On ne peut plus se fier à ses courriels. On ne peut plus prendre les médias sociaux à la légère. On ne peut plus acheter sans craindre d’y perdre son portefeuille. On ne peut même plus vendre sa vieille auto usagée sans risquer de se faire rouler. C’est officiel : Internet est une énorme fraude.

C’est le printemps. C’est, pour bien des gens, le temps du grand ménage et la préparation d’une éventuelle vente de garage. Parce que nous sommes en 2024, cela se fait en bonne partie en ligne, sur Kijiji ou sur le Marketplace de Facebook. On peut tout vendre sur ces plateformes, y compris sa voiture.

Sauf que les arnaqueurs sont à l’affût. Même votre vieille minoune les intéresse. Comment ? C’est simple : ils veulent l’acheter. Rapidement. En argent comptant. Au prix que vous demandez. À une condition : pouvez-vous nous transmettre un rapport d’évaluation complet, préférablement obtenu du site qu’on vous recommande ?

Ces sites ont des noms rassurants comme « vehicleaudit », ou « vehiclehistory ». Ils proposent de faire la même chose que les sites officiels de Carfax Canada, et plus encore. C’est pour ça que l’acheteur insiste : il ne veut pas d’un rapport de Carfax. Il veut l’autre.

De toute façon, il coûte la même chose : une cinquantaine de dollars. Alors, vous payez le site, vous recontactez l’acheteur potentiel pour lui transmettre le rapport et… pouf ! Il a disparu.

Ce ne sont que 50 dollars pour vous, mais pour ces magouilleurs, sur le lot de véhicules d’occasion mis en vente sur Internet par des particuliers partout en Amérique du Nord, c’est un joli magot qui s’accumule dans leurs poches.

C’est le genre de fraudes qui s’ajoute à toutes les autres : hameçonnage par courriel, vol d’identité sur des sites en apparence bancaires, appels téléphoniques frauduleux. Où pensez-vous que les fraudeurs récoltent les numéros de téléphone et toute l’information à propos de leurs victimes ? Sur Internet !

Il y a toujours eu des tentatives de fraude, sur Internet. On a identifié le premier courriel frauduleux aux États-Unis en 1978. À l’époque, Internet s’appelait Arpanet et n’était fréquenté que par des militaires et des universitaires. Aux États-Unis, la Federal Trade Commission, qui surveille le commerce électronique afin d’y détecter la fraude, a repéré cette pratique des messages frauduleux dans l’achat d’automobiles il y a cinq ans déjà. Elle a beaucoup fait parler au Canada l’année dernière. Elle est courante au Québec ces jours-ci.

En 2024, on dénombre 3,8 milliards de courriels frauduleux tous les jours. La bonne nouvelle, si tant est que c’en soit une : les courriels frauduleux ou trompeurs représentent à l’heure actuelle « seulement » 45 % de tous les courriels échangés. En 2011, leur proportion était de 80 %.

Léger détail : on s’échangeait environ moitié moins de courriels au début de la dernière décennie qu’on le fait en ce moment. La proportion a donc baissé, mais dans l’absolu, il y a plus de messages frauduleux que jamais sur Internet ces jours-ci. C’est encore pire si on ajoute les messageries directes et les applications de clavardage.

Toutes ces tentatives de fraudes ont un seul et même but : avoir votre bien. Comme l’ont si bien dit Les Cyniques, à la blague, à une autre époque : bientôt, ils vont l’avoir. Tout cela n’a que pour objectif de voler de l’argent à des internautes un peu distraits.

On craint le pire avec l’avènement de l’intelligence artificielle générative. C’est tout à fait légitime. Mais Internet était déjà pas mal pollué bien avant ChatGPT

Un impact insoupçonné de l’IA générative sur notre relation avec le monde est qu’elle nous permettra à notre tour de jouer au fraudeur. On recense déjà des cas de plaidoirie en cour où un avocat a présenté une jurisprudence créée de toutes pièces par une IA générative.

En fait, vous avez probablement déjà dans vos poches un téléphone capable de prendre des photos, puis d’en effacer les bouts qui ne font pas votre affaire. L’effaceur magique proposé par Google et d’autres fabricants est une application d’IA qui ne cesse de s’améliorer.

À la fin avril, le site de rencontres OkCupid est allé plus loin en proposant un nouvel outil à ses utilisatrices et utilisateurs : « Erase your Ex ». Cet outil est le fruit d’un investissement de 43 millions de dollars américains par la société mère d’OkCupid, l’entreprise américaine IAC.

Comme son nom l’indique, Erase your Ex permet de faire disparaître votre ancienne flamme de vos photos de profil pour mieux séduire votre prochain coup de foudre. Pratique, si la photo avec l’ex est la seule que vous ayez de vous qui a de l’allure…

Notez que OkCupid cible particulièrement les femmes avec cet outil : un sondage auprès de 185 000 des utilisatrices d’applications de rencontres a révélé que les deux tiers d’entre elles rêvaient de pouvoir effacer leur ex de leurs « bonnes photos ».

Les fraudeurs et leurs messages truqués s’en prennent à votre portefeuille. L’IA et ses images truquées s’en prennent à votre coeur.

La magie d’Internet, c’est ça : une énorme fraude.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Internet est une énorme fraude

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06.05.2024

On ne peut plus se fier à ses courriels. On ne peut plus prendre les médias sociaux à la légère. On ne peut plus acheter sans craindre d’y perdre son portefeuille. On ne peut même plus vendre sa vieille auto usagée sans risquer de se faire rouler. C’est officiel : Internet est une énorme fraude.

C’est le printemps. C’est, pour bien des gens, le temps du grand ménage et la préparation d’une éventuelle vente de garage. Parce que nous sommes en 2024, cela se fait en bonne partie en ligne, sur Kijiji ou sur le Marketplace de Facebook. On peut tout vendre sur ces plateformes, y compris sa voiture.

Sauf que les arnaqueurs sont à l’affût. Même votre vieille minoune les intéresse. Comment ? C’est simple : ils veulent l’acheter. Rapidement. En argent comptant. Au prix que vous demandez. À une condition : pouvez-vous nous transmettre un rapport d’évaluation complet, préférablement obtenu du site qu’on vous recommande ?

Ces sites ont des noms rassurants comme « vehicleaudit », ou « vehiclehistory ». Ils proposent de faire la même chose que les sites officiels de Carfax Canada, et plus encore. C’est pour ça que l’acheteur insiste : il ne veut pas d’un rapport de Carfax. Il veut l’autre.

De toute façon, il coûte la même chose : une cinquantaine de dollars. Alors, vous payez le site, vous recontactez l’acheteur potentiel pour lui........

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