C’est quoi, la productivité ? « Je veux que l’IA fasse ma vaisselle et ma lessive pour que j’aie le temps d’écrire et de dessiner, pas que l’IA écrive et dessine à ma place pour que je fasse ma vaisselle et ma lessive », dit un mème devenu viral sur les réseaux sociaux. En un mot : touché.

La façon dont les gouvernements du Canada et du Québec s’approvisionnent en biens et services, puis investissent dans le développement de nouvelles technologies, démontre le même sens du monde sens dessus dessous. Le système de paie Phoenix pourrait être une mauvaise anecdote. L’application ArriveCAN pourrait être un fiasco isolé. SAAQclic pourrait être une erreur de débutant. Le Dossier santé numérique n’est encore ni l’un ni l’autre, mais on sait déjà à qui il va profiter en premier : des sociétés américaines.

Tout cela mis ensemble, on a une tendance qui nuit à la croissance économique, aussi bien du Canada que du Québec. Après tout, les gouvernements dépensent des centaines de milliards de dollars de cette façon chaque année. En 2021, la valeur de ce que les organismes publics ont acheté à gauche et à droite, de fournisseurs locaux ou étrangers, a atteint 14,6 % du PIB national.

« Quand les gouvernements au Canada peinent à acheter des technologies innovantes et des services numériques dernier cri, cela pèse sur notre économie. Et quand les gouvernements s’appuient de façon disproportionnée sur les multinationales étrangères pour lui fournir des solutions technologiques de piètre qualité, cela a un impact sur la compétitivité des entreprises canadiennes ici et ailleurs dans le monde », écrit dans un rapport publié la semaine dernière le Conseil canadien de l’innovation.

Au risque de se répéter : touché.

Il est facile d’imaginer ce qui se produirait si on appuyait sur cet important levier économique qu’est l’approvisionnement public pour favoriser l’innovation locale : on rehausserait du même coup la productivité de l’ensemble de l’économie du pays. Une productivité qui se calcule par la taille du PIB en fonction du nombre de travailleurs.

Le Canada est peu productif par rapport aux États-Unis. Le Québec est peu productif par rapport à l’Ontario. Automatiser le travail de bureau à l’aide d’outils comme l’intelligence artificielle (IA) générative est la stratégie proposée par les géants de l’IA générative, ces jours-ci, pour accroître cette productivité. Les gouvernements reprennent ce message mot à mot.

La marge bénéficiaire des géants numériques varie entre 25 % et 40 % de leurs revenus, ces jours-ci. Quand un gouvernement achète leur technologie, de 25 % à 40 % du montant payé est un profit presque net pour ces fournisseurs étrangers.

Pour qu’une telle transaction permette à l’économie nationale de rattraper celle de ses voisins, il faudra qu’elle génère un gain de productivité pour le moins colossal…

Le Conseil canadien de l’innovation (CCI) liste quelques éléments dans la façon de s’approvisionner du fédéral et des provinces qui, s’ils étaient corrigés, renforceraient l’économie locale.

Les appels d’offres sont trop spécifiques et trop rigides pour que des PME d’ici proposent une solution qui n’est peut-être pas celle désirée, mais qui ferait aussi bien l’affaire. Le CCI ne trouve pas non plus dans la fonction publique l’expertise nécessaire pour faciliter cette connaissance des technologies d’ici qui pourraient régler leurs problèmes à peu de frais.

Le CCI estime qu’une trop grande aversion au risque empêche par ailleurs les gouvernements d’opter pour autre chose que des solutions clés en main créées par des multinationales étrangères.

Ironiquement, les plus petites entreprises et les jeunes pousses qui sont exclues sont la plupart du temps financées par des fonds d’investissement dont le capital provient généralement des gouvernements.

Le CCI n’est pas neutre, ni objectif, dans sa démarche. Il représente des entreprises qui aimeraient vendre davantage aux gouvernements. Mais ce qu’il écrit dans son rapport fait écho à des critiques entendues à répétition dans le milieu des entreprises technologiques québécoises, à Montréal, à Québec, à Sherbrooke et ailleurs.

Une autre critique a été entendue ces derniers mois. Québec et Ottawa sont extrêmement présents dans le capital-risque au Canada, par l’entremise de ce qu’on appelle des « fonds de fonds ». Ces fonds financent des fonds plus modestes — dans l’IA, dans les technologies de la santé, dans les technologies financières, etc.

L’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) le déplorait un peu avant Noël : les indicateurs de succès de cette stratégie ne sont pas les bons. Sinon, on le saurait : on aurait un dossier numérique fait au Québec prêt à répondre aux besoins du système de santé de la province. Les médecins auraient un système de messagerie qui n’est pas le télécopieur. Bref, l’argent public aurait servi à régler les lacunes les plus pressantes du système public, avec un gain de productivité à la clé.

L’IRIS concentrait sa critique sur le financement en santé, mais on peut l’étendre à d’autres secteurs d’innovation. En IA, par exemple. Le ministre Éric Caire vient de promettre des gains de productivité à même le gouvernement grâce à une automatisation dont on ignore si elle sera québécoise ou si elle aidera à enrichir des sociétés américaines.

Au moins, si l’IA promise par le ministre de la Cybersécurité et du Numérique était capable de laver le linge des fonctionnaires, ils auraient plus de temps pour rédiger des appels d’offres qui stimuleraient l’innovation québécoise… et la sacro-sainte productivité qui les accompagne.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Parlons de productivité - Alain Mckenna
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Parlons de productivité

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08.04.2024

C’est quoi, la productivité ? « Je veux que l’IA fasse ma vaisselle et ma lessive pour que j’aie le temps d’écrire et de dessiner, pas que l’IA écrive et dessine à ma place pour que je fasse ma vaisselle et ma lessive », dit un mème devenu viral sur les réseaux sociaux. En un mot : touché.

La façon dont les gouvernements du Canada et du Québec s’approvisionnent en biens et services, puis investissent dans le développement de nouvelles technologies, démontre le même sens du monde sens dessus dessous. Le système de paie Phoenix pourrait être une mauvaise anecdote. L’application ArriveCAN pourrait être un fiasco isolé. SAAQclic pourrait être une erreur de débutant. Le Dossier santé numérique n’est encore ni l’un ni l’autre, mais on sait déjà à qui il va profiter en premier : des sociétés américaines.

Tout cela mis ensemble, on a une tendance qui nuit à la croissance économique, aussi bien du Canada que du Québec. Après tout, les gouvernements dépensent des centaines de milliards de dollars de cette façon chaque année. En 2021, la valeur de ce que les organismes publics ont acheté à gauche et à droite, de fournisseurs locaux ou étrangers, a atteint 14,6 % du PIB national.

« Quand les gouvernements au Canada peinent à acheter des technologies innovantes et des services numériques dernier cri, cela pèse sur notre économie. Et quand les gouvernements s’appuient de façon disproportionnée sur les multinationales étrangères pour lui fournir des solutions........

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