
consensus. D’autant que ce retour, alors qu’il faut déterminer la place du travail dans nossociétés, s’accompagne, d’une nouvelle offensive de « dérégulation » qui fait du salaire, de
l’emploi et plus globalement des droits sociaux la variable d’ajustement de la politique
économique. En augmentant la pression sur les travailleurs et en réduisant leurs
protections, la Macronie assume la continuité avec le quinquennat sarkoziste et affiche son
conservatisme. Ainsi, le discours sur le mérite et l’égalité des chances s’efface. On revient
à une argumentation plus simple : la valeur du travail sert à la stigmatisation des personnes
sans emploi.
Les « acquis sociaux » représenteraient « les » blocages à lever pour favoriser le
développement de nouvelles initiatives. En l’absence d’un diagnostic solide, la
transformation actuelle du travail se trouve inaccomplie, biaisée, et surtout contrainte par
des critères financiers. La France n’est pas confrontée à un problème classique de
redistribution des ressources de main-d’œuvre entre secteurs. Nous sommes face à une
restructuration d’ensemble des activités et même de la société, avec une recomposition des
fonctions productives impliquant la reconnaissance d’une nouvelle place au travail.
Comme le montrent les débats ouverts sur l’assurance chômage, l’emploi des seniors et la
maitrise des dépenses sociales, le gouvernement a opté pour les thèses du Medef. De
l’indemnisation des sans-emploi à la représentation des salariés dans l’entreprise, les
principaux droits sociaux « nuiraient à l’emploi ». Alors que l’objectif affiché est la
valorisation de la qualification c’est à la multiplication des emplois peu qualifiés et
faiblement rémunérés que nous assistons avec un allongement de la durée du travail au détriment du relèvement de son efficacité. Est évoqué le besoin d’un « contrat de travail-
senior », alors que la disjonction homme/travail se creuse de plus en plus, accompagné de son lot de pathologies, de souffrances, source d’inefficacité majeure et porteur d’ un fort
traumatisme social.
S’opposant totalement au paradigme libéral, l’hypothèse syndicale est que le travail est
inséparable de la place accordée à la personne humaine. L’organisation économique
actuelle où le travail est contraint, est « trop petite pour permettre le développement
humain» estime le sociologue Yves Clot.
Opérer une simple redistribution salariale comme proposé par les solutions libérales, ne
peut suffire. S’attaquer à la manière dont se crée la richesse est la priorité, en s’interrogeant
sur la place du travail . Une croissance durable suppose de nouveaux paris, justifie des initiatives pour reconstruire de nouveaux cadres de sécurité pour les projets comme pour
les travailleurs.
Réfléchir à un droit d’intégration dans l’emploi, c’est réfléchir à un système cohérent de
garanties permettant au salarié d’acquérir une qualification professionnelle, de faire valoir
ses compétences dans l’entreprise, d’exercer une activité compatible avec sa vie
personnelle, de retrouver un travail s’il perd son emploi. Cela suppose, en s’attaquant à la
croissance financière et en créant les conditions d’un nouveau type de productivité,
d’assurer une vraie rupture avec la déflation salariale appliquée depuis des décennie.

QOSHE - Gabriel Attal ou le détournement de la valeur travail - Jean-Christophe Le Duigou
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Gabriel Attal ou le détournement de la valeur travail

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18.02.2024

Dans son discours de politique générale devant le Parlement le nouveau Premier Ministre a
utilisé 40 fois le mot « travail ». Cette inflation signifie-t-elle que la question du travail va
être reconnue comme prioritaire ? Ou bien que la signification du travail devient de plus en
plus ambigüe ?


Le travail est revenu au cœur des préoccupations sociales après s’être évanoui pendant
deux décennies derrière le problème de l’emploi. Mais ce retour ne fait pas pour autant
consensus. D’autant que ce retour, alors qu’il faut déterminer la place du travail dans nossociétés, s’accompagne, d’une nouvelle offensive de « dérégulation » qui fait du salaire, de
l’emploi et plus globalement des droits sociaux la variable d’ajustement de la politique
économique. En augmentant la pression sur les travailleurs et en réduisant leurs
protections, la Macronie assume la continuité avec le quinquennat sarkoziste et affiche son
conservatisme. Ainsi,........

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