Autonomie : Vous y comprenez quelque chose, vous, au fait que la collectivité corse puisse passer dans la Constitution du statut de « collectivité à statut particulier » (article 72 de la Constitution, modifié en 2003) à celui d’une « autonomie au sein de la République » ?

Deux historiens viennent de se pencher sérieusement sur la question, ces quinze derniers jours, afin de nous éclairer sur l’accord conclu entre le pouvoir central et la collectivité de Corse, qui apparaît, à première vue, comme un coup d’accélérateur du processus de décentralisation amorcé en 1982. Beaucoup de commentateurs médiacratiques y voient déjà un « tournant historique », sans forcément mettre en garde sur les conséquences de notre structuration républicaine.

Car, lisons bien de quoi il s’agit. La Corse serait ainsi reconnue par le texte constitutionnel comme une « communauté historique, linguistique, culturelle » déterminée par son « insularité méditerranéenne » et par son « lien singulier à sa terre ». Mais que veulent vraiment Mac Macron II et son sinistre de l’Intérieur ?

Rancœurs : Dans un texte éblouissant publié par Regards, l’historien Roger Martelli analyse, de fait, que « le champ de l’autonomie serait substantiellement élargi par la capacité d’adapter les normes nationalement définies et, plus encore, par l’instauration d’un pouvoir normatif de plein exercice ». Et il ajoute : « La Corse serait ainsi habilitée à fixer les normes – donc la loi – dans les matières où s’exercent ses compétences. »

Précisons que cette possibilité de décider de la loi, envisagée en 2002 et votée par le Parlement, avait été censurée à l’époque par le Conseil constitutionnel. Roger Martelli prévient : « La kyrielle des réformes antérieures – une tous les dix ans depuis 1982 – avait déjà commencé à sortir la Corse du droit commun métropolitain : le texte aujourd’hui prévu pousse un peu plus loin le processus. La Corse ne se distinguerait plus seulement du continent” : elle s’écarterait juridiquement de la ”métropole” par l’extension de ses pouvoirs. »

Si l’Élysée et le gouvernement ne sont pas allés jusqu’à accepter le principe du « droit du résident » et la co-officialité de la langue corse, l’exécutif déroule le tapis rouge au mouvement autonomiste et indépendantiste, dont les demandes allant dans ce sens ont été réaffirmées par l’Assemblée de Corse en juillet 2023.

Roger Martelli ne tourne pas autour du pot : « Si la réforme passe, elle ouvrira en outre l’inévitable boîte de Pandore : pourquoi ne pas appliquer ce que l’on fait pour la Corse à l’Alsace, la Bretagne, le Pays basque ou ailleurs ? Mais si elle ne passe pas, les rancœurs s’aiguiseront dans une île déjà tentée par un retour de la violence, connue dans le passé. »

La Corse et la boîte de Pandore.

Maurras : Un autre historien, Benoît Vaillot, allait beaucoup plus loin dans la posture critique, la semaine dernière, dans l’Humanité des Débats. Selon lui, ce projet « met au jour la vraie nature de toute la politique territoriale entreprise » par Mac Macron II. Il la définissait en ces termes : « Une conception maurrassienne de l’identité, de l’État et de la France. »

L’historien se souvenait que l’hôte du Palais avait distingué, en 2020, un « pays légal » et un « pays réel ». Point de départ… d’un aboutissement par la Corse. Et Benoît Vaillot précisait sa pensée en citant Maurras, lequel défendait un « nationalisme intégral » en opposant un « pays réel », enraciné dans la religion, les traditions et les langues régionales, à un « pays légal », incarné par la raison, l’égalité entre les citoyens et les institutions républicaines.

Conclusion de Benoît Vaillot : « L’autonomie de la Corse n’est ainsi rien d’autre que le triomphe de la conception ethnique de l’identité des nationalistes intégraux” corses contre la République. » Dans les mois qui viennent, le processus de mise en œuvre de la révision constitutionnelle risque d’être semé d’embûches : vote à l’Assemblée de Corse, vote des deux tiers au Parlement avant la fin de l’année et éventuellement consultation des électeurs corses.

Quel que soit le cas de figure, « le marasme risque de s’épaissir », prévient Roger Martelli. « Sur l’île, la paix civile est incertaine ; à l’échelle de la France tout entière, le crédit de la politique a de fortes chances d’en être affecté et le ressentiment a de beaux jours devant lui, au grand bénéfice possible d’une extrême droite friande de désarroi démocratique. »

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QOSHE - État(s) - Jean-Emmanuel Ducoin
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04.04.2024

Autonomie : Vous y comprenez quelque chose, vous, au fait que la collectivité corse puisse passer dans la Constitution du statut de « collectivité à statut particulier » (article 72 de la Constitution, modifié en 2003) à celui d’une « autonomie au sein de la République » ?

Deux historiens viennent de se pencher sérieusement sur la question, ces quinze derniers jours, afin de nous éclairer sur l’accord conclu entre le pouvoir central et la collectivité de Corse, qui apparaît, à première vue, comme un coup d’accélérateur du processus de décentralisation amorcé en 1982. Beaucoup de commentateurs médiacratiques y voient déjà un « tournant historique », sans forcément mettre en garde sur les conséquences de notre structuration républicaine.

Car, lisons bien de quoi il s’agit. La Corse serait ainsi reconnue par le texte constitutionnel comme une « communauté historique, linguistique, culturelle » déterminée par son « insularité méditerranéenne » et par son « lien singulier à sa terre ». Mais que veulent vraiment Mac Macron II et son sinistre de l’Intérieur ?

Rancœurs : Dans un texte éblouissant publié par Regards, l’historien Roger Martelli........

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