Noël Casale anime avec ferveur, à Bastia, sa ville natale, le Teatru di u cumunu (soit le Théâtre du Commun). Pour trois soirées seulement, il a fait halte à Paris avec Bastia an zéro vingt, une pièce de sa main qu’il a mise en scène 1. On est sensiblement saisi, d’entrée de jeu, par la vertu du silence qui règne, avant qu’une femme (Valérie Schwarcz) ne prenne la parole à voix basse, lisant, comme pour elle-même, ce qui serait un journal intime, tenu au temps maudit de la pandémie qui l’empêche d’aller à Rome pour rencontrer quelqu’un… Côté cour, un homme (Xavier Tavera), dans la pénombre, dort dans un fauteuil. Ce que dit la femme relève, sans nul doute, de la remembrance. Ce mot, un peu précieux, induit la réapparition, dans l’air, d’un passé où morts et vivants se confondent en un carrousel brumeux.

Quand c’est au tour de l’homme d’agir, il intervient avec furia, à mi-parcours des marches d’un escalier, d’où il lance une proclamation en langue corse. Plus tard, ce sera un long monologue en italien, que Xavier Tavera articule avec véhémence, de tout son corps parlant, dans une suite de fiers élans d’athlétisme affectif. Une jeune fille (Alice Serfati), soudain apparue, s’emporte dans une danse effrénée proche de la transe.

Ses longs cheveux masquent son visage. Nous sommes en présence d’une indéniable poétique de scène, au sein de laquelle se perçoit, en sourdine, un spectre politique de la Corse à l’abri de tout cliché, une Corse qui n’est pas uniquement de souche, fermée sur elle-même, oublieuse de pans essentiels de son histoire, une Corse citadelle d’où l’on ne peut sortir qu’avec difficulté, ou vivre sans conscience du vaste monde.

Bastia an zéro vingt relève donc d’un art dramaturgique qui laisse entendre, qui exige fermement qu’on tende l’oreille, ce dans le plus simple appareil scénique, habité par des acteurs attachés à l’urgence de signifier une parole sans merci, en compagnie d’artisans (de la scénographie, des lumières et du son) au métier extrêmement sûr.

Par ailleurs, Christian Benedetti reprend, jusqu’au 16 mars, dans son Théâtre-Studio d’Alfortville, sa mise en scène mémorable de Guerre, de l’auteur suédois Lars Norén 2. Un soldat, de retour du front, découvre son univers familial anéanti. Son épouse le trompe. Une de ses filles se vend à l’occupant… Lors de la création de ce spectacle, nous avions notamment écrit que « le metteur en scène possède, au plus haut point, l’art de suggérer les affects par le truchement de corps en expectative ».

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QOSHE - Vue plongeante depuis la citadelle - Jean-Pierre Léonardini
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Vue plongeante depuis la citadelle

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03.03.2024

Noël Casale anime avec ferveur, à Bastia, sa ville natale, le Teatru di u cumunu (soit le Théâtre du Commun). Pour trois soirées seulement, il a fait halte à Paris avec Bastia an zéro vingt, une pièce de sa main qu’il a mise en scène 1. On est sensiblement saisi, d’entrée de jeu, par la vertu du silence qui règne, avant qu’une femme (Valérie Schwarcz) ne prenne la parole à voix basse, lisant, comme pour elle-même, ce qui serait un journal intime, tenu au temps maudit de la pandémie qui l’empêche d’aller à Rome pour rencontrer quelqu’un… Côté cour, un homme (Xavier Tavera), dans la pénombre, dort dans un fauteuil. Ce que dit la femme relève, sans nul........

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