Mouss Zouheyri joue El Maestro, un texte magistral de l’écrivain algérien Aziz Chouaki, mort trop tôt, le 16 avril 2019, à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Il s’agit d’une partition verbale pour un homme seul, dont l’hallucination vécue consiste à diriger une symphonie imaginaire à la gloire d’Alger, ses rues, son peuple, ses odeurs familières, son histoire d’après l’indépendance…

Aziz Chouaki avait achevé ses études à l’université d’Alger avec un mémoire sur Ulysse, de James Joyce. Alger, chez lui, serait comme Dublin chez l’autre, la source vive d’une inspiration torrentielle. El Maestro se parle en trois idiomes savamment tressés, le kabyle, l’arabe de la rue et le français, d’où résulte la langue propre à l’auteur, si brillamment rythmée (il fut aussi, en son pays natal, un guitariste de rock renommé), gorgée de sucs, d’épices et d’arômes multiples. « Voisines de palier, disait-il, ces langues font tout de suite dans l’hétérogène, l’arlequin, le créole. »

Sur la petite scène avec entrée et sortie à jardin, Mouss Zouheyri, pieds nus, vêtu d’un blue-jean effrangé et d’une veste de treillis, profère, avec une gourmandise manifeste, cette parlure tout à la fois populaire et savante, semée de saillies rusées.

Le personnage, par exemple, ne prétend-il pas que « les sanglots longs des violons de l’automne », c’est de Rimbaud ? Tout du long, il exhorte des interprètes, qui n’existent pas, à filer droit pour restituer la symphonie d’Alger, faite de parfum de jasmin, du cri des mouettes, de la rumeur de la mer… Pour finir, il la dirige sa symphonie, et on l’entend, harmonieuse. Elle est de la main du compositeur Jean-Luc Girard.

La symphonie d’Alger, faite de parfum de jasmin, du cris des mouettes, de la rumeur de la mer…

Mouss Zouheyri, sous le regard dit extérieur de Jacques Séchaud, fait donc œuvre pie en rendant ainsi hommage à un homme auquel il fut lié par l’amitié et l’admiration. Son jeu véhément, judicieusement grotesque, témoigne d’un jus vigoureux. S’il excelle dans la mimique, on peut trouver qu’il passe trop en force et que des instants d’intériorité, voire de brefs doutes du maestro sur lui-même, susciteraient, dans le flot verbal continu d’une élocution sprintée, de petites plages de répit bienvenues.

Quand soudain il épluche calmement une orange, on songe aussitôt à cette œuvre, les Oranges (éditions Mille et Une Nuits, 1997), qui révéla avec éclat Aziz Chouaki en sa qualité d’auteur de théâtre, à côté du romancier de valeur qu’il fut d’abord, dont voici quelques titres, Baya (publié à Alger aux éditions Laphomic), Aigle (Gallimard) et Arobase (Balland). À Nanterre-Amandiers, Jean-Louis Martinelli monta jadis de ses pièces. Aziz Chouaki avait dû s’exiler en 1991, ses écrits dans la presse où il mettait en boîte, sans merci, le FLN et les barbus, lui ayant valu des menaces de mort.

Production de la Cie Ribambelle, jusqu’au 2 mars, du jeudi au samedi à 21 heures, au Théâtre de Nesle, 8, rue de Nesle, 75006 Paris, tél. : 01 46 34 61 04. Le texte est publié aux éditions Théâtrales.

QOSHE -  Pour saluer Aziz Chouaki - Jean-Pierre Léonardini
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 Pour saluer Aziz Chouaki

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04.02.2024

Mouss Zouheyri joue El Maestro, un texte magistral de l’écrivain algérien Aziz Chouaki, mort trop tôt, le 16 avril 2019, à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Il s’agit d’une partition verbale pour un homme seul, dont l’hallucination vécue consiste à diriger une symphonie imaginaire à la gloire d’Alger, ses rues, son peuple, ses odeurs familières, son histoire d’après l’indépendance…

Aziz Chouaki avait achevé ses études à l’université d’Alger avec un mémoire sur Ulysse, de James Joyce. Alger, chez lui, serait comme Dublin chez l’autre, la source vive d’une inspiration torrentielle. El Maestro se parle en trois idiomes savamment tressés, le kabyle, l’arabe de la rue et le français, d’où résulte la langue propre à l’auteur, si brillamment rythmée........

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