Soleils atikamekw, le dernier film de la réalisatrice Chloé Leriche, c’est la mise à l’écran d’une injustice historique. Un drame survenu il y a quarante-sept ans, emportant cinq personnes de Manawan, dans des circonstances jamais élucidées. Quarante-sept ans, toute ma vie sans réponse pour les Atikamekw de Manawan.

Dans la salle, certaines personnes semblaient avoir été adultes en 1977, d’autres certainement pas encore nées. Je pouvais reconnaître Françoise David, une personne de l’équipe de tournage, un de mes étudiants qui m’a accompagné sur le terrain, à Manawan, chez les Atikamekw, avec lesquels je travaille depuis 20 ans.

Tout le monde ne sait pas encore que se rendre à Manawan, c’est emprunter une route forestière de 84 km, c’est se faire tasser par les camions de transport de bois qui vous croisent bien trop vite, c’est aussi découvrir la complexité du quotidien d’une communauté dont les membres construisent leur vie sur les ruines des politiques de dépossession, d’assimilation et de colonisation.

Manawan fait face à un grand réservoir d’eau, le lac Kempt. Les maisons de la communauté s’éclairent d’une nouvelle lumière les jours de grand soleil, frappées par les reflets dansants de l’eau du lac.

Les ruisseaux et les rivières sont partout, comme un réseau de veines infinies et enchevêtrées alimentant la vie du Nitaskinan, le territoire atikamekw.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Chloé Leriche, réalisatrice du film Soleil atikamekw, et les acteurs Jacques Newashish, Oshim Ottawa et Lise Yolande Awashish

À Manawan, comme dans d’autres communautés autochtones, on connaît ça le deuil. Les accidents mortels sur cette maudite route pas encore asphaltée, les suicides, le départ des aînés et aînées pour leur dernier grand voyage. Les noyades, aussi. À Manawan, on sait reconnaître les signes d’un décès par noyade. On ne croit pas, on sait.

Dans Soleil atikamekw, tout y est : le dédain insupportable des autorités, le racisme ordinaire des Blancs, la douleur des familles, la colère aussi.

Beaucoup de colère, contre ce système déshumanisé qui parvient à nier l’existence même de la vie de personnes qu’il est supposé écouter, et protéger. C’est ça, la mise à nue de la vie, la vie nue, la vie livrée à la puissance d’un souverain qui a tout pouvoir sur elle. Le pouvoir de rabaisser, de déconsidérer, de ne pas entendre, de ne pas enquêter, de tuer.

Mais il y a le pouvoir du soleil. Dans certaines traditions orales autochtones, on raconte que grand-père Soleil a rencontré grand-mère Lune pour donner naissance à la terre et aux êtres humains. Les récits de la tradition orale atikamekw et d’autres premiers peuples racontent le pouvoir créateur, protecteur et guérisseur du Soleil.

Dans Soleil atikamekw, le soleil, c’est la puissance souveraine de la solidarité communautaire, des rituels de deuil, de l’entraide familiale, du lien au territoire, du rire, bref, de la résilience d’une communauté, d’une Nation, qui a affronté cette injustice en se mobilisant pour raconter son histoire, du courage de toutes ces personnes atikamekw nehirowisiwok qui ne jouent pas un rôle, mais qui vivent dans ce film la douloureuse mémoire des évènements, pour se faire écouter, pour qu’on les entende.

QOSHE - Le pouvoir du soleil - Laurent Jérôme
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Le pouvoir du soleil

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18.04.2024

Soleils atikamekw, le dernier film de la réalisatrice Chloé Leriche, c’est la mise à l’écran d’une injustice historique. Un drame survenu il y a quarante-sept ans, emportant cinq personnes de Manawan, dans des circonstances jamais élucidées. Quarante-sept ans, toute ma vie sans réponse pour les Atikamekw de Manawan.

Dans la salle, certaines personnes semblaient avoir été adultes en 1977, d’autres certainement pas encore nées. Je pouvais reconnaître Françoise David, une personne de l’équipe de tournage, un de mes étudiants qui m’a accompagné sur le terrain, à Manawan, chez les Atikamekw, avec lesquels je travaille depuis 20 ans.

Tout le monde ne sait pas encore que se rendre à Manawan, c’est emprunter une route forestière de 84 km, c’est se faire tasser par les camions de transport de bois qui vous........

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