Abdelwaheb Sefsaf, nouveau directeur du Théâtre de Sartrouville et des Yvelines (centre dramatique national), a écrit et mis en scène Kaldûn. Devant un objet théâtral d’aussi pleine maîtrise, on se veut d’emblée un ardent propagandiste de l’enthousiasme.

En voilà du théâtre épique, qui tresse en se jouant la fermeté politique et l’allant poétique, la gravité essentielle avec l’humour coupant, voire la saine plaisanterie, le tout en chantant (enchanteur aussi bien) avec les pleins accords d’une musique savante. Cela s’ouvre en fanfare sur un tableau d’Exposition coloniale avec bonimenteur et « sauvages » encagés, auxquels ne rien jeter à manger car ils sont nourris.

Cela se poursuit avec la colonisation de la Nouvelle-Calédonie (Kaldûn en arabe) et l’entrecroisement judicieux de trois mémoires de soulèvements d’opprimés quasi contemporains, également noyés dans le sang.

C’est la Commune de Paris, ses déportés là-bas, la révolte algérienne d’El Mokrani dont les insurgés sont embarqués manu militari, et l’insurrection mélanésienne de 1878, décimée sans merci, la France assurant définitivement son joug sur le peuple kanak. Trois figures mythiques sont en relief : Louise Michel, le Kabyle Aziz, condamné à vingt-cinq ans de bagne, et Ataï, grand chef kanak. Sa tête coupée finit dans le formol au musée de l’Homme.

La plus stricte vérité historique a prévalu dans l’écriture, qui la mue en langue vivante, chaleureuse, fraternelle sans prêche. Il est des scènes dignes de Brecht, telle celle de la lettre du missionnaire exalté au pape. Le mât d’un navire peut devenir un poteau coutumier kanak puis la croix de Jésus.

Tout semble s’inventer à vue, dans une constante allégresse puissamment rythmée, au sein d’une scénographie figurative d’excellent aloi, qui favorise les séquences collectives et proprement chorales aussi bien que les scènes en privé. Ils sont seize, acteurs, musiciens, chanteurs. On aimerait, les citant, dire tout le bien que l’on pense de chacun.

L’homme sur l’affiche, le Kanak Simanë Wenethem, slameur à la ville et virtuose du hip-hop, n’est-il pas l’âme mobile de l’affaire, que l’auteur-meneur de jeu emporte avec esprit ? Du théâtre noblement populaire, beau à pleurer. Comme c’est rare.

Après le Théâtre des Quartiers d’Ivry, centre dramatique national dirigé par Nasser Djemaï, où nous avons vu ce spectacle créé par Nomade in France et Canticum Novum, il sera joué à Sartrouville, du 29 novembre au 3 décembre ; Cébazat, le 7 décembre ; Lyon, du 13 au 17 février 2024 ; Forbach, le 14 mars…

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QOSHE - Forte convergence de mémoires d’insurgés - Jean-Pierre Léonardini
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Forte convergence de mémoires d’insurgés

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26.11.2023

Abdelwaheb Sefsaf, nouveau directeur du Théâtre de Sartrouville et des Yvelines (centre dramatique national), a écrit et mis en scène Kaldûn. Devant un objet théâtral d’aussi pleine maîtrise, on se veut d’emblée un ardent propagandiste de l’enthousiasme.

En voilà du théâtre épique, qui tresse en se jouant la fermeté politique et l’allant poétique, la gravité essentielle avec l’humour coupant, voire la saine plaisanterie, le tout en chantant (enchanteur aussi bien) avec les pleins accords d’une musique savante. Cela s’ouvre en fanfare sur un tableau d’Exposition coloniale avec bonimenteur et « sauvages » encagés, auxquels ne rien jeter à manger........

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